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Il ne faut pas que les médecins actuels des hôpitaux de Paris s'imaginent qu'ils pourront conserver impunément leurs vieux statuts. Le public est très averti depuis plusieurs années de tout ce qui se passe dans le monde médical; et le public, à tort ou à raison, est, à l'heure actuelle, complètement orienté du côté de la spécialisation. Il l'est même beaucoup trop, à notre sens. Mais il y a des courants d'opinion contre lesquels on ne peut réagir; . il faut les reconnaitre, les étudier et les comprendre pour pouvoir arriver à les diriger.

Si la Société médicale des hôpitaux n'accepte pas le principe de la spécialisation et ne le réglemente pas, il est à craindre qu'elle ne perde, avant qu'il soit longtemps, certaines de ses prérogatives, et qu'elle ne soit peu à peu dépossédée de certains services, parce qu'elle n'aura pas voulu s'annexer telle ou telle spécialité. Il existe déjà, en dehors des médecins et des chirurgiens des hôpitaux, des accoucheurs des hôpitaux, des ophtalmologistes des hôpitaux, des oto-rhino-laryngologistes des hôpitaux, des dentistes des hôpitaux. Chacune de ces nouvelles corporations a son concours spécial, son autonomie. En persistant dans notre intransigeance, n'allons-nous pas fatalement à notre émiettement complet? Il est beau d'être attaché à de vieux principes; mais l'histoire nous apprend qu'en le faisant avec trop de rigueur on est submergé par le progrès. Repousser toutes les modifications utiles, alors que dans toutes les sphères tout se transforme avec une inconcevable rapidité, c'est manifester une volonté de suicide qu'une grande corporation comme la Société médicale des hôpitaux de Paris ne peut vraiment pas afficher. Les temps ont marché depuis qu'elle a refusé d'examiner une proposition de l'Administration générale de l'Assis ́tance publique demandant qu'on confiât les services spéciaux à des hommes préparés par leurs études à les diriger. Elle ne peut plus désormais se dérober à la spécialisation.

Comment peut-elle accomplir cette réforme tout en conservant sa suprématie?

Avec les idées qui ont actuellement cours au sujet des spécialistes, c'est évidemment assez troublant. La tendance qui domine depuis nombre d'années dans les jeunes couches médicales est qu'il faut se spécialiser aussitôt que possible, avant même d'avoir fini son internat dans les hôpitaux (nous ne parlons ici que de l'élite médicale). Les nouveaux spécialistes n'admettront jamais qu'on puisse leur demander une très forte instruction. médicale générale et qu'on ne leur ouvre la porte de la Société

médicale des hôpitaux qu'après être sortis vainqueurs du concours qui, jusqu'ici, en a seul-permis l'accès.

Nous disons très franchement que nous trouvons cette tournure d'esprit déplorable. Pour nous le spécialiste ne doit pas être un médecin incomplet, n'ayant qu'une instruction rudimentaire de médecine générale; il doit être, au contraire, un médecin d'ordre supérieur possédant tout d'abord à fond toute la pathologie médicale, puis se spécialisant dans une de ses parties. C'est ainsi que nous comprenons le spécialiste des hôpitaux.

Il nous parait illogique et dangereux de supprimer pour ceux qui veulent se spécialiser, tout en briguant le titre de médecin des hôpitaux et les prérogatives qui y sont attachées, le sévère concours de médecine générale qui leur permettra d'être admis dans le corps des médecins des hôpitaux de Paris, et de le remplacer pour eux purement et simplement par des concours `spéciaux.

Nous allons dire comment il est possible de spécialiser les pédiatres, les neurologistes, les dermatologistes, les syphiligraphes, lorsqu'ils auront été nomniés médecins des hôpitaux par le même concours que leurs autres collègues. S'ils continuent à consentir à ce dur sacrifice, ils formeront sans conteste une élite vraiment supérieure et indiscutable. Mais il est certain que si la Société médicale des hôpitaux veut éviter de nouveaux émiettements, si après avoir vu essaimer ceux que nous avons nommés plus haut, elle ne veut pas voir se créer en dehors d'elle des électrothérapeutes et peut-être des syphiligraphes ou des vénéréologistes, elle sera obligée d'envisager dans un avenir. plus ou moins prochain la possibilité de nouvelles combinaisons. Peut-être le moyen terme suivant pourrait-il tout concilier. Comme l'Académie des Sciences, comme l'Académie de Médecine, la Société médicale des hôpitaux serait divisée en sections d'importance proportionnelle au nombre de services dévolus à chaque spécialité médecine générale, pédiatrie, neurologie, gynécologie, dermato-syphiligraphie, etc.

Pour être admis dans le corps des médecins des hôpitaux ainsi reconstitué, il faudrait subir un premier concours qui n'aurait pour objet que la médecine générale, et qui permettrait de n'admettre aux concours ultérieurs que des sujets d'élite ayant : 1° une instruction médicale générale suffisante; 2° du sens clinique; 3° des dons d'enseignement.

Nous n'avons pas la prétention de dire comment devraient. être composées les épreuves de ce concours. Il nous semble

cependant a priori qu'il devrait y avoir une épreuve théorique, ou mieux deux épreuves théoriques, l'une orale, l'autre écrite, et au moins deux épreuves de malades, l'une orale, l'autre écrite, analogue à celle que l'on appelle, dans le concours des hôpitaux, la consultation écrite avec discussion du diagnostic et du traitement. Ceux qui auraient subi victorieusement les épreuves de ce premier concours, seraient admis à s'inscrire comme candidats dans telle ou telle section pour y subir les épreuves définitives qui consisteraient en des concours spéciaux. Nommés à ces derniers concours ils seraient médecins titulaires des hôpitaux de Paris, et membres de la Société médicale des hôpitaux; mais ils seraient inscrits dans la section dont ils auraient subi le concours spécial, et ils ne pourraient jamais changer de section.

