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rayonne encore éclatant sous le soleil des libertés modernes, en cette Sorbonne vénérable et rajeunie, les Maîtres qui vous entourent, qui continuent ici les traditions françaises de clarté, d'amour des choses bien ordonnées, et qui dans le monde immense de la pensée humaine découvrent chaque jour des domaines nouveaux où ils ne veulent pas se contenter de tracer des sentiers broussailleux, mais où ils entendent ouvrir de grandes routes lumineuses et droites, ces Maîtres éminents se joignent, pour vous souhaiter la bienvenue, aux disparus, à ceux des temps lointains qui eussent été bien étonnés mais charmés s'ils avaient su qu'un jour viendrait siéger au milieu des souvenirs qu'ils nous ont légués un homme arrivant d'un pays dont ils ne soupçonnaient pas l'existence et qui, comme eux, tiendrait fermement le flambeau qui éclaire la civilisation, à ceux aussi quí nous ont quittés récemment, depuis le commencement de la grande lutte, et qui, comme mon éminent et regretté prédécesseur, ont été enlevés avant le triomphe, mais qui, les yeux tournés vers l'Amérique, avaient pleine confiance qu'elle nous apporterait l'appui décisif qui permettrait de repousser la barbarie, et tous, Monsieur le Président, vivants ou morts, s'inclinent devant vous et vous rendent grâce de vouloir bien prendre place dans leur long et glorieux cortège.

Il n'appartient pas à l'Université de louer votre action gouvernementale; nous laissons la parole à l'Histoire qui mettra votre nom à côté de ceux de Washington et de Lincoln et qui dira comment, à l'intérieur, vous avez lutté contre les privilèges, comment, à l'extérieur, vous avez orienté votre pays vers le grand rôle de champion de la justice; elle dira aussi comment recevant les inspirations du peuple américain, lui .communiquant les vôtres, vous avez pris, un jour de gloire, une détermination qui est l'un des plus grands événements que les hommes aient eu à enregistrer et comment vous avez, selon votre propre expression, mis généreusement tout le sang et toute la puissance de l'Amérique au service des principes qui lui ont donné l'existence; elle dira. enfin comment vous avez cherché à réaliser la suprématie impérissable du droit au moyen d'une association des peuples libres qui libérerait le monde.

Certes nous n'avons pas fermé les yeux devant tous ces titres éclatants que vous avez acquis à la reconnaissance éternelle des démocraties lorsque nous vous avons demandé de vouloir bien joindre votre nom glorieux à ceux de nos docteurs qui ont, eux aussi, dans la sphère limitée où ils pouvaient agir, travaillé dans

la suite des temps au progrès de la civilisation, mais nous avons eu une pensée qui correspond plus exactement à notre rôle particulier et modeste et nous avons voulu que notre premier docteur d'honneur fût un homme de Science éminent et un Universitaire illustre.

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M. le Doyen de la Faculté de Droit vient de nous rappeler avec toute l'autorité de sa haute compétence les savants ouvrages qui vous ont donné parmi les Maitres des sciences politiques une place éminente et qui s'inspirent d'une doctrine ferme et constante; depuis votre livre sur le « Gouvernement congressionnel où, abordant les problèmes les plus délicats du droit constitutionnel, vous souhaitiez, prévoyant l'avenir, que l'Amérique trouvât un homme d'État capable de construire, jusqu'au volume si pratique que vous avez ensuite publié : « l'Etat, éléments de politique historique » où vous démontrez avec force que l'art de l'homme de gouvernement doit être aujourd'hui d'éveiller, de susciter, de diriger la puissance mal coordonnée des majorités, partout, dans vos écrits, apparaissent la même conception de la nécessité d'un gouvernement fort et le même respect du droit souverain dont vous avez dit et prouvé par vos actes qu'il était plus précieux à vos yeux que la paix elle-même.

