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Soit.

LELIE.

MASCARILLE.

Si vous y manquez, votre fièvre quartaine!

LÉLIE.

Mais tiens-moi donc parole, et songe à mon repos.

MASCARILLE.

Allez quitter l'habit, et graisser votre dos.
LÉLIE, seul.

Faut-il que le malheur, qui me suit à la trace,
Me fasse voir toujours disgrâce sur disgrâce!

MASCARILLE, Sortant de chez Trufaldin.
Quoi! vous n'êtes pas loin? Sortez vite d'ici;
Mais surtout gardez-vous de prendre aucun souci :
Puisque je fais pour vous, que cela vous suffise;
N'aidez point mon projet de la moindre entreprise;
Demeurez en repos.

LÉLIE, en sortant.

Oui, va, je m'y tiendrai. MASCARILLE, seul.

Il faut voir maintenant quel biais je prendrai.

SCÈNE IX.

ERGASTE, MASCARILLE.

ERGASTE.

Mascarille, je viens te dire une nouvelle
Qui donne à tes desseins une atteinte cruelle.
A l'heure que je parle, un jeune Égyptien,

Qui n'est pas noir pourtant et sent assez son bien,
Arrive, accompagné d'une vieille fort hâve,
Et vient chez Trufaldin racheter cette esclave
Que vous vouliez; pour elle il paraît fort zélé.

MASCARILLE.

Sans doute c'est l'amant dont Célie a parlé.
Fut-il jamais destin plus brouillé que le nôtre !
Sortant d'un embarras, nous entrons dans un autre.
En vain nous apprenons que Léandre est au point
De quitter la partie, et ne nous troubler point;
Que son père, arrivé contre toute espérance,
Du côté d'Hippolyte emporte la balance,
Qu'il a tout fait changer par son autorité,
Et va dès aujourd'hui conclure le traité;
Lorsqu'un rival s'éloigne, un autre plus funeste
S'en vient nous enlever tout l'espoir qui nous reste.
Toutefois, par un trait merveilleux de mon art,
Je crois que je pourrai retarder leur départ,
Et me donner le temps qui sera nécessaire
Pour tâcher de finir cette fameuse affaire.

Il s'est fait un grand vol; par qui? l'on n'en sait rien :
Eux autres rarement passent pour gens de bien;
Je veux adroitement, sur un soupçon frivole,
Faire pour quelques jours emprisonner ce drôle.
Je sais des officiers, de justice altérés,

Qui sont pour de tels coups de vrais délibérés;
Dessus l'avide espoir de quelque paraguante',
Il n'est rien que leur art aveuglément ne tente;
Et du plus innocent, toujours à leur profit
La bourse est criminelle, et paye son délit.

ACTE CINQUIÈME.

SCÈNE PREMIÈRE.

MASCARILLE, ERGASTE.

MASCARILLE.

Ah! chien! ah! double chien! mâtine de cervelle ! Ta persécution sera-t-elle éternelle?

ERGASTE.

Par les soins vigilants de l'exempt Balafré,
Ton affaire allait bien, le drôle était coffré,
Si ton maître au moment ne fût venu lui-même,
En vrai désespéré, rompre ton stratagème :
Je ne saurais souffrir, a-t-il dit hautement,
Qu'un honnête homme soit traîné honteusement;
J'en réponds sur sa mine, et je le cautionne :
Et comme on résistait à lâcher sa personne,
D'abord il a chargé si bien sur les recors,
Qui sont gens d'ordinaire à craindre pour leur corps,
Qu'à l'heure que je parle ils sont encore en fuite,
Et pensent tous avoir un Lélie à leur suite.

MASCARILLE.

Le traître ne sait pas que cet Égyptien Est déjà là-dedans pour lui ravir son bien.

ERGASTE.

Adieu. Certaine affaire à te quitter m'oblige.

SCÈNE II.

MASCARILLE.

Oui, je suis stupéfait de ce dernier prodige.
On dirait (et pour moi j'en suis persuadé)
Que ce démon brouillon dont il est possédé
Se plaise à me braver, et me l'aille conduire
Partout où sa présence est capable de nuire.
Pourtant je veux poursuivre, et, malgré tous ses
Voir qui l'emportera de ce diable ou de nous. [coups,
Célie est quelque peu de notre intelligence,
Et ne voit son départ qu'avecque répugnance.
Je tâche à profiter de cette occasion.

1 Les Espagnols disent encore: Dar para guantes, c'est-àdire donner pour les gants, dont nous avons fait le mot paraguante. (MÉNAGE.) — On donne ce nom au présent qu'on fait à une personne dont on a reçu quelques bons offices.

