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L'esprit de simplicité, de candeur, de naïveté, qui li plaisait tant dans ces écrivains, caractérisa bientôt ses ouvrages, et le caractérisait lui-même. Jamais auteur ne s'est mieux peint dans ses livres. Doux, ingénu, naturel, sincère, crédule, facile, timide, sans ambition, sans fiel, prenant tout en bonne part, il était, dit un homme d'esprit, aussi simple que les héros de ses fables. C'était un véritable enfant, mais un enfant sans malice. Il parlait peu, et parlait mal, à moins qu'il ne se trouvàt avec des amis intimes, ou que la conversation ne roulât sur quelque sujet qui pût échauffer son génie.

La duchesse de Bouillon, l'une des nièces du cardinal Mazarin, exilée à Château-Thierry, avait connu la Fontaine et lui avait même, dit-on, fait faire ses premiers contes. Rappelée à Paris, elle y amena le poëte: la Fontaine avait un de ses parents auprès de Fouquet. La maison du surintendant lui fut ouverte, et il en obtint une pension pour laquelle il faisait à chaque quartier une quittance poétique. Après la disgrâce de son bienfaiteur, dont le poëte reconnaissant déplora les malheurs dans une élégie touchante et peut-être la meilleure que nous ayons en notre langue, et dans une ode moins connue adressée à Louis XIV, dont les vers sont moins beaux, mais plus ardis, il entra en qualité de gentilhomme ordinaire ebez la princesse Henriette d'An eterre.

La mort lui ayant enlevé cette princesse, il trouva de généreux protecteurs dans M. le Prince, dans le prince de Conti, le duc de Vendôme et le duc de Bourgogne; et des protectrices dans la duchesse de Bouillon, de Mazarin, et dans l'ingénieuse madame de la Sablière, qui le retira chez elle, et prit soin de son existence.

En effet, son inertie et son imprévoyance étaient telles que, sans les soins qu'elle prit de lui, il serait trouvé

se

en proie à tous les besoins. Madame de la Sablière lui rendit à cet égard les plus grands services en l'accueillant chez elle et en pourvoyant à tous ses besoins pendant vingt années ce furent les plus heureuses de sa vie.

Elle venait de renvoyer à la fois tous ses domestiques. La reconnaissance et l'amitié de notre poëte pour cette aimable dame furent sans bornes, il l'a immortalisée dans ses chefs-d'œuvre.

On a remarqué que Louis XIV ne fit pas tomber ses bienfaits sur la Fontaine comme sur les autres génies qui illustrèrent son règne. Ce prince ne goûtait pas assez le genre dans lequel ce conteur charmant excella: il traitait les fables de la Fontaine à peu près comme les tableaux de Téniers.

La bienfaitrice du poëte enfant étant morte, il se rendait chez M. d'Hervart, son ami, qui le rencontra: « J'ai su, lui dit-il, le malheur qui vous est arrivé; vous logieɛ chez madame de la Sablière; elle n'est plus. Je vous prie de venir habiter ma maison. - J'y allais,» répondit le poëte. Cet abandon touchant de confiance est un digne hommage rendu à l'amitié généreuse.

Il mourut à Paris, le 13 avril 1695. Il faisait partie de 'Académie française depuis 1684.

Parmi les ouvrages immortels qui nous restent de cet homme inimitable, il faut placer au premier rang ses Fables, que tout le monde connaît et a su apprécier. Quelle aisance! quelle vivacité, quelle finesse à la fois et quelle naïveté car il réunissait ces deux qualités à un degré supérieur, et c'est ce mélange qui fait le prodige. C'est véritablement le poëte de la nature, surtout dans ses fables, on dirait qu'elles sont tombées de sa plume.

D.-A.

