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haute que l'autre, et d'ailleurs il était affez poli, comme fes portraits le témoignent : on en fait un vilain bossu, et on lui donne un visage affreux. Il a fait des actions cruelles; on le charge de tous les crimes, de ceux mêmes qui auraient été vifiblement contre ses intérêts.

La même chofe eft arrivée à Pierre de Caftille furnommé le cruel. Six bâtards de feu son père excitent contre lui une guerre civile, et veulent le détrôner. Notre Charles le fage se joint à eux, et envoie contre lui fon Bertrand du Guefclin. Pierre, à l'aide du fameux Prince noir, bat les bâtards et les Français; Bertrand eft fait prifonnier; un des bâtards est puni : Pierre eft alors un grand-homme.

La fortune change; le grand Prince noir ne donne plus de fecours au roi Pierre. Un des bâtards ramène du Guefclin fuivi d'une troupe de brigands qui même ne portaient pas d'autre nom; Pierre eft pris à fon tour; le bâtard Henri de Tranftamare l'affaffine indignement dans sa tente: voilà Pierre condamné par les contemporains. Il n'eft plus connu de la postérité que par le furnom de cruel; et les hiftoriens tombent fur lui comme des chiens fur un cerf aux abois.

Donnez-vous la peine de lire les mémoires de Marie de Médicis; le cardinal de Richelieu eft le plus ingrat des hommes, le plus fourbe et

le plus lâche des tyrans. Lifez, fi vous pouvez, les épîtres dédicatoires adreffées à ce ministre, c'est le premier des mortels, c'est un héros; c'est même un faint. Et le petit flatteur Sarafin, finge de Voiture, Fappelle le divin cardinal dans fon ridicule éloge de la ridicule tragédie de l'Amour tyrannique, compofée par le grand Scudéri fur les ordres du cardinal divin.

La mémoire du pape Grégoire VII eft en exécration en France et en Allemagne. Il eft canonifé à Rome.

De telles réflexions ont porté plufieurs princes à ne se point foucier de leur réputation: mais ceux-là ont eu plus grand tort que tous les autres; car il vaut mieux pour un homme d'Etat avoir une réputation contestée que de n'en point avoir du tout.

Il n'en eft pas des rois et des miniftres comme des femmes, dont on dit que celles dont on parle le moins font les meilleures. Il faut qu'un prince, un premier miniftre aime l'Etat et la gloire. Certaines gens difent que c'eft un défaut en morale; mais s'il n'a pas ce défaut, il ne fera jamais rien de grand.

CHAPITRE XVIII.

De quelques contes.

EST-IL quelqu'un qui ne doute un peu du pigeon qui apporta du ciel une bouteille d'huile à Clovis, et de l'ange qui apporta l'oriflamme? Clovis ne mérita guère ces faveurs en fefant affaffiner les princes fes voisins. Nous penfons que la majefté bienfefante de nos rois n'a pas befoin de ces fables pour disposer le peuple à l'obéiffance, et qu'on peut révérer et aimer fon roi fans miracle.

On ne doit pas être plus crédule pour l'aventure de Florinde, dont le joyau fut fendu en deux par le marteau du roi vifigoth d'Espagne dom Roderic, que pour le viol de Lucrèce qui embellit l'hiftoire romaine.

Rangeons tous les contes de Grégoire de Tours avec ceux d'Hérodote et des mille et une nuits. Envoyons les trois cents foixante mille Sarrazins que tua Charles Martel, et qui mirent enfuite le fiége devant Narbonne, aux trois cents mille fibarites tués par cent mille crotoniates, dans un pays qui peut à peine nourrir trente, mille âmes.

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De la reine Brunchaud.

LES temps de la reine Brunchaud ne méritent guère qu'on s'en fouvienne; mais le fupplice prétendu de cette reine est fi étrange qu'il faut l'examiner.

Il n'eft pas hors de vraisemblance que dans un fiècle auffi barbare, une armée compofée de brigands ait pouffé l'atrocité de ses fureurs jufqu'à maffacrer une reine âgée de foixante et seize ans, ait infulté à son corps fanglant, et l'ait traîné avec ignominie. Nous touchons au temps où les deux illuftres frères de Wit furent mis en pièces par la populace hollandaise qui leur arracha le cœur, et qui fut affez dénaturée pour en faire un repas abominable. Nous favons que la populace parifienne traita ainfi le maréchal d'Ancre. Nous favons qu'elle voulut violer la cendre du grand Colbert.

Telles ont été chez les chrétiens feptentrionaux les barbaries de la lie du peuple. C'est ainfi qu'à la journée de la Saint-Barthelemi on traîna le corps mort du célèbre Ramus dans les rues en le fouettant à la porte de tous les collèges de l'univerfité. Ces horreurs furent inconnues aux Romains et aux Grecs; dans

la plus grande fermentation de leurs guerres civiles, ils refpectaient du moins les morts.

Il n'eft que trop vrai que Clovis et fes enfants ont été des monftres de cruauté; mais que Clotaire II ait condamné folemnellement la reine Brunehaud à un fupplice auffi inouï, auffi recherché que celui dont on dit qu'elle mourut, c'eft ce qu'il eft difficile de persuader à un lecteur attentif qui pèse les vraisemblances, et qui, en puisant dans les fources, examine fi ces fources font pures. (Voyez ce qu'on a dit à ce fujet dans la philofophie de l'hiftoire, qui fert d'introduction à l'Effai fur les mœurs et l'efprit des nations depuis Charlemagne, &c. tom. I de cette édition.

CHAPITRE

X X.

Des donations de Pepinus ou Pepin le Bref à l'églife de Rome.

L'AUTEUR

'AUTEUR de l'Effai fur les mœurs et l'efprit des nations doute, avec les plus grands publiciftes d'Allemagne, que Pepin d'Auftrafie ait donné l'exarchat de Ravenne à l'évêque de Rome Etienne III; il ne croit pas cette donation plus authentique que l'apparition de faint Pierre, de faint Paul et de faint Denis, fuivis d'un diacre et d'un fous-diacre, qui defcendirent

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