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Dans un profond ennui ce lièvre se plongeait :
Cet animal est triste, et la crainte le ronge.
Les gens de naturel peureux

Sont, disait-il, bien malheureux !

Ils ne sauraient manger morceau qui leur profite:
Jamais un plaisir pur; toujours assauts divers.
Voilà comme je vis: cette crainte maudite
M'empêche de dormir, sinon les yeux ouverts.
Corrigez-vous, dira quelque sage cervelle.
Eh! la peur se corrige-t-elle?

Je crois même qu'en bonne foi
Les hommes ont peur comme moi.
Ainsi raisonnait notre lièvre,

Et cependant faisait le guet.

Il était douteux, inquiet:

Un souffle, une ombre, un rien, tout lui donnait la fièvre, Le mélancolique animal,

En rêvant à cette matière,

Entend un léger bruit : ce lui fut un signal

Pour s'enfuir devers sa tanière.

Il s'en alla passer sur le bord d'un étang.
Grenouilles aussitôt de sauter dans les ondes ;
Grenouilles de rentrer dans leurs grottes profondes.
Oh! dit-il, j'en fais faire autant
Qu'on m'en fait faire! Ma présence
Effraie aussi les gens ! Je mets l'alarme au camp!
Et d'où me vient cette vaillance?
Comment! des animaux qui tremblent devant moi!
Je suis donc un foudre de guerre?

Il n'est, je le vois bien, si poltron sur la terre,
Qui ne puisse trouver un plus poltron que soi.

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Sur la branche d'un arbre était en sentinelle
Un vieux coq adroit et matois.
Frère, dit un renard, adoucissant sa voix,
Nous ne sommes plus en querelle:
Paix générale cette fois.

Je viens te l'annoncer; descends que je t'embrasse : Ne me retarde point, de grace;

Je dois faire aujourd'hui vingt postes sans manquer.
Les tiens et toi pouvez vaquer,

Sans nulle crainte, à vos affaires;
Nous vous y servirons en frères.
Faites-en les feux dès ce soir,
Et cependant viens recevoir

Le baiser d'amour fraternelle.
Ami, reprit le coq, je ne pouvais jamais
Apprendre une plus douce et meilleure nouvelle
Que celle

De cette paix ;

Et ce m'est une double joie
De la tenir de toi. Je vois deux lévriers,
Qui, je m'assure, sont courriers
Que pour ce sujet on envoie :

Ils vont vite et seront dans un moment à nous.
Je descends nous pourrons nous entre-baiser tous.
Adieu, dit le renard, ma traite est longue à faire :
Nous nous réjouirons du succès de l'affaire
Une autre fois. Le galant aussitôt
Tire ses grègues, gagne au haut,
Mal content de son stratagème.
Et notre vieux coq en soi-même
Se mit à rire de sa peur;

Car c'est double plaisir de tromper le trompeur.

XVI

LE CORBEAU VOULANT IMITER L'AIGLE

L'oiseau de Jupiter enlevant un mouton,

Un corbeau, témoin de l'affaire,

Et plus faible des reins, mais non pas moins glouton,

En voulut sur l'heure autant faire.

Il tourne à l'entour du troupeau,

1 Réjouissez-vous.

2 Ses chausses.

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Marque entre cent moutons le plus gras, le plus beau,

Un vrai mouton de sacrifice :

On l'avait réservé pour
Gaillard corbeau disait, en le couvant des
Je ne sais qui fut ta nourrice;

la bouche des dieux.

yeux :

Mais ton corps me parait en merveilleux état :
Tu me serviras de pâture.

Sur l'animal bêlant à ces mots il s'abat.

La moutonnière créature

Pesait plus qu'un fromage; outre que sa toison
Était d'une épaisseur extrême,

Et mêlée à peu près de la même façon
Que la barbe de Polypheme.

Elle empêtra si bien les serres du corbeau,
Que le pauvre animal ne put faire retraite :
Le berger vient, le prend, l'encage bien et beau
Le donne à ses enfants pour servir d'amusette.

Il faut se mesurer; la conséquence est nette :
Mal prend aux volereaux de faire les voleurs.

L'exemple est un dangereux leurre :

Tous les mangeurs de gens ne sont pas grands seigneurs ; Où la guêpe a passé, le moucheron demeure.

XVII

LE PAON SE PLAIGNANT A JUNON.

Le paon se plaignait à Junon.
Déesse, disait-il, ce n'est pas sans raison
Que je me plains, que je murmure :
Le chant dont vous m'avez fait don
Deplaît à toute la nature;

Au lieu qu'un rossignol, chétive créature,
Forme des sons aussi doux qu'éclatants,
Est lui seul l'honneur du printemps.
Junon répondit en colère:

Toi

Oiseau jaloux, et qui devrais te taire,
Est-ce à toi d'envier la voix du rossignol,
que l'on voit porter à l'entour de ton col
Un arc-en-ciel nué de cent sortes de soies;
Qui te panades, qui déploies

Une si riche queue et qui semble à nos yeux
La boutique d'un sapidaire?

Est-il quelque oiseau sous les cieux
Plus que toi capable de plaire?

Tout animal n'a pas toutes propriétés.
Nous vous avons donné diverses qualités :
Les uns ont la grandeur et la force en partage;
Le faucon est léger, l'aigle plein de courage,
Le corbeau sert pour le présage;

La corneille avertit des malheurs à venir;
Tous sont contents de leur ramage.

Cesse donc de te plaindre; ou bien, pour te punir,
Je t'ôterai ton plumage.

Qui te pavanes.

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