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le fien, cependant je la quitte ici pour le père des croyans. Je fuis obligé d'apprendre à l'abbé Fou.... détracteur de mon oncle, ce que penfent d'Abraham tous les Guèbres que j'ai vus dans mes voyages. Ils l'appellent Ebrahim, et lui donnent le furnom de Zerateukt; c'eft notre Zoroastre. Il eft conftant que ces Guèbres difperfés, et qui n'ont jamais été mêlés avec les autres nations, dominaient dans l'Afie avant l'établissement de la horde juive, et qu'Abraham était de Chaldée, puisque le Pentateuque le dit. M. l'abbé Bazin avait approfondi cette matière; il me disait fouvent: Mon neveu on ne connaît affez les pas Guèbres, on ne connaît pas assez Ebrahim; croyez-moi, lifez avec attention le ZendaVefta et le Veidam.

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CHAPITRE IX.

De Thèbes, de Boffuet, et de Rollin. MON oncle, comme je l'ai déjà dit, aimait le merveilleux, la fiction en poëfie; mais il les déteftait dans l'hiftoire : il ne pouvait fouffrir qu'on mît des conteurs de fables à côté des Tacites, ni des Grégoires de Tours auprès des Rapin-Thoyras. Il fut féduit dans. fa jeuneffe par le ftyle brillant du discours

de Boffuet fur l'Hiftoire univerfelle. Mais quand il eut un peu étudié l'hiftoire et les hommes, il vit que la plupart des auteurs n'avaient voulu écrire que des menfonges agréables, et étonner leurs lecteurs par d'incroyables aventures. Tout fut écrit comme les Amadis. Mon oncle riait quand il voyait Rollin copier Boffuet mot à mot, et Boffuet copier les anciens, qui ont dit que dix mille combattans fortaient par chacune des cent portes de Thèbes, et encore deux cents chariots armés en guerre par chaque porte; cela ferait un million de foldats dans une seule ville, fans compter les cochers et les guerriers qui étaient fur les chariots, ce qui ferait encore quarante mille hommes de plus, à deux personnes feulement par chariot.

Mon oncle remarquait très-justement qu'il eût fallu au moins cinq ou fix millions d'habitans dans cette ville de Thèbes pour fournir ce nombre de guerriers. Il favait qu'il n'y a pas aujourd'hui plus de trois millions de têtes en Egypte; il favait que Diodore de Sicile n'en admettait pas davantage de fon temps: ainfi il rabattait beaucoup de toutes les exagérations de l'antiquité.

Il doutait qu'il y eût eu un Séfoftris qui partit d'Egypte pour aller conquérir le monde entier avec fix cents mille hommes et vingt-fept

mille chars de guerre. Cela lui paraissait digne de Picrocole dans Rabelais. La manière dont cette conquête du monde entier fut préparée, lui paraissait encore plus ridicule. Le père de Séfoftris avait deftiné fon fils à cette belle expédition fur la foi d'un fonge; car les fonges alors étaient des avis certains envoyés par le ciel, et le fondement de toutes les entreprises. Le bon homme, dont on ne dit pas même le nom, s'avifa de destiner tous les enfans qui étaient nés le même jour que fon fils à l'aider dans la conquête de la terre; et pour en faire autant de héros, il ne leur donnait à déjeûner qu'après les avoir fait courir cent quatre-vingts ftades tout d'une haleine : c'est bien courir dans un pays fangeux où l'on enfonce jusqu'à mi-jambe, et où presque tous les meffages fe font par bateau fur les

canaux.

Que fait l'impitoyable cenfeur de mon oncle? au lieu de fentir tout le ridicule de cette histoire, il s'avife d'évaluer le grand et le petit ftade, et il croit prouver que les petits enfans deftinés à vaincre toute la terre, ne couraient que trois de nos grandes lieues et demie pour avoir à déjeûner.

Il s'agit bien vraiment de favoir au juste fi Séfoftris comptait par grand ou petit stade, lui qui n'avait jamais entendu parler de stade,

qui eft une mesure grecque. Voilà le ridicule de prefque tous les commentateurs, des fcoliaftes; ils s'attachent à l'explication arbitraire d'un mot inutile, et négligent le fond des chofes. Il est question ici de détromper les hommes fur les fables dont on les a bercés

depuis tant de fiècles. Mon oncle pèse les probabilités dans la balance de la raifon ; il rappelle les lecteurs au bon fens, et on vient nous parler de grands et de petits ftades!

J'avouerai encore que mon oncle levait les épaules quand il lifait dans Rollin que Xerxès avait fait donner trois cents coups de fouet à la mer; qu'il avait fait jeter dans l'Hellefpont une paire de menottes pour l'enchaîner ; qu'il avait écrit une lettre menaçante au mont Athos ; et qu'enfin lorsqu'il arriva au pas des Thermopyles, où deux hommes de front ne peuvent paffer, il était fuivi de cinq millions deux cents quatre-vingt- trois mille deux cents vingt perfonnes, comme le dit le véridique et exact Hérodote.

Mon oncle difait toujours, ferrez, ferrez, en lifant ces contes de ma mère l'oie. Il disait : Hérodote a bien fait d'amufer et de flatter des

Grecs par ces romans et Rollin a mai fait de ne les pas réduire à leur jufte valeur en écrivant pour des Français du dix-huitième fiècle.

CHAPITRE

CHAPITRE X.

·Des prêtres ou prophètes ou fchoen d'Egypte. OUI, barbare, les prêtres d'Egypte s'appelaient Schoen, et la Genèse ne leur donne pas d'autre nom; la Vulgate même rend ce nom par facerdos. Mais qu'importent les noms ? Si tu avais fu profiter de la philofophie de mon oncle, tu aurais recherché quelles étaient les fonctions de ces fchoen, leurs fciences, leurs impostures; tu aurais tâché d'apprendre fi un fchoen était toujours, en Egypte, un homme conftitué en dignité, comme parmi nous un évêque, & même un archidiacre, ou fi quelquefois on s'arrogeait le titre de fchoen, comme on s'appelle parmi nous Monfieur l'abbé, fans abbaye; fi un schoen, pour avoir été précepteur d'un grand seigneur, et pour être nourri dans fa maison, avait le droit d'attaquer impunément les vivans & les morts, et d'écrire fans efprit contre des Egyptiens qui paffaient pour en avoir. (2)

Je ne doute pas qu'il n'y ait eu des schoen fort favans; par exemple, ceux qui firent

(2) Il s'agit ici de l'abbé Foucher de l'académie des belleslettres, précepteur du duc de la Trimouille. Cet abbé était janfénifte; il crut que fa confcience l'obligeait à écrire contre M. de Voltaire; mais la grace lui manqua.

Mélanges hift. Tome I.

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