Une nuit que chacun s'occupait au sommeil, Et mettait à profit l'absence du soleil,
Un de nos deux amis sort du lit en alarme, Il court chez son intime, éveille les valets; Morphée avait touché le seuil de ce palais. L'ami couché s'étonne; il prend sa bourse, il s'arme, Vient trouver l'autre, et dit: Il vous arrive peu De courir quand on dort; vous me paraissez homme A mieux user du temps destiné pour le somme : N'auriez-vous point perdu tout votre argent au jeu? En voici. S'il vous est venu quelque querelle, J'ai mon épée; allons. Vous ennuyez-vous point De coucher toujours seul ? une esclave assez belle Etait à mes côtés; voulez-vous qu'on l'appelle? Non, dit l'ami, ce n'est ni l'un ni l'autre point: Je vous reeds grâce de ce zèle.
Vous m'ètes, en dormant, un peu triste apparu; J'ai craint qu'il ne fut vrai; je suis vite accouru. Ce maudit songe en est la cause.
Qui d'eux aimait le mieux ? Que t'en semble, lecteur? Cette difficulté vaut bien qu'on la propose.
Qu'un ami véritable est une douce chose! Il cherche vos besoins au fond de votre cœur ; Il vous épargne la pudeur
De les lui découvrir vous-même : Un songe, un rien, tout lui fait peur Quand il s'agit de ce qu'il aime.
LE COCHON, LA CHÈVRE ET LE MOUTON
Une chèvre, un mouton, avec un cochon gras, Montés sur même char, s'en allaient à la foire. Leur divertissement ne les y portait pas : On s'en allait les vendre, à ce que dit l'histoire. Le charton1 n'avait pas dessein
1 Vieux mot qui signifie charretier.
De les mener voir Tabarin '. Dom pourceau criait en chemin
Comme s'il avait eu cent bouchers à ses trousses : C'était une clameur à rendre les gens sourds. Les autres animaux, créatures plus douces, Bonnes gens, s'étonnaient qu'il criât au secours; Ils ne voyaient nul mal à craindre.
Le charton dit au porc : Qu'as-tu tant à te plaindre? Tu nous étourdis tous; que ne te tiens-tu coi? Ces deux personnes-ci, plus honnêtes que toi, Devraient t'apprendre à vivre, ou du moins à te taire. Regarde ce mouton: a-t-il dit un seul mot?
Repartit le cochon; s'il savait son affaire, Il crierait, comme moi, du haut de son gosier; Et cette autre personne honnête
Crierait tout du haut de sa tête.
Ils pensent qu'on les veut seulement décharger,
Bouffon célèbre qui vivait au commencement du dix-septième siècle.
La chèvre de son lait, le mouton de sa laine : Je ne sais pas s'ils ont raison; Mais quant à moi, qui ne suis bon Qu'à manger, ma mort est certaine. Adieu mon toit et ma maison.
Dom pourceau raisonnait en subtil personnage Mais que iui servait-il ? Quand le mal est certain, La plainte ni la peur ne changent le destin; Et le moins prévoyant est toujours le plus sage.
POUR MADEMOISELLE DE SILLERY
J'avais Ésope quitté
Pour être tout à Boccace;
Mais une divinité
Veut revoir sur le Parnasse
Des fables de ma façon. Or, d'aller lui dire : Non, Sans quelque valable excuse, Ce n'est pas comme on en use Avec des Divinités,
Surtout quand ce sont de celles Que la qualité de Belles Fait reines des volontés. Car, afin que l'on le sache, C'est Sillery qui s'attache A vouloir que, de nouveau, Sire loup, sire corbeau, Chez moi se parlent en rime. Qui dit Sillery dit tout: Peu de gens en leur estime Lui refusent le haut bout;
Comment le pourrait-on faire?
Gabrielle-Françoise Brulard de Sillery, nièce du duc de la Rochefoucauld, l'auteur des Maximes.
Pour venir à notre affaire, Mes contes, à son avis,
Sont obscurs; les beaux esprits N'entendent pas toute chose. Faisons donc quelques récits Qu'elle déchiffre sans glose :
Amenons des bergers; et puis nous rimerons Ce que disent entre eux les loups et les moutons.
Tircis disait un jour à la jeune Amarante : Ah! si vous connaissiez comme moi certain mal Qui nous plait et qui nous enchante, Il n'est bien sous le ciel qui vous parût égal! Souffrez qu'on vous le communique; Croyez-moi, n'ayez point de peur:
Voudrais-je vous tromper, vous pour qui je me pique Des plus doux sentiments que puisse avoir un cœur? Amarante aussitôt réplique
Comment l'appelez-vous, ce mal? quel est son nom? L'amour. -Ce mot est beau! dites-moi quelques marques A quoi je le pourrai connaitre que sent-on? Des peines près de qui le plaisir des monarques Est ennuyeux et fade: on s'oublie, on se plait Toute seule en une forêt.
Se mire-t-on près d'un rivage,
Ce n'est pas soi qu'on voit on ne voit qu'une image Qui sans cesse revient, et qui suit en tous lieux : Pour tout le reste on est sans yeux.
Il est un berger du village
Dont l'abord, dont la voix, dont le nom fait rougir :
On soupire à son souvenir;
On ne sait pas pourquoi, cependant on soupire; On a peur de le voir, encor
Oh! oh! c'est là ce mal que vous me prêchez tant!
Il ne m'est pas nouveau :
Tircis à son but croyait être,
Quand la belle ajouta : : Voilà
Ce que je sens pour Clidamant.
L'autre pensa mourir de dépit et de honte.
Il est force gens comme lui,
Qui prétendent n'agir que pour leur propre compte, Et qui font le marché d'autrui.
LES OBSÈQUES DE LA LIONNE
La femme du lion mourut; Aussitôt chacun accourut
Pour s'acquitter envers le prince De certains compliments de consolation, Qui sont surcroit d'affliction.
Il fit avertir sa province Que les obsèques se feraient
Un tel jour, en tel lieu; ses prévôts y seraient Pour régler la cérémonie
Et pour placer la compagnie. Jugez si chacun s'y trouva. Le prince aux cris s'abandonna, Et tout son antre en résonna : Les lions n'ont point d'autre temple. On entendit, à son exemple, Rugir en leur patois messieurs les courtisans.
Je définis la cour un pays où les gens, Tristes, gais, prêts à tout, à tout indifférents, Sont ce qu'il plait au prince, ou, s'ils ne peuvent l'être, Tâchent au moins de le paraître.
Peuple caméléon, peuple singe du maitre ; On dirait qu'un esprit anime mille corps : C'est bien là que les gens sont de simples ressorts.
Pour revenir à notre affaire,
Le cerf ne pleura point. Comment l'eût-il pu faire? Cette mort le vengeait : la reine avait jadis
Etranglé sa femme et son fils.
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