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Sans lui j'aurais fait connaissance
Avec cet animal qui m'a semblé si doux :
Il est velouté comme nous,

Marqueté, longue queue, une humble contenance,
Un modeste regard, et pourtant l'œil luisant.
Je le crois fort sympathisant

Avec messieurs les rats: car il a des oreilles
En figure aux nôtres pareilles.

Je l'allais aborder quand, d'un son plein d'éclat,
L'autre m'a fait prendre la fuite.

Mon fils, dit la souris, ce doucet est un chat
Qui, sous son minois hypocrite,
Contre toute ta parenté,

D'un malin vouloir est porté.
L'autre animal, tout au contraire,

Bien éloigné de nous mal faire,

Servira quelque jour peut-être à nos repas.
Quant au chat, c'est sur nous qu'il fonde sa cuisine.

Garde-toi, tant que tu vivras,
De juger des gens sur la mine.

VI

LE RENARD, LE SINGE ET LES ANIMAUX

Les animaux, au décès d'un lion,
En son vivant prince de la contrée,
Pour faire un roi s'assemblèrent, dit-on,
De son étui la couronne est tirée :
Dans une chartre' un dragon la gardaić.
Il se trouva que, sur tous essayée,
A pas un d'eux elle ne convenait :
Plusieurs avaient la tête trop menue,
Aucuns trop grosse, aucuns même cornue.
Le singe aussi fit l'épreuve en riant;
Et par plaisir la tiare essayant,

1 Prison, caverne.

Mot employé ici pour couronne.

Il fit autour force grimaceries,
Tours de souplesse, et mille singeries,
Passa dedans ainsi qu'en un cerceau.
Aux animaux cela sembla si beau,
Qu'il fut élu chacun lui fit hommage.
Le renard seul regretta1 son suffrage,
Sans toutefois montrer son sentiment.
Quand il eut fait son petit compliment,
Il dit au roi Je sais, sire, une cache,
Et ne crois pas qu'autre que moi la sache.
Or tout trésor, par droit de royauté,
Appartient, sire, à votre majesté.

:

Le nouveau roi bâille après la finance2;
Lui-même y court pour n'ètre pas trompé.
C'était un piége: il Y fut attrapé.

Le renard dit, au nom de l'assistance :
Prétendrais-tu nous gouverner encor,
Ne sachant pas te conduire toi-même ?
Il fut démis; et l'on tomba d'accord
Qu'à peu de gens convient le diadème.

VII

LE MULET SE VANTANT DE SA GENEALOGIE

Le mulet d'un prélat se piquait de noblesse,
Et ne parlait incessamment

Que de sa mère la jument,

Dont il contait mainte prouesse. Elle avait fait ceci, puis avait été là. Son fils prétendait pour cela

Qu'on le dût mettre dans l'histoire. 3 eût cru s'abaisser servant un médecin. Etant devenu vieux, on le mit au moulin on père l'âne alors lui revint en mémoire. Quand le malheur ne serait bon

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Un vieillard sur son âne aperçut en passant
Un pré plein d'herbe et fleurissant :

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y

lâche sa bête; et le grison se rue

Au travers de l'herbe menue,

Se vautrant, grattant et frottant,
Gambadant, chantant, et broutant,
Et faisant mainte place nette.
L'ennemi vient sur l'entrefaite.
Fuyons, dit alors le vieillard.
Pourquoi, répondit le paillard;

Me fera-t-on porter double bât, double charge?
Non pas, dit le vieillard, qui prit d'abord le large.
Eh! que m'importe donc, dit l'àne, à qui je sois?
Sauvez-vous, et me laissez paître.

Notre ennemi, c'est notre maitre :
Je vous le dis en bon français.

IX

LE CERF SE VOYANT DANS L'EAU

Dans le cristal d'une fontaine
Un cerf se mirant autrefois
Louait la beauté de son bois,
Et ne pouvait qu'avecque peine
Souffrir ses jambes de fuseaux,

Dont il voyait l'objet se perdre dans les eaux.
Quelle proportion de mes pieds à ma tête!
Disait-il en voyant leur ombre avec douleur
Des taillis les plus hauts mon front atteint le faito;
Mes pieds ne me font point d'honneur.
Tout en parlant de la sorte,

Un limier le fait partir.

Il tache à se garantir;

1

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Dans les forêts il s'emporte :
Son bois, dommageable ornement,
L'arrêtant à chaque moment,
Nuit à l'office que lui rendent

Ses pieds de qui ses jours dépendent.
i se dédit alors et maudit les présents
Que le ciel lui fait tous les ans.

Nous faisons cas du beau, nous méprisons l'utile:
Et le beau souvent nous détruit.
Ce cerf blâme ses pieds qui le rendent agile;
Il estime un bois qui lui nuit.

X

LE LIÈVRE ET LA TORTUE

Rien ne sert de courir; il faut partir à point;
Le lièvre et la tortue en sont un témoignage.
Gageons, dit celle-ci, que vous n'atteindrez point
Sitôt
que moi ce but. Sitôt ! êtes-vous sage?
Repartit l'animal léger:

Ma commère, il vous faut purger
Avec quatre grains d'ellébore 1

Sage ou non, je parie encore.
Ainsi fut fait ; et de tous deux
On mit près du but les enjeux.
Savoir quoi, ce n'est pas l'affaire,
Ni de quel juge l'on convint.

Notre lièvre n'avait que quatre pas à faire;

J'entends de ceux qu'il fait lorsque, près d'être atteint,
Il s'éloigne des chiens, les renvoie aux calendes,

Et leur fait arpenter les landes.
Ayant, dis-je, du temps de reste pour brouter,
Pour dormir, et pour écouter

D'où vient le vent, il laisse la tortue

Aller son train de sénateur.

Elle part, elle s'évertue;

Plante que les anciens croyaient propre à combattre la folie.

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