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CHAPITRE

QUE

XLIII.

Abfurdité et horreur.

UE l'on fe trompe fur le nombre des habitants d'un royaume, leur argent comptant, leur commerce, il n'y a que du papier de perdu. Que dans le loifir des grandes villes on se soit trompé fur les travaux de la campagne, les laboureurs n'en favent rien et vendent leur blé aux difcoureurs. Des hommes de génie peuvent tomber impunément dans quelques erreurs fur la formation d'un fœtus et fur celle des montagnes; les femmes font toujours des enfants comme elles peuvent, et les montagnes reftent à leur place.

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Mais il y a un genre d'hommes funefte au genre humain, qui subsiste encore tout détesté qu'il eft, et qui peut-être subsistera encore quelques années. Cette espèce bâtarde eft nourrie dans les difputes de l'école, qui rendent l'efprit faux, et qui gonflent le cœur d'orgueil. Indignés de l'obfcurité où leur métier les condamne, ils fe jettent fur les gens du monde qui ont de la réputation, comme autrefois les crocheteurs de Londres se battaient à coups de poing contre ceux qui paffaient dans les rues avec un habit

galonné; ce font ces miférables qui appellent le président de Montefquieu, impie; le conseiller d'Etat la Mothe le Vayer, déifte; le chancelier de l'Hofpital, athée. Mille fois flétris, ils n'en font que plus audacieux, parce que fous le mafque de la religion, ils croient pouvoir nuire impunément.

Par quelle fatalité tant de théologiens mes confrères ont-ils été de tous les gens de lettres les plus hardis calomniateurs, fi pourtant on peut donner le titre d'hommes de lettres à ces fanatiques? c'eft qu'il ne craignent rien quand ils mentent. Si on pouvait lire leurs écrits. polémiques, enfevelis dans la pouffière des bibliothèques, on y verrait continuellement la forbonne et les maisons professes des jésuites transférées aux halles.

Les jéfuites furtout poufsèrent l'impudence aux derniers excès quand ils furent puissants; lorfqu'ils n'écrivaient pas des lettres de cachet, ils écrivirent des libelles.

On eft obligé d'avouer que ce font des gens de cet affreux caractère qui ont attiré fur leurs confrères les coups dont ils font écrasés, et qui ont perdu à jamais un ordre dans lequel il y a eu des hommes refpectables. Il faut auffi convenir que ce font des énergumènes, tels que les Patouillet et les Nonotte qui ont enfin foulevé toute la France contre les jéfuites.

Plus les gens habiles de leur ordre avaient de crédit à la cour, plus les petits pédants de leurs colléges étaient impudents à la ville.

Un de ces malheureux ne s'eft pas contentė d'écrire contre tous les parlements du royaume, du ftyle dont Guignard écrivit contre Henri I V. Ce fou vient de faire un ouvrage contre prefque tous les gens de lettres illuftres, et toujours dans le deffein de venger DIEU, qui pourtant femble un peu abandonner les jéfuites: il intitule fa rapfodie anti-philofophique : elle l'eft bien en effet ; mais il pouvait l'intituler auffi antihumaine, anti-chrétienne.

Croirait-on bien que cet énergumène, à l'article fanatifme, fait l'éloge de cette fureur diabolique ? il femble qu'il ait trempé sa plume dans l'encrier de Ravaillac. Du moins Néron ne fit point l'éloge du parricide; Alexandre VI · ne vanta point l'empoifonnement et l'affaffinat. Les plus grands fanatiques déguifaient leurs fureurs fous le nom d'un faint enthoufiafme, d'un divin zèle; enfin nous avons confitentem fanaticum.

Le monftre crie fans ceffe, Dieu, Dieu, Dieu! excrément de la nature humaine, dans la bouche de qui le nom de DIEU devient un facrilege; vous qui ne l'atteftez que pour l'offenfer, et qui vous rendez plus coupable

encore par vos calomnies, que ridicule par vos abfurdités; vous, le mépris et l'horreur de tous les hommes raisonnables, vous prononcez le nom de DIE U dans tous vos libelles comme des foldats qui s'enfuient en criant: Vive le roi !

Quoi! c'est au nom de DIEU que vous calomniez! Vous dites qu'un homme trèsconnu, devant qui vous n'oferiez paraître, a conjuré en fecret avec les prêtres d'une ville célèbre pour y établir le focinianisme ! Vous dites que ces prêtres viennent tous les foirs fouper chez lui, et qu'ils lui fourniffent des arguments contre vos fottifes ! Vous en avez menti, mon révérend père: mentiris impudentiffimè, comme disait Pafcal. Les portes de cette ville font fermées avant l'heure du fouper. Jamais aucun prêtre de cette ville n'a soupé dans fon château qui en eft à deux lieues; il ne vit avec aucun, il n'en connaît aucun ; c'eft ce que vingt mille hommes peuvent attefter.

Vous penfez que les parlements vous ont confervé le privilége de mentir, comme on dit que les galériens peuvent voler impunément.

Quelle rage vous pouffe à infulter par les plus plattes impoftures un avocat du parlement de Paris, célèbre dans les lettres, (*)

(*) M. Saurin.

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et un des premiers favants de l'Europe. honoré des bienfaits d'une tête couronnée qui par-là s'eft honorée à jamais ; (*) et un homme auffi illuftre par fes bienfaits que par son esprit, dont la refpectable épouse eft parente du plus noble et du plus digne miniftre qu'ait eu la France, et qui a des enfants dignes de fon mari et d'elle? ( **)

Vous êtes affez lâche pour remuer les cendres de M. de Montefquieu, afin d'avoir occafion de parler de je ne fais quel brouillon de jéfuite irlandais nommé Routh, qu'on fut obligé de chaffer de sa chambre où cet intrus s'établissait en député de la fuperftition et pour se faire de fête, tandis que Montefquieu, environné de fages, mourait en fage: jéfuite, vous infultez au mort, après qu'un jéfuite a osé troubler la dernière heure du mourant, et vous voulez que la poftérité vous détefte comme le fiècle présent vous abhorre depuis le Mexique jufqu'en Corse.

Crie encore: Dieu, Dieu, Dieu! tu reffembleras à ce prêtre irlandais qu'on allait pendre pour avoir volé un calice: Voyez, disait-il, comme on traite les bons Kételiques qui font venus en France pour la rlichion!

Chaque fiècle, chaque nation a eu fes Garaffes. C'eft une chose incompréhensible

(*) M. Diderot.

(**) M. Helvétius.

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