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vigueur en Amérique du Sud exerce la mémoire de l'étudiant, et très peu sa raison, par suite de l'attitude passive à laquelle il est réduit. L'idéal, au contraire, serait l'appel à l'initiative, et la fusion entre deux grands principes pédagogiques: « Le principe de Spencer, d'après lequel l'enseignement d'une science doit reproduire en raccourci les étapes de sa découverte dans l'histoire, principe que les Nord-Américains ont baptisé du nom de rediscovery, et le principe de Herbert, relatif à l'intérêt, qu'il faut stimuler chez l'étudiant et qui peut être d'ordre esthétique, spéculatif, religieux, pratique ou social. »

<< Ce que je voudrais principalement, continue l'auteur, p. 100, c'est souligner les trois points suivants :

« Tout d'abord, il faut ennoblir le rôle de l'étudiant en le faisant collaborer à sa propre formation éducationnelle. A cette fin. l'on doit le soustraire à la passivité de nos méthodes actuelles. Il faut l'obliger à travailler, éveiller son initiative, bref arriver à ce que, dans la mesure du possible, ce soit lui qui observe, lui qui analyse, lui qui raisonne, lui qui fasse l'expérience, lui qui induise et qui conclue.

<< Il trouvera de la sorte, dans la vertu merveilleuse de l'effort per sonnel, la satisfaction de la difficulté vaincue ou au moins la conscience du progrès accompli.

«En second lieu, il faut relever la dignité du professorat, éviter de le réduire à jouer un rôle de maître d'école et de qui « fait des classes >> et doit obéir servilement aux programmes: donnons-lui, au contraire, toute latitude pour approfondir sa science, faire des recherches personnelles, dépasser le point de vue strictement pédagogique, se préoccuper de science pure et publier des travaux originaux.

<< Troisièmement et enfin, doit également se trouver ennobli le rôle de l'Université elle-même, laquelle est moins une « école » ou un « collège », qu'un établissement de recherches scientifiques ou un atelier de culture. N'oublions pas, en effet, que son rôle ne se borne pas à l'étude, mais qu'elle doit être avant tout l'organe collectif de la formation intégrale (mentale, affective, patriotique, etc.), de ceux qui auront le principal rôle dans l'orientation du pays... »

«Au demeurant, lisons-nous plus bas (p. 104), tout cela suppose comme condition préalable, une place plus digne faite au professorat. C'est du professeur, élément actif et vivant, que dépend toute réforme universitaire. C'est lui qui a une influence éducatrice décisive et qui peut former des individualités... »

L'auteur passe en revue les moyens de répondre à ce desideratum, mais nous ne le suivrons pas sur ce terrain.

Bornons-nous à donner les grandes lignes de sa conclusion, où l'influence des idées nord-américaines se manifeste encore: l'Université, suivant M. Colmo, ne doit point rester étrangère à la vie sociale, et devenir un asile « d'émigration à l'intérieur ». Elle devra s'adapter aux nécessités modernes. Après avoir été religieuse au moyen âge, elle est devenue classique. Il faut qu'une fois de plus elle change de structure et se fasse aujourd'hui « technique », c'est-à-dire appropriée aux besoins économiques de nations jeunes et en plein essor industriel et agricole.

F. LÉVÊQUE.

Joseph Anglade. Grammaire élémentaire de l'ancien français, 1 vol. in-12, v-273 pages, Librairie Colin.

Un Français qui a fait au lycée ses études classiques, un licencié ès lettres, voire un agrégé, rougit, quand il est à l'étranger, de son ignorance de l'ancien français. Il n'y a pas un professeur de français ou de langues romanes qui, dans les Universités étrangères, ne connaisse aussi bien la langue et la littérature (ou du moins la philologie) du moyen âge que la langue et la littérature (ou la philologie) des temps modernes; quelquefois même, ou souvent, ils la connaissent mieux. Qu'ils la connaissent mieux, c'est peut-être leur tort, car enfin il y a là un renversement des valeurs littéraires réelles et c'est à quoi l'on reconnaît l'influence de l'Allemagne, de ses philologues, qui ont coutume de sacrifier l'étude des littératures à l'étude des langues. Mais notre ignorance à nous est un autre tort. Il est honteux que nous ne connaissions que par ouï dire, en général, tout ce qu'ont produit nos ancêtres avant le xvi siècle nous avons lu quelques vers de la Chanson de Roland, mais dans une traduction ou dans quelque recueil de morceaux choisis copieusement annoté, et, mis en présence du texte, nous anonnons péniblement. Espérons que cela changera. ne prêche pas pour mon saint, n'étant pas médiéviste.