Ce n'est bien évidemment là qu'une esquisse à peine ébauchée de ce projet. Il sera temps de le préciser et d'en étudier les détails quand la Société médicale des hôpitaux décidera de le prendre en considération. Mais nous croyons que pour le moment nous ne devons pas y compter. C'est, en effet, une réforme bien radicale pour qu'elle ait une chance quelconque d'être adoptée dans l'état actuel des esprits.

(A suivre.)

Dr A.-J.-Louis BROCQ.

A L'ÉCOLE DES HAUTES ÉTUDES COMMERCIALES

CRÉATION DE COURS SPÉCIAUX DE SCIENCES COMMERCIALES ET ADMINISTRATIVES

Nous recevons de M. le Président du Conseil d'Administration de l'École des Hautes Études Commerciales la lettre suivante :

Paris, le 21 mars 1919.

Monsieur le Directeur,

Dans son numéro 1-2 (janvier-février 1919), la Revue Internationale de l'Enseignement a publié un article de M. Henri Schoën, intitulé : Une nouvelle Ecole de chefs pour notre industrie nationale et notre commerce en France et à l'étranger, où l'auteur expose les traits principaux d'une

création récente de notre École des Hautes Études Commerciales. Tout en vous remerciant des appréciations élogieuses que votre Revue consacre à cette œuvre d'enseignement supérieur technique, je vous demande la permission de soumettre à vos lecteurs quelques précisions et rectifications nécessaires.

Il ne s'agit pas, en effet, de la création d'une nouvelle École distincte de l'École des Hautes Études Commerciales: notre Conseil d'administration, sur l'heureuse initiative de notre distingué Directeur M. Burnier, a présenté à la Chambre de Commerce de Paris, dont dépend notre École, un projet de Cours spéciaux de Sciences Commerciales et Administratives, pour ingénieurs, administrateurs industriels et commerçants ». J'ai été chargé, par mes collègues, de présenter à la Chambre de Commerce le rapport justifiant cette création; notre Compagnie en a approuvé les conclusions après qu'il en eut été délibéré par le Conseil d'Administration de notre École, qui est formé de membres de la Chambre de Commerce.

Il ne s'agit donc pas d'une école spéciale distincte de l'École des Hautes Études Commerciales et destinée à fonctionner dans un local indépendant, mais de cours spéciaux créés par la Chambre de Commerce de Paris dans les locaux de son École des Hautes Études Commerciales et formant une annexe de cette École.

Veuillez agréer, monsieur le Directeur, l'assurance de ma considération la plus distinguée,

Le Président du Conseil d'Administration:

Max LECLERC.

BIBLIOGRAPHIE ET COMPTES RENDUS

Albert Dauzat. L'Argot et la Guerre, d'après une enquête auprès des officiers et des soldats, 1 vol. in-12, 295 pages. Librairie Colin.

Depuis 1914, on s'est beaucoup intéressé à l'argot de la guerre, petit côté du grand drame qui occupe nos esprits et nos cœurs. Mais quelle valeur a tout ce qu'on nous en a dit? à quelle source a-t-on puisé les mots ou les expressions qu'on nous a si libéralement servis? et sommes-nous sùrs qu'on nous a présenté les véritables créations des «poilus» et non les fantaisies des journalistes ou conteurs de l'arrière? M. Dauzat, lui, a fait une enquête directe auprès des officiers et des soldats; et le butin qu'il a recueilli porte avec lui sa garantie d'authenticité c'est une grande supériorité pour son livre. Après un chapitre général d'introduction sur le langage de la guerre, il étudie successivement les mots anciens (argot de caserne, argot parisien, jargons divers) repris et généralisés dans l'armée, les mots nouveaux, les em prunts aux patois, aux parlers régionaux, aux langues étrangères, les changements de sens, les changements de forme et enfin les argots spéciaux aux armes différentes, aux corps appelés à vivre au milieu de peuples différents, aux prisonniers. Dans tout cela, il y a beaucoup à prendre. Je signalerai notamment la réfutation de la théorie assez en vogue qui fait de l'argot un « langage secret créé consciemment pour la défense du groupe »; eh bien! l'argot des prisonniers est essentiellement caractérisé par l'emploi de nombreux mots allemands en quoi cela était-il de nature à rendre le langage des prisonniers inintelligible à leurs gardiens? - Quelques observations de détail, Sur les 2000 mots recueillis, un tiers seulement paraît une véritable création de la guerre; le reste est tiré du vieux fonds argotique parisien ou militaire ou constitué par des provincialismes: à la réflexion, c'est assez naturel; mais on aurait été tenté d'exagérer la proportion des créations nouvelles. -- Les traductions maladroites, « pertes sévères » par exemple, ont donné des sens nouveaux à certains mots français ou nous ont habitués à des constructions anormales jusqu'ici. On peut vraiment s'étonner que nos agences et nos ministères n'aient pas su trouver au moins pour l'anglais et l'allemand - des traducteurs qui sussent aussi le français : je me rappelle notamment l'anglais formal de pure forme, traduit par formel (protestation formelle) ce qui est à peu près le contraire, et l'allemand ehrenvoll : plein d'honneur, traduit par honorable (paix honorable), ce qui donne au mot un sens

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