Mais ils viennent; songeons à l'exécution.
Cette maison meublée est en ma bienséance,
Je puis en disposer avec grande licence:
Si le sort nous en dit, tout sera bien réglé;
Nul que moi ne s'y tient, et j'en garde la clé.
O Dieu! qu'en peu de temps on a vu d'aventures,
Et qu'un fourbe est contraint de prendre de figures!

SCÈNE III.

CÉLIE, ANDRÈS.

ANDRÈS.

Vous le savez, Célie, il n'est rien que mon cœur
N'ait fait pour vous prouver l'excès de son ardeur.
Chez les Vénitiens, dès un assez jeune âge,
La guerre en quelque estime avait mis mon courage,
Et j'y pouvais un jour, sans trop croire de moi,
Prétendre, en les servant, un honorable emploi ;
Lorsqu'on me vit pour vous oublier toute chose,
Et que le prompt effet d'une métamorphose,
Qui suivit de mon cœur le soudain changement,
Parmi vos compagnons sut ranger votre amant,
Sans que mille accidents, ni votre indifférence,
Aient pu me détacher de ma persévérance.
Depuis, par un hasard, d'avec vous séparé

Toutes mes volontés ne butent qu'à vous plaire.
Cherchons une maison à vous mettre en repos.
L'écriteau que voici s'offre tout à propos.
SCÈNE IV.

CÉLIE, ANDRÈS; MASCARILLE, déguisé en

Suisse.

ANDRÈS.

Seigneur Suisse, êtes-vous de ce logis le maître?

MASCARILLE.

Moi pour serfir à fous.

ANDRÈS.

Pourrons-nous y bien être?

MASCARILLE.

Oui; moi pour d'étrancher chafons champre carni.
Ma che non point locher te chans de méchant vi.
ANDRÈS.

Je crois votre maison franche de tout ombrage.

MASCARILLE.

Fous noufeau dans sti fil, moi foir à la fissage.
ANDRÈS.

Oui.

Pour beaucoup plus de temps que je n'eusse auguré, Quoi?
Je n'ai, pour vous rejoindre, épargné temps ni peine;
Enfin ayant
trouvé la vieille Égyptienne,

Et plein d'impatience, apprenant votre sort,
Que pour certain argent qui leur importait fort,
Et qui de tous vos gens détourna le naufrage,
Vous aviez en ces lieux été mise en otage,
J'accours vite y briser ces chaînes d'intérêt,
Et recevoir de vous les ordres qu'il vous plaît:
Cependant on vous voit une morne tristesse
Alors que dans vos yeux doit briller l'allégresse.
Si pour vous la retraite avait quelques appas,
Venise, du butin fait parmi les combats,
Me garde pour tous deux de quoi pouvoir y vivre;
Que si, comme devant, il vous faut encor suivre,
J'y consens, et mon cœur n'ambitionnera
Que d'être auprès de vous tout ce qu'il vous plaira.
CÉLIE.

Votre zèle pour moi visiblement éclate :
Pour en paraître triste, il faudrait être ingrate;
Et mon visage aussi, par son émotion,
N'explique point mon cœur en cette occasion.
Une douleur de tête y peint sa violence;
Et si j'avais sur vous quelque peu de puissance,
Notre voyage, au moins pour trois ou quatre jours,
Attendrait que ce mal eût pris un autre cours.
ANDRES.

Autant que vous voudrez, faites qu'il se diffère.

Non.

MASCARILLE.

La matame est-il mariage al monsieur?
ANDRÈS.

MASCARILLE.

S'il être son fame, ou s'il être son sœur?
ANDRÈS.

MASCARILLE.

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SCÈNE V.

LÉLIE.

Quel que soit le transport d'une âme impatiente, Ma parole m'engage à rester en attente,

A laisser faire un autre, et voir sans rien oser, Comme de mes destins le ciel veut disposer.

SCÈNE VI.

ANDRÈS, LÉLIE.

LÉLIE, à Andrès, qui sort de la maison. Demandiez-vous quelqu'un dedans cette demeure? ANDRÈS.

C'est un logis garni que j'ai pris tout à l'heure.
LÉLIE.

A mon père pourtant la maison appartient,
Et mon valet, la nuit, pour la garder s'y tient.

ANDRÈS.

Je ne sais ; l'écriteau marque au moins qu'on la loue; Lisez.

LÉLIE.

Certes, ceci me surprend, je l'avoue. Qui diantre l'aurait mis? et par quel intérêt.... Ah! ma foi, je devine à peu près ce que c'est! Cela ne peut venir que de ce que j'augure. ANDRÈS.