De son côté, M. le Doyen de la Faculté des Lettres a parlé avec la finesse habituelle de son esprit attique de vos œuvres littéraires et historiques; dans vos articles sur les hommes politiques anglais, dans votre grande biographie de Washington, dans vos volumes d'essais, on admire l'élévation d'une pensée toujours exprimée avec une grande dignité et l'on devine l'ardeur d'un homme qui sait écrire, mais qui voudrait agir. Pour apprendre vous-même l'histoire de votre pays, histoire que vous étiez destiné à continuer si glorieusement, vous avez voulu, avez-vous dit, l'écrire et vous avez fait paraître cette histoire populaire du peuple américain qui, selon vos intentions, a été sans doute pour vous le flambeau qui, éclairant le passé, projette ses lueurs sur l'avenir et, pour vos compatriotes, le moyen le plus sûr de voir juste dans les questions présentes et de prendre les décisions les plus conformes aux grands intérêts moraux du pays.

Permettez maintenant au Recteur, Président du Conseil de l'Université de Paris, de rappeler que vous avez été et que vous restez un Universitaire illustre et un Professeur admirable, ce sont ces titres que nous voulons évoquer en ce jour; il est naturel que nous les tenions en particulière estime et qu'ils soient chers à nos cœurs.

Universitaire, vous l'étiez déjà quand, dans votre jeunesse, vous étudiiez à l'Université de Virginie; universitaire, vous avez voulu rentrer dans la famille d'où vous sortiez quand vous avez accepté la chaire de jurisprudence de la noble Université de Princeton où vous aviez terminé vos études; universitaire enfin vous demeuriez quand, arrivant au sommet, vous avez été choisi comme Président de cette ancienne Université à laquelle votre nom restera attaché, comme l'était déjà le grand souvenir de Washington qui y écrivit son inoubliable adieu à l'armée.

Si votre carrière fut ainsi, jusqu'à votre entrée dans la vie politique, la suite régulière et brillante des étapes que parcourent les professeurs les plus éminents, elle s'est continuée dans des champs plus vastes où nous n'avons pas qualité pour vous suivre mais où, il nous sera bien permis de le dire, vous avez conservé les habitudes et la méthode d'un éducateur.

Aussi bien personne n'a mieux compris et n'a parlé en termes plus heureux que vous de cet esprit qui doit animer les Universités et de la position qu'elles doivent occuper dans une démocratie. Dans l'adresse inaugurale que vous avez prononcée quand vous prîtes possession de la Présidence de l'Université de Princeton, vous disiez nettement que les Universités sont faites pour une élite, pour le petit nombre des esprits qui peuvent concevoir, organiser, surveiller, mais que les démocraties réclament de tels serviteurs comme les autres régimes et que les Universités qui ont la tâche de les former sont essentiellement des institutions démocratiques. Le monde a besoin d'un libre capital intellectuel toujours disponible pour les entreprises, tant spirituelles que matérielles, qui assurent les progrès de la race, et c'est aux Universités qu'il appartient de constituer ce capital en faisant des hommes qu'elles reçoivent autre chose que des hommes de métier.

Pour discipliner et former ces esprits, vous avez toujours pensé qu'il n'y avait pas de meilleur instrument que la culture classique, l'étude des langues anciennes, la pratique de l'histoire et l'entraînement aux mathématiques. Vous êtes partisan convaincu d'une culture complète, vous avez le respect de la tradition, vous proclamez que le passé de l'homme ne peut et ne doit être oublié; vous établissez avec force qu'une éducation intellectuelle qui ne développerait que la connaissance des faits scientifiques, négligeant la beauté et les idées morales, serait funeste parce qu'elle porterait à dédaigner les leçons du passé et à n'apprécier que les nouveautés dont certaines sont éphémères et

transitoires. Par ce sentiment si clair des besoins de l'intelligence, par ce respect de la tradition, vous vous rapprochez de nos grands éducateurs français et les méthodes que vous préconisez sont celles qui sont pratiquées ici; la culture que vous désirez est voisine de la nôtre et fort éloignée de cette culture hostile que d'autres ont tant vantée et qui, par l'abus des procédés matériels, des compilations touffues de faits indigestes, n'avait de la profondeur que l'obscurité et éloignait l'esprit de ces sentiments de vérité et de justice que se sont fidèlement transmises les générations de votre pays et celles de la France.