Je

Le petit livre de M. Anglade favorisera ce changement désirable. C'est un Manuel fort clair, condensé et cependant suffisamment complet, où l'on sent l'expérience de l'enseignement, et qui rendra les plus grands services, à ceux qui voudront lire nos anciens textes.

G. MICHAUT.

Daniel Halévy. Charles Peguy et les Cahiers de la Quinzaine, 1 vol. in-12, 249 pages. Librairie Payot.

Intéressante étude sur cet homme si original, si étrange, et aussi, chemin faisant, sur quelques autres « esprits directeurs des générations nouvelles », Romain Rolland, Claudel, Maurras. M. Halévy qui a bien connu Péguy en fait un portrait vivant et sympathique, sans craindre pourtant à l'occasion de signaler quelques faiblesses ou quelques manies chez son héros. Ces pages, d'ailleurs, ne font pas connaitre seulement Péguy lui-même; elles aident à comprendre mieux toute la génération au milieu de laquelle il a vécu, en expliquant pourquoi il réduisit, entraina, domina certains esprits, en heurta au contraire, en révolta ou, plus souvent, en agaça certains autres. C'est à la fois une étude de psychologie individuelle et de psychologie collective.

G. MICHAUT

Le Gérant: PAUL BOURGE.

Paris. Typ. PH. RENOUARD, 19, rue des Saints-Peres. 54572.

DE

L'ENSEIGNEMENT

LA RENTRÉE

DE L'ÉCOLE NORMALE SUPÉRIEURE

La séance de rentrée de l'École normale supérieure a eu lieu le 23 mars 1918 dans la salle des Actes, sous la présidence de M. Raymond Poincaré, Président de la République. De nombreuses personnalités assistaient à la cérémonie. M. E. Lavisse, membre de l'Académie française, directeur de l'École normale, a prononcé le discours suivant :

DISCOURS DE M. ERNEST LAVISSE

Monsieur le Président de la République,
Monsieur le Ministre,

Messieurs,

Mes jeunes camarades,

L'École normale, rassemblée après bientôt cinq années de dispersion, adresse sa première pensée pieusement à ses élèves morts pour la patrie. Nous leur promettons de garder et de perpétuer leur souvenir. Il ne nous suffira pas de graver sur le marbre la liste de leurs noms, si longue, hélas! Nous entreprendrons une histoire de l'École pendant la guerre; les documents en seront les centaines de lettres écrites à notre camarade Paul Dupuy; nos combattants y racontent leur vie, et en touté franchise et confiance, font part de leurs idées et de leurs émotions.

REVUE DE L'ENSEIGNEMENT.

Cette histoire sera glorieuse pour l'École; j'ose dire qu'elle sera honorable pour la France.

Que nos cœurs s'unissent aussi pour exprimer aux familles des morts notre sympathie douloureuse et profonde. Nous, normaliens, nous sommes nés de très modestes familles; nos parents ont voulu nous élever à une condition plus haute que la leur; pour y réussir, ils n'épargnèrent ni peines ni sacrifices; par un surcroît d'efforts et de privations, ils ont, en même temps que leur médiocre vie, gagné par avance la nôtre. Nous avons vu leur joie après le succès du fils, leur fierté, leurs espoirs. Aussi nous. comprenons, nous ressentons leur inconsolable douleur. A l'honneur de ces affligés, je dois dire nous en avons la preuve par d'admirables lettres qu'ils ont stoïquement accepté le cruel sacrifice à la patrie.

Maintenant, mes amis, survivants de la grande guerre, regardez vers l'avenir.

