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L'Université belge 'd'Utrecht, qui vit le jour en même temps que celle d'Amersfoort, fut l'œuvre personnelle et exclusive de M. Schrijnen. En dépit de difficultés multiples, il greffa sur l'enseignement universitaire hollandais une université belge. On ne saura jamais ce qu'il lui en coûta de peines, de démarches, d'argent même. Il fut tout à la fois un ministre de l'Instruction publique, un ministre des finances, un recteur, voire un vicerecteur. Par la voie des journaux, il appela à Utrecht tous les étudiants qui s'étaient réfugiés en Hollande; il leur fit accorder la gratuité des cours et il leur procura gratuitement ou à un prix dérisoire le logement et la nourriture; enfin, il arrêta un programme de cours qui reproduisait celui de notre jury central. Cette œuvre ardue menée à bien, il songea à organiser des examens et à en faire admettre la légalité; mais il rencontra aussitôt, ici des hésitations, là une vive opposition. Si on reconnaissait que le dévoué professeur d'Utrecht voulait servir la Belgique, en appelant à l'activité des jeunes gens qui étaient des désœuvrés, en assurant au pays, au lendemain de la paix, de fortes recrues intellectuelles », comme il le disait lui-même, on soutenait qu'il faisait fi et de la décision prise par nos universités de ne pas ouvrir leurs cours, et de la présence d'un grand nombre d'étudiants dans les rangs de l'armée belge combattant à l'Yser. Malgré le malaise que créait cet état des esprits, une douzaine d'étudiants subirent, en 1915, des examens devant une commission composée de Hollandais et de Belges. Ces jeunes gens, la plupart de première et de seconde année, avaient compris que c'était pour eux un devoir moral, et, si je puis m'exprimer ainsi, intellectuel de se soumettre à une épreuve qui prouverait qu'ils avaient travaillé. Les résultats furent brillants, du témoignage même des professeurs hollandais. En fait, ces jeunes gens ou n'étaient pas encore en âge de servir, ou étaient dûment réformés. Quelques jours plus tard, la plupart d'entre eux, ayant l'âge requis, partirent pour le front: munis de leur certificat ou de leur diplôme, ils purent être admis à la souslieutenance. M. Schrijnen, d'accord avec les professeurs belges siégeant dans les jurys, avait trouvé une solution qui devait faire tomber toutes les objections. Il ne commettait pas une injustice à l'égard de nos vaillants étudiants qui étaient au front, puisque les jurys n'admettaient aux examens que les internés et les jeunes gens qui n'avaient pas l'âge requis pour le service militaire ou

qui étaient réformés. En même temps que le savant professeur d'Utrecht continuait vaillamment son œuvre, toute de dévouement et de générosité, il s'entendait avec les Universités de Fribourg et de Lausanne, qui suivirent l'exemple de la Hollande. Il put finalement faire espérer à tous ses jeunes gens -ils furent plus de quatre-vingts que la validité de leurs certificats et de leurs diplômes serait reconnue par le législateur belge, car un arrêtéloi du 15 septembre 1918, pris par le Gouvernement du Havre, portait, en effet, en son article 2:

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<< Pendant la durée de la guerre, les jurys constitués par le Gouvernement pour la collation des grades académiques légaux décideront si l'équivalence peut être admise entre les diplômes et certificats belges et les diplômes et certificats conquis à l'étranger par les récipiendaires qui se présenteront devant eux (1). »

Cet arrêté ne prévoyait l'intervention des susdits jurys que pendant la durée de la guerre.

Il y avait donc lieu de légiférer à nouveau. C'est ce qu'ont fait nos Chambres par la loi du 7 mai 1919.

Au lieu de laisser au seul jury central (2), dont les sessions, dans les circonstances actuelles, ne sauraient se prolonger sans inconvénient pour les études universitaires, le soin de se prononcer sur les équivalences, la loi étend cette aptitude aux jurys des quatre universités et aux jurys spéciaux institués pour des établissements déterminés de Namur et de Bruxelles (3) mais elle refuse strictement toute faveur aux jeunes gens, Belges ou originaires d'un pays allié, qui n'auraient pas satisfait à leurs obligations militaires. Il ne fallait pas qu'un réfractaire, ayant pu continuer ses études parce que réfractaire, pût jouir d'avantages accordés aux récipiendiaires qui ont fait leur devoir.

Toutefois, l'examen des demandes d'équivalence relatives à des diplômes ou titres finaux est exclusivement réservé au jury central, en vue de mieux sauvegarder l'unité de jurisprudence.

Cette disposition s'inspire, d'ailleurs, de l'article 50 de la loi

(1) Au congrès international de l'enseignement supérieur et de l'enseignement secondaire, tenu à Paris en 1889, on a discuté l'équivalence internationale des études et grades. Voir la Revue internationale de l'Enseignement, 15 août 1889, et notre article de la Revue Générale, octobre 1889: Le Congrès international de l'enseignement supérieur et de l'enseignement secondaire à Paris.

(2) Le jury central est composé de professeurs appartenant à chacune des quatre Universités et présidé par un représentant du Gouvernement. I siège à Bruxelles.

(3) Ces jurys sont réservés aux Facultés isolées de ces deux}villes.

du 10 avril 19003 juillet 1891 relatif aux dispenses que com porte la possession d'un diplôme obtenu à l'étranger (1).

