Page images
PDF
EPUB

CHAPITRE X X I.

Des fentimens théologiques de feu l'abbé Bazin. De la juftice qu'il rendait à l'antiquité, et des quatre diatribes compofées par lui à cet effet.

POUR mieux faire connaître la piété et l'équité de l'abbé Bazin, je fuis bien aife de publier ici quatre diatribes de fa façon, compofées seulement pour fa fatisfaction particulière. La première eft fur la caufe et les effets. La feconde traite de Sanchoniathon, l'un des plus anciens écrivains qui aient mis la plume à la main pour écrire gravement des fottifes. La troifième eft fur l'Egypte, dont il fefait affez peu de cas; (ce n'eft pas de fa diatribe dont il fefait peu de cas, c'eft de l'Egypte.) Dans la quatrième, il s'agit d'un ancien peuple à qui on coupa le nez, et qu'on envoya dans le défert. Cette dernière élucubration eft trèscurieufe et très-inftructive.

PREMIERE

DE L'ABBÉ

DIATRIBE

BAZIN.

Sur la caufe première.

UN jour le jeune Madétès se promenait vers le port de Pirée; il rencontra Platon qu'il n'avait point encore vu. Platon lui trouvant une phyfionomie heureufe lia converfation avec lui; il découvrit en lui un fens affez droit. Madétès avait été instruit dans les belles-lettres, mais il ne favait rien ni en phyfique, ni en géométrie, ni en astronomie. Cependant il avoua à Platon qu'il était épicurien.

Mon fils, lui dit Platon, Epicure était un fort honnête homme; il vécut et il mourut en fage; fa volupté, dont on a parlé fi diverfement, confiftait à éviter les excès; il recommanda l'amitié à fes difciples, et jamais précepte n'a été mieux obfervé. Je voudrais faire autant de cas de fa philofophie que de fes mœurs. Connaiffez-vous bien à fondla doctrine d'Epicure? Madétès lui répondit ingénument qu'il ne l'avait point étudiée. Je fais seulement, dit-il, que les dieux ne fe font jamais mêlés de rien, et que le principe de toute chofe eft dans

les

les atomes qui fe font arrangés d'eux-mêmes, de façon qu'ils ont produit ce monde tel qu'il eft.

PLATO N.

AINSI donc, mon fils, vous ne croyez pas que ce foit une intelligence qui ait préfidé à cet univers dans lequel il y a tant d'êtres intelligens? voudriez-vous bien me dire quelle eft votre raison d'adopter cette philosophie?

MADE TÈS.

Ma raison eft que je l'ai toujours entendu dire à mes amis et à leurs maîtreffes avec qui je foupe; je m'accommode fort de leurs atomes. Je vous avoue que je n'y entends rien; mais cette doctrine m'a paru auffi bonne qu'une autre, et il faut bien avoir une opinion quand on commence à fréquenter la bonne compagnie: j'ai beaucoup d'envie de m'inftruire; mais il m'a paru jusqu'ici plus commode de penser fans rien favoir.

Platon lui dit : Si vous avez quelque défir de vous éclairer, je fuis magicien, et je vous ferai voir des chofes fort extraordinaires; ayez feulement la bonté de m'accompagner à ma maison de campagne qui eft à cinq cents pas d'ici, et peut-être ne vous repentirez-vous pas de votre complaisance. Madétès le fuivit avec Mélanges hift. Tome I. Dd

.

tranfport. Dès qu'ils furent arrivés, Platon lui montra un fquelette; le jeune homme recula d'horreur à ce spectacle nouveau pour lui. Platon lui parla en ces termes :

Confidérez bien cette forme hideuse qui femble être le rebut de la nature, et jugez de mon art par tout ce que je vais opérer avec cet affemblage informe qui vous a paru fi abominable.

Premièrement, vous voyez cette espèce de boule qui femble couronner tout ce vilain affemblage. Je vais faire passer, par la parole, dans le creux de cette boule une fubftance moëlleuse et douce, partagée en mille petites ramifications que je ferai defcendre imperceptiblement par cette espèce de long bâton à plufieurs nœuds que vous voyez attaché, et qui fe termine en pointe dans un creux. J'adapterai au haut de ce bâton un tuyau par lequel je ferai entrer l'air, au moyen d'une foupape qui pourra jouer fans ceffe; et bientôt après vous verrez cette fabrique se remuer d'elle

même.

A l'égard de tous ces autres morceaux informes qui vous paraiffent comme des reftes d'un bois pourri, et qui femblent être fans utilité comme fans force et fans grace, je n'aurai qu'à parler, et ils feront mis en mouvement par des efpèces de cordes d'une ftructure

inconcevable. Je placerai au milieu de ces cordes une infinité de canaux remplis d'une liqueur qui, en passant par des tamis, fe changera en plufieurs liqueurs différentes, et coulera dans toute la machine vingt fois par heure. Le tout fera recouvert d'une étoffe blanche, moëlleufe et fine. Chaque partie de cette machine aura un mouvement particulier qui ne fe démentira point. Je placerai entre ces demi-cerceaux, qui ne semblent bons à rien, un gros réservoir fait à peu près comme une pomme de pin; ce réservoir se contractera et fe dilatera chaque moment avec une force étonnante. Il changera la couleur de la liqueur qui paffera dans toute la machine. Je placerai non loin de lui un fac percé en deux endroits qui reffemblera au tonneau des Danaïdes, il se remplira et fe videra fans ceffe ; mais il ne fe remplira que de ce qui eft nécessaire, et ne fe videra que du fuperflu. Cette machine sera un fi étonnant laboratoire de chimie, un fi profond ouvrage de mécanique et d'hydrau lique, que ceux qui l'auront étudié ne pourront jamais le comprendre. De petits mouvemens y produiront une force prodigieufe ; il fera impoffible à l'art humain d'imiter l'artifice qui dirigera cet automate. Mais ce qui vous furprendra davantage, c'est que cet automate s'étant approché d'une figure à peu près

« PreviousContinue »