Vous venez d'être témoins et acteurs d'un drame inouï, dont le théâtre s'est étendu à toute la terre. Jour et nuit, vous avez peiné, vous avez souffert des maux inimaginables; vous avez vécu en contact continuel avec la mort à tout instant attendue et sous quelles formes horribles! Vous connaissiez l'objet de la lutte et la grandeur de l'enjeu, qui était le salut de la patrie, du droit et de la justice. Vainqueurs, vous avez vu crouler des empires, une volée de dynasties s'enfuir à tire d'aile, et, en même temps, apparaître en Europe et dans l'antique Asie des revenants échappés de tombes que l'on croyait closes pour l'éternité. Aujourd'hui, vous suivez les débats d'une Conférence mondiale. Les voix les plus diverses y parlent; d'antiques querelles s'y ravivent; des ambitions, des égoïsmes, des haines, legs du passé, obstruent l'avenir. Mais il est permis d'espérer que le concile œcuménique des gouvernements qui siège à Paris parviendra, malgré tant de difficultés, à rédiger quelques articles d'un Credo pour une humanité sans doute lointaine encore.

Toutes ces grandes choses, vous les avez vues; pour votre part vous les avez faites. Quel emploi de votre jeunesse! Jamais, depuis le commencement de l'Histoire, génération ne reçut une éducation comparable à la vôtre, l'humanité, non point abstraite, mais en chair et en os, vous a révélé à la fois ses plus nobles et ses pires instincts. Vous êtes à un de ces tournants de l'Histoire où, dans le vent qui souffle en tempête, tourbillonnent comme feuilles mortes des hommes et des choses qui se croyaient sûrs de durer toujours. La ruine du passé vous permet sur l'avenir

des vues larges et neuves. Enfin chacun de vous a fait la connaissance et l'expérience de lui-même, s'est jugé, a jugé sa vie et, mieux encore, a jugé la vie dans les heures de méditation sous le regard grave de la mort. Vous êtes prêts pour l'accomplissement des devoirs qui vous attendent.

Qui vous attendent: car la génération des soldats de la grande guerre a une mission à remplir. Nous avons besoin qu'elle apporte à notre régime politique si imparfait, à notre régime social plus imparfait encore, des activités toutes fraiches. Qu'elle prenne tout entière conscience de sa dignité collective; surtout qu'elle ne se dissémine pas, un par un, dans les vieux cadres, au risque de s'enlizer dans les vieilles routines; qu'elle demeure unie, marquant et gardant sa place distincte. Il semble bien, d'ailleurs, qu'elle y soit résolue. Des groupements se forment un peu partout; on parle, et je sais qu'on en a parlé ici même d'une Association nationale des anciens combattants. L'entreprise est vaste et difficile. Puisse-t-elle réussir! Si cette ligue s'organise en cercles régionaux, si elle manifeste son unité par des assises générales régulières, si elle parle en des moments graves comme il en faut prévoir; si, en face des discordes et pour leur faire honte, elle dresse le souvenir des grands jours de l'union sacrée. sa voix sera écoutée par la France. Notre patrie sait à qui elle doil son salut et sa gloire.

Reste, bien entendu, que, qui que vous soyez, en quelque condition que vous viviez, vous accomplissiez les devoirs de votre profession. Le vôtre, mes amis, est d'être les éducateurs. qui, en ce temps, conviennent à notre pays; car l'éducation, si elle a d'éternels et immuables principes, est influencée par les circonstances changeantes des moments successifs.

Par exemple, jamais nous n'eûmes tant besoin d'intelligences exercées au jugement personnel, capables de se résoudre pour des raisons à elles, autonomes, aptes à des initiatives; il nous faut, en nombre, des individus forts. Vous combattrez donc ce vieil ennemi, remparé derrière une longue accoutumance, la passivité scolaire.

Par exemple encore, jamais non plus ne fut si nécessaire le consentement des individus à une discipline commune. Vos élèves sauront par vous que le temps est passé du quant à soi; en un temps comme le nôtre, c'est si peu de chose, soi! Vous les préviendrez contre l'indifférence égoïste, la veulerie, la critique blagueuse qui démolit tout et ne reconstruit rien, il faut que tout le monde travaille, que chacun, selon ses moyens,

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