Ces nobles idées que vous souteniez comme Président d'Université, vous ne les avez pas oubliées quand l'ardente confiance populaire vous éleva à la Présidence de l'État de New Jersey, puis, par deux fois, au poste suprême, à la Présidence de la République; professeur né, vous êtes resté professeur; mais votre chaire est devenue une tribune d'où votre parole retentit dans tout l'univers civilisé; vous démontrez, vous enseignez, vous prouvez, et avec une logique serrée, une méthode persuasive et scientifique, vous étudiez devant le monde entier les problèmes politiques les plus difficiles, et vous amenez l'adhésion des esprits aux grandes idées de droit et de liberté que vous concevez si clairement.

Aussi, Monsieur le Président, tous ceux qui, à des degrés différents, ont l'honneur de participer à la grande œuvre de l'éducation. publique sont-ils fiers de vous réclamer comme le premier d'entre eux; ils savent que vous ne renierez pas votre passé d'éducateur et voilà pourquoi nous avons tant désiré vous accueillir aujourd'hui au milieu de la grande famille universitaire de France qui se sent si près de vous et vous admire. Elle a tenu à s'associer tout entière à l'hommage que vous rend notre Université et vous voyez ici les Recteurs de toutes les Universités de France et des représentants des divers ordres d'enseignement, tous réunis dans le même sentiment de respectueuse reconnaissance à l'égard de l'illustre Président des États-Unis, du nouveau et très aimé citoyen de Paris.

Permettez-moi aussi d'ajouter qu'en ce jour où vous nous faites l'honneur d'accepter un titre qui vous attache à nous, notre pensée va aussi à vos anciens collègues, à ces savants professeurs des Universités américaines dont l'enseignement a un si grand éclat et qui entretiennent avec les nôtres, depuis de longues années, les relations les plus cordiales de fraternité intellectuelle; plusieurs d'entre eux ont bien voulu venir enseigner ici même,

REVUE DE L'ENSEIGNEMENT.

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et leurs leçons restent dans la mémoire de ceux qui ont eu le bonheur de les entendre; depuis les débuts de la guerre, ils ont manifesté pour la cause française, devenue par la suite notre cause commune, une sympathie qui nous fut bien précieuse et pleine de réconfort; nous n'oublions pas non plus l'accueil cordial que vos Universités ont toujours réservé à ceux de nos Maîtres qui ont été professer aux États-Unis; j'en vois plusieurs autour de nous qui pourraient témoigner de leur reconnaissance et dire les précieux souvenirs qu'ils gardent de leur séjour dans votre pays et je crois bien qu'il est juste de dire que ces échanges de Maîtres illustres, d'étudiants avides de science, cette pénétration réciproque de la pensée de deux grands peuples, cette communion des esprits dans le domaine des Vérités n'ont pas élé étrangers à l'union qui devait si heureusement rapprocher les deux nobles nations à l'instant le plus grave de leur histoire.

Et comment ne songerions-nous pas en ce moment à vous, glorieux étudiants américains, devenus les frères d'armes des chers et héroïques enfants de nos Universités ! Vous travailliez paisiblement à acquérir la connaissance du beau et du vrai, vous meniez la vie heureuse de ceux qui marchent avec allégresse sur le chemin de la Science, l'avenir vous souriait et le présent était plein de douceur. Subitement, le grand devoir vous a appelés; avec ardeur et enthousiasme vous vous êtes préparés à la guerre, à la plus juste des guerres; vos Universités hâtivement et fièrement se sont transformées en Écoles militaires. Vous avez prouvé que la culture universitaire prépare à toutes les nobles missions parce qu'elle enseigne l'ordre et la discipline de l'esprit, et rapidement vous êtes devenus ces jeunes et solides officiers qui ont conduit vos armées à la victoire.

Hélas! beaucoup d'entre vous ne rentreront pas dans leur patrie bien-aimée; ils sont tombés sur le sol de cette France où ils avaient senti, nous l'espérons, qu'ils n'étaient pas sur une terre étrangère; ils ont légué à la jeunesse de nos deux républiques un immortel exemple d'union fraternelle et, désormais, les étudiants des pays qui ont lutté et vaincu ensemble pour la liberté du monde voudront d'un même cœur, unis dans la vie comme leurs aînés l'ont été dans la mort, travailler dans la paix restaurée pour que soit toujours plus haute la dignité de la justice et plus resplendissante la splendeur du droit.

Gloire aux étudiants américains, gloire aux éminents professeurs de leurs Universités, gloire à vous, Monsieur le Président, qui êtes le premier parmi ceux-ci.

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