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JE fais gloire d'avoir les mêmes opinions que l'auteur de l'Effai fur les mœurs et l'efprit des nations: je ne veux ni un pyrrhonisme outré, ni une crédulité ridicule; il prétend que les faits principaux peuvent être vrais, et les détails très-faux. Il peut y avoir eu un prince égyptien nommé Séfoftris par les Grecs, qui ont changé tous les noms d'Egypte et de l'Asie, comme les Italiens donnent le nom de Londra à London que nous appelons Londres, et celui de Luigi aux rois de France nommés Louis. Mais s'il y eut un Séfoftris, il n'eft pas abfolument fûr que fon père deftina tous les enfants égyptiens qui naquirent le même mois que fon fils à être un jour avec lui les conquérants du monde. On pourrait même douter qu'il ait fait courir chaque matin cinq ou fix lieues à ces enfants, avant de leur donner à déjeûner.

L'enfance de Cyrus expofée, les oracles rendus à Créfus, l'aventure des oreilles du mage Smerdis, le cheval de Darius qui créa fon maître roi, et tous ces embelliffements de l'hiftoire pourraient être conteftés par des gens qui en croiraient plus leur raifon que leurs livres.

Il a ofé dire et même prouver que les monuments les plus célèbres, les fêtes, les commémorations les plus folemnelles ne conftatent point du tout la vérité des prétendus événements tranfmis de fiècle en fiècle à la crédulité humaine par ces folemnités.

Il a fait voir que fi des ftatues, des temples, des cérémonies annuelles, des jeux, des myftères inftitués étaient une preuve, il s'enfuivrait que Caftor et Pollux combattirent en effet pour les Romains, que Jupiter les arrêta dans leur fuite; il s'enfuivrait, que les fastes d'Ovide font des témoignages irréfragables de tous les miracles de l'ancienne Rome, et que tous les temples de la Grèce étaient des archives. de la vérité.

Voyez le Résumé de fon Essai fur les mœurs et l'efprit des nations, fin du tome VI de cette nouvelle édition.

CHAPITRE II.

De Boffuet.

Nous fommes dans le fiècle où l'on a détruit

prefque toutes les erreurs de phyfique. Il n'eft plus permis de parler de l'empyrée, ni des cieux criftallins, ni de la sphère de feu dans le cercle de la lune. Pourquoi fera-t-il permis à Rollin, d'ailleurs fieftimable, de nous bercer de tous les contes d'Hérodote, et de nous donner pour une hiftoire véridique un conte donné par Xénophon pour un conte? de nous redire, de nous répéter la fabuleuse enfance de Cyrus, et fes petits tours d'adreffe, et la grâce avec laquelle il fervait à boire à fon papa Aftiage qui n'a jamais existé ?

On nous apprend à tous, dans nos premières années, une chronologie démontrée fauffe; on nous donne des maîtres en tout genre, excepté des maîtres à penfer. Les hommes même les plus favants, les plus éloquents n'ont fervi quelquefois qu'à embellir le trône de l'erreur, au lieu de le renverfer. Boffuet en est un grand exemple dans fa prétendue Hiftoire univerfelle, qui n'eft que celle de quatre à cinq peuples, et surtout de la petite nation

I I I.

CHAPITRE

J'AI

De l'Hifloire ecclefiaflique de Fleuri.

'AI vu une ftatue de boue dans laquelle l'artifte avait mêlé quelques feuilles d'or ; j'ai féparé l'or, et j'ai jeté la boue. Cette ftatue eft l'Hiftoire ecclefiaftique compilée par Fleuri, ornée de quelques difcours détachés, dans lefquels on voit briller des traits de liberté et de vérité, tandis que le corps de l'hiftoire eft fouillé de contes qu'une vieille femme rougirait de répéter aujourd'hui.

C'eft un Théodore dont on changea le nom en celui de Grégoire thaumaturge, qui, dans sa jeuneffe, étant preffé publiquement par une fille de joie de lui payer l'argent de leurs rendezvous vrais ou faux, lui fait entrer le diable dans le corps pour fon falaire.

St Jean et la Ste Vierge viennent enfuite lui expliquer les mystères du chriftianisme. Dès qu'il eft inftruit, il écrit une lettre au diable, la met fur un autel païen la lettre eft rendue à son adresse, et le diable fait ponctuellement ce que Grégoire lui a commandé. Au fortir de là il fait marcher des pierres comme Amphion. Il eft pris pour juge par deux frères qui fe difputaient un étang, et pour les mettre d'accord,

il

il fait disparaître l'étang; il se change en arbre comme Prothée; il rencontre un charbonnier nommé Alexandre, et le fait évêque : voilà probablement l'origine de la foi du charbonnier.

C'est un St Romain que l'empereur Diocletien fait jeter au feu. Des juifs qui étaient préfents fe moquent de St Romain, et difent que leur Dieu délivra des flammes Sidrac, Mifac et Abdénago, mais que le petit St Romain ne sera pas délivré par le Dieu des chrétiens. Auffitôt il tombe une grande pluie qui éteint le bûcher à la honte des juifs. Le juge irrité condamne St Romain à perdre la langue (apparemment pour s'en être fervi à demander de la pluie.) Un médecin de l'empereur, nommé Ariston, qui se trouvait là, coupe auffitôt la langue de St Romain jufqu'à la racine. Dès que le jeune homme, qui était né bègue, eut la langue coupée, il fe met à parler avec une volubilité inconcevable. Il faut que vous foyez bien mal adroit, dit l'empereur au médecin, et que vous ne fachiez pas couper des langues. Arifton foutient qu'il a fait l'opération à merveille, et que Romain devrait en être mort au lieu de tant parler. Pour le prouver, il prend un paffant, lui coupe la langue, et le paffant meurt.

C'eft un cabaretier chrétien nommé Théodote, qui prie DIEU de faire mourir fept vierges chrétiennes de foixante et dix ans chacune. Mélanges hift. Tome I.

B

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