Mais la loi du 7 mai 1919 va plus loin que ne le prévoit cet article 50.

Celui-ci ne permet, en effet, d'accorder de dispenses qu'aux porteurs d'un diplôme de licencié, de docteur ou de pharmacien, obtenu à l'étranger, sans s'inquiéter de la nationalité de l'intéressé.

Le paragraphe 2 de l'article 2 de la loi du 7 mai 1919 permet d'octroyer l'équivalence à tout titre ou diplôme final ayant son correspondant comme diplôme légal belge, mais il requiert de l'impétrant la qualité de Belge.

Le droit commun reste donc applicable aux étrangers, en ce qui concerne le diplôme final, mais non en ce qui concerne les diplômes, titres ou certificats intermédiaires.

Les équivalences peuvent être accordées purement et simplement ou à la suite d'une épreuve complémentaire dont les matières sont déterminées par le jury compétent.

L'article 5 répond à une demande d'étudiants que l'état de guerre a mis dans la nécessité d'entreprendre leurs études supérieures en Allemagne, mais qui désirent les continuer en Belgique, pour autant qu'il soit tenu compte de leur préparation antérieure et bien que celle-ci ne soit mentionnée par aucun titre.

Le Gouvernement examine chaque cas en particulier et peut seul accorder les dispenses nécessaires, sur l'avis conforme des Facultés universitaires intéressées.

Enfin, les Universités peuvent conférer à ces étudiants des certificats et des diplômes, bien qu'ils n'aient pas été leurs élèves.

Il convient de ne pas perdre de vue que ces mesures qui, à première vue, paraissent très larges, sont essentiellement transi

(1) Art. 50: « Le Gouvernement est autorisé, sur l'avis conforme du jury central chargé de délivrer les diplômes de docteur ou ceux de pharmacien, à accorder des dispenses aux personnes qui ont obtenu, à l'étranger, un diplôme de licencié, de docteur, de pharmacien ou un titre équivalent, pour autant que ce diplôme ou ce titre leur confère le droit d'exercer, dans le pays où il a été délivré, l'art ou la profession auxquels doit correspondre la dispense.

En ce qui concerne l'art de guérir, la dispense ne peut être accordée qu'à ceux qui sont admis à exercer, à la fois, dans le pays où ils ont été diplomés, la médecine, la chirurgie et l'art des accouchements.

En ce qui concerne les pharmaciens, ils auront, en tout cas, à subir un examen sur la pharmacopée belge.

toires et ne seront applicables que jusqu'au 31 décembre 1920. On le voit le législateur a donné raison à M. Schrijnen. La validité des quatre-vingts diplômes délivrés par l'Université belge d'Utrecht pourra être reconnue d'autant plus facilement qu'il a eu soin de suivre le programme du jury central.

En arrachant au désœuvrement des jeunes gens qui avaient satisfait à leurs obligations militaires, en leur permettant d'acquérir des connaissances qu'ils pourront un jour mettre au service de leur patrie, le dévoué et généreux professeur d'Utrecht a fait une œuvre hautement méritoire.

Est-il nécessaire de le dire en terminant ce modeste article? Comme ceux d'Amersfoort, les étudiants belges d'Utrecht ont voulu, avant de quitter la Hollande, témoigner leur vive et profonde reconnaissance à M. Schrijnen, d'abord, à l'Université, ensuite. Cette double manifestation a été des plus cordiales. Une pierre avec une inscription rappellera le séjour de nos étudiants à Utrecht.

F. COLLARD,

Professeur à l'Université

de Louvain

LA LICENCE EN DROIT

ET LES ÉTUDIANTS DÉMOBILISÉS

Les observations, qui suivent, ne prétendent pas apporter une contribution de fond au problème, une fois de plus posé, de la réorganisation des études de droit, problème trop gros en soi, pour que la solution en puisse être improvisée. Leur visée est beaucoup plus modeste.

Elles ont été suscitées par le désir d'offrir quelque possibilité de réalisation pratique, en ce qui concerne seulement la licence en droit, à la première disposition de l'article 4 du deuxième décret du 10 janvier 1919, ordonnant des mesures réparatrices en faveur de certains étudiants, mobilisés pendant la guerre, laquelle disposition est ainsi conçue: « Pour les étudiants visés à l'article premier (étudiants de la classe 17 et des classes antérieures, qui ont été sous les drapeaux pendant la guerre), les enseignements et les programmes pourront être disposés de manière à réduire à une durée de six mois les études correspondant à une année scolaire. » (Le reste de l'article 4 n'intéresse pas les étudiants en droit.)

Dans l'état actuel des choses, avec notre organisation effective des études et des examens de la licence en droit, pareille disposition semble, à priori, destinée à rester lettre morte; ou, plutôt même, son application ne pourrait aboutir qu'à supprimer l'enseignement, proprement dit, des Facultés de droit, pour les jeunes gens désireux d'en bénéficier. Ceux-ci devraient se résigner à travailler seuls, sur les livres, ou à recourir aux répétitions privées, sans espoir sérieux de se présenter, avec une préparation suffisante, à des examens devenus extrêmement lourds, dans les conditions prévues par le décret du 10 janvier 1919

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