ÉPITRE DEDICATOIRE

A MONSEIGNEUR LE DAUPHIN'

MONSEIGNEUR,

S'il y a quelque chose d'ingénieux dans la république des lettres, on peut dire que c'est la manière dont Ésope a débité sa morale. Il serait véritablement à souhaiter que d'autres mains que les miennes y eussent ajouté les ornements de la poésie, puisque le plus sage des anciens a jugé qu'ils n'y étaient pas inutiles. J'ose, Monseigneur, vous en présenter quelques essais. C'est un entretien convenable à vos premières années. Vous êtes en un âge où l'amusement et les jeux sont permis aux princes; mais en même temps vous devez donner quelques-unes de vos pensées à des réflexions sérieuses. Tout cela se rencontre aux fables que nous devons à Ésope. L'apparence en est puérile, je le confesse; mais ces puérilités servent d'enveloppes à des vérités importantes.

Je ne doute point, Monseigneur, que vous ne regardiez favora blement des inventions si utiles et tout ensemble si agréables; car que peut-on souhaiter davantage que ces deux points? Ce sont eux qui ont introduit les sciences parmi les hommes. Ésope a trouvé un art singulier de les joindre l'un avec l'autre la lecture de son ouvrage répand insensiblement dans une âme les semences de a vertu, et lui apprend à se connaître sans qu'elle s'aperçoive de

1 Louis, dauphin de France, fils ainé de Louis XIV et de Marie-Thérèse d'Autriche, né à Fontainebleau le 1er novembre 1661, et mort à Meudon le 14 avril 1711.

1 Socrate.

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cette étude, et tandis qu'elle croit faire tout autre chose. C'est une adresse dont s'est servi très-heureusement celui sur lequel Sa Majesté a jeté les yeux pour vous donner des instructions. Il fait en sorte que vous apprenez sans peine, ou, pour mieux parler, avec plaisir, tout ce qu'il est nécessaire qu'un prince sache. Nous espérons beaucoup de cette conduite. Mais, à dire la vérité, il y a des choses dont nous espérons infiniment davantage : ce sont, Monseigneur, les qualités que notre invincible monarque vous a données avec la naissance; c'est l'exemple que tous les jours il vous donne. Quand vous le voyez former de si grands desseins; quand vous le considérez qui regarde sans s'étonner l'agitation de l'Europe et les machines qu'elle remue pour le détourner de son entreprise; quand il pénètre dès sa première démarche jusque dans le cœur d'une province où l'on trouve à chaque pas des barrières insurmontables, et qu'il en subjugue une autre en huit jours, pendant la saison la plus ennemie de la guerre, lorsque le repos et les plaisirs règnent dans les cours des autres princes; quand, non content de dompter les hommes, il veut triompher aussi des éléments; et quand, au retour de cette expédition où il a vaincu comme un Alexandre, vous le voyez gouverner ses peuples comme un Auguste, avouez le vrai, Monseigneur, vous soupirez pour la gloire aussi bien que lui, maigré l'impuissance de vos années; vous attendez avec impatience le temps où vous pourrez vous déclarer son rival dans l'amour de cette divine maitresse. Vous ne l'attendez pas, Monseigneur; vous le prévenez. Je n'en veux pour témoignage que ces nobles inquiétudes, cette vivacité, cette ardeur, ces marques d'esprit, de courage et de grandeur d'âme, que vous faites paraître à tous les moments. Certainement c'est une joie bien sensible à notre monarque; mais c'est un spectacle bien agréable pour l'univers, que de voir ainsi croître une jeune plante qui couvrira un jour de son ombre tant de peuples et de nations.

Je devrais m'étendre sur ce sujet ; mais, comme le dessein que j'ai de vous divertir est plus proportionné à mes forces que celui de vous louer, je me hâte de venir aux fables, et n'ajouterai aux vérités que je vous ai dites que celle-ci : c'est, Monseigneur, que je suis, avec un zèle respectueux,

Votre très-humble, très-obéissant
et très-fidèle serviteur,

DE LA FONTAINE.

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