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CHAPITRE X V.

De Warburton.

CONTREDITE TREDITES un homme qui fe donne pour favant, et foyez fûr alors de vous attirer des volumes d'injures. Quand mon oncle apprit que Warburton, après avoir commenté Shakespeare, commentait Moïse, et qu'il avait déjà fait deux gros volumes pour démontrer que fes Juifs, inftruits par DIEU même, n'avaient aucune idée ni de l'immortalité de l'ame ni d'un jugement après la mort, cette entreprise lui parut monftrueufe, ainfi qu'à toutes les confciences timorées de l'Angleterre. Il en écrivit fon fentiment à M. S... avec fa modération ordinaire. Voici ce que M. S... lui répondit.

Monfieur,

C'est une entreprise merveilleusement scandaleufe dans un prêtre, t'is an undertaking wonderfully fcandalous in a priest, de s'attacher à détruire l'opinion la plus ancienne et la plus utile aux hommes. Il vaudrait bien mieux que ce Warburton commentât l'opéra des gueux, The beggar's opera, après avoir très-mal commenté Shakespeare, que d'entaffer une érudition Mélanges hift. Tome I. A a

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fi mal digérée et fi erronée pour détruire la religion. Car enfin notre fainte religion eft fondée fur la juive. Si DIE U a laiffé le peuple de l'ancien teftament dans l'ignorance de l'immortalité de l'ame et des peines et des récompenfes après la mort, il a trompé fon peuple chéri; la eligion juive est donc faufse; la chrétienne, fondée fur la juive, ne s'appuie donc que fur un tronc pourri. Quel eft le but de cet homme audacieux? je n'en fais encore rien. Il flatte le gouvernement s'il obtient un évêché, il fera chrétien; s'il n'en obtient point, j'ignore ce qu'il fera. Il a déjà fait deux gros volumes fur la légation de Moïfe, dans lefquels il ne dit pas un feul mot de fon fujet. Cela reffemble au chapitre des coches, où Montagne parle de tout, excepté de coches; c'eft un chaos de citations dont on ne peut tirer aucune lumière. Il a fenti le danger de fon audace, et il a voulu l'envelopper dans les obfcurités de fon ftyle. Il fe montre enfin plus à découvert dans fon troifième volume. C'eft là qu'il entaffe tous les paffages favorables à fon impiété, et qu'il écarte tous ceux qui appuient l'opinion commune. Il va chercher dans Job, qui n'était pas hébreu, ce passage équivoque Comme le nuage qui fe diffipe et s'évanouit, ainfi eft au tombeau l'homme qui ne reviendra plus.

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Et ce vain discours d'une pauvre femme à David: Nous devons mourir : nous sommes comme l'eau répandue fur la terre, qu'on ne peut plus ramaffer.

Et ces verfets du pfaume LXXXVIII : Les morts ne peuvent fe fouvenir de toi. Qui pourra te rendre des actions de grace dans la tombe? que me reviendra-t-il de mon fang, quand je defcendrai dans la foffe? La pouffière t'adreffera-t-elle des vœux? déclarera-t-elle la vérité?

Montreras-tu tes merveilles aux morts? Les

morts fe leveront-ils? Auras-tu d'eux des prières?

Le livre de l'Eccléfiafte, dit-il page 170, eft encore plus pofitif. Les vivans favent qu'ils mourront, mais les morts ne favent rien; point de récompenfe pour eux; leur mémoire périt à jamais.

Il met ainfi à contribution Ezéchiel, Jérémie et tout ce qu'il peut trouver de favorable à fon fyftême.

Cet acharnement à répandre le dogme funefte de la mortalité de l'ame a foulevé contre lui tout le clergé. Il a tremblé que fon patron, qui pense comme lui, ne fût pas affez puiffant pour lui faire avoir un évêché. Quel parti a-t-il pris alors? celui de dire des injures à tous les philofophes. Quis tulerit Gracchos de feditione querentes? il a élevé l'étendard du fanatisme dans une main, tandis que de l'autre

il déployait celui de l'irréligion. Par-là il a ébloui la cour; et en enseignant réellement la mortalité de l'ame, et feignant enfuite de l'admettre, il aura probablement l'évêché qu'il défire. Chez vous tout chemin mène à Rome; et chez nous tout chemin mène à l'évêché.

Voilà ce que M. S... écrivait en 1758, et tout ce qu'il a prédit eft arrivé. Warburton jouit d'un bon évêché; il infulte les philofophes. En vain l'évêque Lowth a pulvérisé fon livre, il n'en eft que plus audacieux, il cherche même à perfécuter; et s'il pouvait, il reffemblerait au Peachum in the beggar's opera qui se donne le plaifir de faire pendre fes complices. La plupart des hypocrites ont le regard doux du chat, et cachent leurs griffes; celui-ci découvre les fiennes en levant une tête hardie : il a été ouvertement délateur, et il voudrait être perfécuteur.

Les philofophes d'Angleterre lui reprochent l'excès de la mauvaise foi et celui de l'orgueil. L'Eglife anglicane le regarde comme un homme dangereux; les gens de lettres comme un écrivain fans goût et fans méthode, qui ne fait qu'entaffer citations fur citations; les politiques comme un brouillon qui ferait revivre s'il pouvait la chambre étoilée. Mais il se moque de tout cela.

Warburton me répondra peut-être qu'il n'a

:

fait que 'fuivre le fentiment de mon oncle et de plufieurs autres favans, qui ont tous avoué qu'il n'eft pas parlé expreffément de l'immortalité de l'ame dans la loi judaïque. Cela est vrai, il n'y a que des ignorans qui en doutent, et des gens de mauvaise foi qui affectent d'en douter mais le pieux Bazin difait que cette doctrine, fans laquelle il n'eft point de religion, n'étant pas expliquée dans l'ancien testament, y doit être fous-entendue; qu'elle y eft virtuellement ; que fi on ne l'y trouve pas totidem verbis, elle y eft totidem litteris, et qu'enfin fi elle n'y eft point du tout, ce n'eft pas à un ́évêque à le dire.

:

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Mais mon oncle a toujours foutenu que DIEU eft bon, qu'il a donné l'intelligence à ceux qu'il a favorifés, qu'il a suppléé à notre ignorance. Mon oncle n'a point dit d'injures aux favans; il n'a jamais cherché à perfécuter perfonne au contraire il a écrit contre l'intolérance le livre le plus honnête, le plus circonfpect, le plus chrétien, le plus rempli de piété qu'on ait fait depuis Thomas à Kempis. Mon oncle, quoiqu'un peu enclin à la raillerie, était pétri de douceur et d'indulgence. Il fit plufieurs pièces de théâtre dans fa jeunesse, tandis que l'évêque Warburton ne pouvait que commenter des comédies. Mon oncle, quand

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