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à la place des raisons, fera l'horreur et le mépris des honnêtes gens. Je ne parle pas d'un malheureux qui, dans sa plate frénésie, attaquerait groffièrement les rois, les miniftres, les citoyens, et qui ferait femblable à ces fous furieux qui, à travers les grilles de leurs cachots, veulent couvrir les paffans de leur ordure; celui-là ne mériterait que d'être renfermé avec eux, ou de fuivre les Cartouches (a) qu'il regarde comme de grands-hommes.

(a) Cartouche était un malheureux voleur très - ordinaire, affocié avec quelques fcélérats comme lui. Le hafard fit qu'on donna fon nom à la bande de brigands dont il était. Il fut le ridicule objet de l'attention de Paris, parce qu'on fut quelque temps fans pouvoir le prendre. Il avait été ramoneur de cheminée, et fefait fervir fouvent fon ancien métier à fe fauver quand on le guettait. Un foldat aux gardes avertit enfin qu'il était couché dans un cabaret à la courtille; on le trouva fur une paillaffe avec un méchant habit, sans chemise, fans argent et couvert de vermine. Son nom était Bourguignon; il avait pris celui de Cartouche, comme les voleurs et les écrivains de livres fcandaleux changent de nom. Il plut au comédien Legrand de faire une comédie fur ce malheureux; elle fut jouée le jour qu'il fut roué. Un autre homme s'avifa enfuite de faire un poëme épique de Cartouche, et de parodier la Henriade fur un fi vil fujet; tant il eft vrai qu'il n'y a point d'extravagance qui ne paffe par la tête des hommes. Toutes ces circonftances raffemblées ont perpétué le nom de ce gueux, et c'eft lui que la Beaumelle préfère à Solon et égale au grand Conde.

TROISIEME PARTIE.

IL

L importe peu à la poftérité qu'une française, nommée madame de Villette, ait été propre nièce ou la femme d'un neveu de madame de Maintenon. Je n'en ai parlé dans le Siècle de Louis XIV que pour faire voir que la perfonne qui était en effet reine de France, était plus occupée du foin de rendre les dernières années du roi agréables à ce monarque, que de l'ambition d'élever fa famille. Je ne me fuis point trompé fur le caractère de cette perfonne fi fingulière. Ses lettres, qu'on a publiées avant les éditions de 1753 du Siècle de Louis XIV, font la preuve que je n'ai rien avancé dont je ne fuffe inftruit, et de mon amour pour la vérité. Il s'eft trouvé que madame de Maintenon avait figné, par avance, tout ce que j'avais dit d'elle.

Un traducteur, que je ne connais pas, des œuvres pofthumes du vicomte de Bolingbroke, me fait un jufte reproche de l'inadvertance que j'ai eue d'avoir fuppofé que madame de Villette, depuis madame de Bolingbroke, était propre nièce de madame de Maintenon. La vérité eft fi précieuse qu'elle eft refpectable lors même qu'elle eft inutile. Ce traducteur ne se trompe pas moins que moi, quand il dit que le marquis

de Villette était parent et non neveu ; il était neveu réellement de madame de Maintenon. Il eut deux femmes; madame de Cailus était fille de la première, et il époufa en fecondes noces Mlle de Marfilly qui eft morte à Londres, épouse de milord Bolingbroke. Ainfi madame de Villette et madame Cailus étaient toutes deux nièces de madame de Maintenon; madame de Villette par fon premier mari, et madame de Cailus par fa naiffance. Elles étaient toutes deux dans l'éclat de leur beauté quand le marquis de Villette fit ce second mariage, et madame de Maintenon lui difait: Mon neveu, il ne tiendra qu'à vous d'avoir chez vous bonne compagnie ; vous avez une femme et une fille qui l'attireront.

Le traducteur de Bolingbroke fe trompe un peu davantage, quand il dit que j'ai fait de madame de Maintenon un portrait dans un goût tout neuf. S'il avait été inftruit, il aurait dit dans un goût très-vrai. Je pouvais charger ce portrait ; je pouvais dire d'elle :

Qu'elle n'eut d'autres droits au rang d'impératrice Qu'un peu d'attraits peut-être et beaucoup d'artifice.

Je pouvais parler des hommages que fa beauté et fon efprit lui attirèrent dans fa jeunesse, en ayant été très-informé par l'abbé de Châteauneuf, le dernier amant de la célèbre Ninon ma bienfaitrice, laquelle avait vécu, comme on

fait, avec madame Scarron plufieurs années dans la familiarité la plus intime; mais un tableau du fiècle de Louis XIV ne doit pas, à mon avis, être déshonoré par de pareils traits. J'ai voulu dire des vérités utiles, non des vérités propres aux historiettes. C'est une vérité trèsimportante que la veuve de Scarron, devenue reine de France, fe foit trouvée malheureufe au faîte de la grandeur même. Elle disait à madame de Bolingbroke : Ah, ma nièce, si vous faviez ce que c'est que d'avoir à amuser tous les jours un homme qui n'est plus amusable!

C'est ainfi que le fecret des cœurs est si peu connu; c'est ainfi que nous fommes tous les dupes de l'apparence. On envie le fort de la femme, et du favori, et du ministre d'un grand roi; mais ceux qui font dans ces places, et ceux qui les regardent d'en-bas, font également faibles et également malheureux. Qu'il y a loin de l'éclat à la félicité!

"E ben che foffi guardiano degli orti
" Viddi e conobbi pur l'inique Corti.

Au refte que la Beaumelle donne la vie de madame de Maintenon, après avoir publié fes lettres; qu'il y copie mot à mot vingt passages du Siècle de Louis XIV contre lequel il a écrit; qu'il contredife au hafard les mémoires de l'abbé de Choifi, après les avoir foutenus contre

que

moi au hafard; qu'il fe donne la peine de dire le roi n'acheta point la terre de Maintenon, mais qu'elle fut achetée de l'argent du roi et par l'avis du roi; qu'il rapporte que madame de Maintenon, dans fa faveur, voyait souvent Mme de Montefpan, après l'avoir nié dans ses remarques fur le Siècle, tout cela eft fort indifférent.

Il peut même faire attaquer vers les côtes de l'Amérique le vaiffeau qui portait madame d'Aubigné, par un vaiffeau turc, fans que je le reprenne.

Quelques perfonnes m'ont reproché d'avoir ménagé la mémoire de madame de Maintenon, ainfi que la Beaumelle a ofé me reprocher dans fes notes d'avoir pu dire plus de mal de M. le maréchal de Villeroi et de M. de Chamillart, et de ne l'avoir pas dit. Je fais combien la loi que Cicéron impofe aux hiftoriens eft refpectable: ils ne doivent ofer dire rien de faux; ils ne doivent rien cacher de vrai. Mais cette loi ordonne-t-elle que l'histoire soit une fatire? A qui madame de Maintenon fit-elle du mal? qui perfécuta-t-elle? Elle fit fervir les charmes de fon efprit et fa dévotion même à fa grandeur; elle dompta fon caractère pour dompter Louis XIV. Mais quel abus odieux fit-elle de fon pouvoir ? La conftitution Unigenitus lui parut la faine doctrine, comme elle le dit dans fes lettres; mais combattit - elle

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