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C'eft à ce fujet que Bélifaire fait à l'empereur de très-fages remontrances... Il lui dit qu'il ne faut pas damner fi légérement son prochain, encore moins le perfécuter; que DIEU eft le père des hommes; que ceux qui font en quelque façon fes images fur la terre (fi on ofe le dire) doivent imiter fa clémence, et qu'il ne fallait pas faire mourir de faim le patriarche de Conftantinople, fous prétexte que JESUSCHRIST n'avait pas eu befoin de manger. Rien n'eft plus tolérant, plus humain, plus divin peut-être que cet admirable discours de Bélifaire. Je l'aime beaucoup mieux que fa dernière campagne en Italie, dans laquelle on lui reprocha de n'avoir fait que des fottifes.

Les favans, il eft vrai, penfent que ce difcours n'eft pas de lui, qu'il ne parlait pas fi bien, et qu'un homme qui avait mis le pape Silvère dans un cul de baffe foffe, et vendu fa place quatre cents marcs d'or de douze onces à la livre, n'était pas homme à parler de clémence et de tolérance; ils foupçonnent que tout ce difcours eft de l'éloquent grec Marmontelos qui le publia. Cela peut être ; mais confidérez, mon cher lecteur, que Bélifaire était vieux et malheureux : alors on change d'avis, on devient compatisfant.

Il y avait alors quelques petits grecs envieux, pédans, ignorans, et qui fefaient des brochures

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pour gagner du pain. Un de ces animaux -nommé Cogéos eut l'impudence d'écrire contre Belifaire, parce qu'il croyait que ce vieux général était mal en cour.

Bélifaire depuis fa difgrace était devenu dévot; c'eft souvent la reffource des vieux courtisans disgraciés, et même encore aujourd'hui les grands-vifirs prennent le parti de la dévotion, quand, au lieu de les étrangler avec un cordon de foie, on les relègue dans l'île de Mitilène. Les belles dames auffi fe font dévotes, comme on fait, vers les cinquante ans, furtout fi elles font bien enlaidies; et plus elles font laides, plus elles font ferventes. La dévotion de Belifaire était très-humaine; il croyait que JESUS-CHRIST était mort pour tous et non pas pour plufieurs. Il difait à Juftinien que DIEU voulait le bonheur de tous les hommes et cela même tenait encore un peu du courtisan, car Juftinien avait bien des péchés à fe reprocher; et Bélifaire dans la converfation lui fit une peinture fi touchante de la miféricorde divine, que la conscience du malin vieillard couronné en devait être raffurée.

Les ennemis fecrets de Justinien et de Bélisaire fufcitèrent donc quelques pédans qui écrivirent violemment contre la bonté de DIE U. Le folliculaire Cogéos entr'autres s'écria dans fa

brochure, page 63: Il n'y aura donc plus de réprouvés! Sifait, lui répondit-on, tu feras très-réprouvé : confole-toi, l'ami; fois réprouvé, toi et tes femblables, et fois sûr que tout Conftantinople en rira. Ah! cuiftres de collége, que vous êtes loin de foupçonner ce qui fe paffe dans la bonne compagnie de Conftantinople!

POST-SCRIPTUM.

DEFENSE D'UN JARDINIER.

LE même Cogéos attaqua non moins cruelle

ment un pauvre jardinier d'une province de Cappadoce, et l'accufa, page 54, d'avoir écrit ces propres mots : Notre religion avec toute fa révélation n'eft et ne peut être que la religion naturelle perfectionnée.

Voyez, mon cher lecteur, la malignité et la calomnie! Ce bon jardinier était un des meilleurs chrétiens du canton, qui nourrissait les pauvres des légumes qu'il avait femés; et qui pendant l'hiver s'amufait à écrire pour édifier fon prochain qu'il aimait. Il n'avait jamais écrit ces paroles ridicules et prefque impies, avec toute fa révélation (une telle expreffion eft toujours méprisante :) cet homme avec tout fon

latin, ce critique avec tout fon fatras. Il n'y a pas un feul mot dans ce paffage du jardinier qui ait le moindre rapport à cette imputation. Ses œuvres ont été recueillies ; et dans la dernière édition de 1764, page 252, ainsi que dans toutes les autres éditions, on trouve le paffage que Cogéos ou Cogé a fi lâchement falfifié. Le voici en français, tel qu'il a été fidèlement traduit du grec.

,, Celui qui pense que DIEU a daigné mettre " un rapport entre lui et les hommes, qu'il " les a faits libres, capables du bien et du ,, mal, et qu'il leur a donné à tous ce bon " fens qui eft l'inftinct de l'homme, et fur , lequel eft fondée la loi naturelle; celui-là " fans doute a une religion beaucoup meil

leure que toutes les fectes qui font hors de notre Eglife car toutes ces fectes font ,, fauffes, et la loi naturelle eft vraie. Notre ,, religion révélée n'eft même, et ne pouvait " être que cette loi naturelle perfectionnée. "Ainfi le théisme est le bon sens qui n'est pas ,, encore inftruit de la révélation, et les autres "religions font le bon fens perverti par la " superstition. ꞌꞌ

Ce morceau avait été honoré de l'approbation du patriarche de Conftantinople et de plusieurs évêques; il n'y a rien de plus chrétien, de plus catholique, de plus fage.

Comment donc ce Cogé ofa-t-il mêler fon venin aux eaux pures de ce jardinier ? pourquoi voulut-il perdre ce bon homme, et faire condamner Bélifaire ? N'eft-ce pas affez d'être dans la dernière claffe des derniers écrivains? faut-il encore être fauffaire? Ne favais-tu pas, ô Cogé, quels châtimens étaient ordonnés pour les crimes de faux? Tes pareils font d'ordinaire auffi mal inftruits des lois que des principes de l'honneur. Que ne lisais-tu les inftituts de Justinien au titre de publicis judiciis, et la loi Cornelia?

Ami Cogé, la falfification eft comme la po◄ lygamie; c'est un cas, un cas pendable.

Ecoute, misérable; vois combien je suis bon, je te pardonne.

DERNIER AVIS AU LECTEUR.

AMI lecteur, je vous ai entretenu des plus grands objets qui puiffent intéreffer les doctes : de la formation du monde felon les Phéniciens, du déluge, des dames de Babylone, de l'Egypte, des Juifs, des montagnes, et de Ninon. Vous aimez mieux une bonne comédie, un bon opéra comique; et moi auffi. Réjouisfez-vous, et laiffez ergoter les pédans. La vie eft courte. Il n'y a rien de bon, dit Salomon, que de vivre avec son amie, et de se réjouir dans fes œuvres.

Fin du Tome premier.

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