Peut-on vous demander quelle est cette aventure?
LÉLIE.

Je voudrais à tout autre en faire un grand secret;
Mais pour vous il n'importe, et vous serez discret.
Sans doute l'écriteau que vous voyez paraître,
Comme je conjecture, au moins, ne saurait être
Que quelque invention du valet que je di,
Que quelque nœud subtil qu'il doit avoir ourdi
Pour mettre en mon pouvoir certaine Égyptienne
Dont j'ai l'âme piquée, et qu'il faut que j'obtienne.
Je l'ai déjà manquée, et même plusieurs coups.
ANDRÈS.

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LÉLIE.

Ton jargon allemand est superflu, te dis-je,
Car nous sommes d'accord, et sa bonté m'oblige.
J'ai tout ce que mes vœux lui pouvaient demander,
Et tu n'as pas sujet de rien appréhender.

MASCARILLE.

Si vous êtes d'accord par un bonheur extrême, Je me dessuisse donc, et redeviens moi-même. ANDRÈS.

Ce valet vous servait avec beaucoup de feu. Mais je reviens à vous, demeurez quelque peu.

Vieux mot qui signifiait malheur, par corruption du mot bissexte, parce que anciennement l'année bissextile était réputée malheureuse. (LAV.)

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CÉLIE, ANDRÈS, LÉLIE, MASCARILLE.
ANDRÈS.

N'est-ce pas là l'objet dont vous m'avez parlé?
LÉLIE.

Ah! quel bonheur au mien pourrait être égalé!
ANDRÈS.

Il est vrai, d'un bienfait je vous suis redevable;
Si je ne l'avouais, je serais condamnable :
Mais enfin ce bienfait aurait trop de rigueur,
S'il fallait le payer aux dépens de mon cœur.
Jugez, dans le transport où sa beauté me jette,
Si je dois à ce prix vous acquitter ma dette;
Vous êtes généreux, vous ne le voudriez pas :
Adieu. Pour quelques jours retournons sur nos pas.
SCÈNE X.

LÉLIE, MASCARILLE.

MASCARILLE, après avoir chanté.

Je ris, et toutefois je n'en ai guère envie;
Vous voilà bien d'accord, il vous donne Célie;
Hem, vous m'entendez bien.

LÉLIE.

C'est trop; je ne veux plus Te demander pour moi de secours superflus. Je suis un chien, un traître, un bourrcau détestable, Indigne d'aucun soin, de rien faire incapable. Va, cesse tes efforts pour un malencontreux, Qui ne saurait souffrir que l'on le rende heureux. Après tant de malheurs, après mon imprudence, Le trépas me doit seul prêter son assistance.

SCÈNE XI.

MASCARILLE.

Voilà le vrai moyen d'achever son destin;
Il ne lui manque plus que de mourir enfin,
Pour le couronnement de toutes ses sottises.
Mais en vain son dépit pour ses fautes commises
Lui fait licencier mes soins et mon appui,

Je veux, quoi qu'il en soit, le servir malgré lui,
Et dessus son lutin obtenir la victoire.

Plus l'obstacle est puissant, plus on reçoit de gloire;
Et les difficultés dont on est combattu
Sont les dames d'atour qui parent la vertu.

SCÈNE XII.

CÉLIE, MASCARILLE.

CÉLIE, à Mascarille, qui lui a parlé bas. Quoi que tu veuilles dire, et que l'on se propose, De ce retardement j'attends fort peu de chose. Ce qu'on voit de succès peut bien persuader Qu'ils ne sont pas encor fort près de s'accorder : Et je t'ai déjà dit qu'un cœur comme le nôtre Ne voudrait pas pour l'un faire injustice à l'autre, Et que très-fortement, par de différents nœuds, Je me trouve attachée au parti de tous deux. Si Lélie a pour lui l'amour et sa puissance, Andrès pour son partage a la reconnaissance, Qui ne souffrira point que mes pensers secrets Consultent jamais rien contre ses intérêts. Oui, s'il ne peut avoir plus de place en mon âme, Si le don de mon cœur ne couronne sa flamme, Au moins dois-je ce prix à ce qu'il fait pour moi De n'en choisir point d'autre, au mépris de sa foi, Et de faire à mes vœux autant de violence Que j'en fais aux désirs qu'il met en évidence. Sur ces difficultés qu'oppose mon devoir, Juge ce que tu peux te permettre d'espoir.

MASCARILLE.

Ce sont, à dire vrai, de très-fâcheux obstacles;
Et je ne sais point l'art de faire des miracles;
Mais je vais employer mes efforts plus puissants,
Remuer terre et ciel, m'y prendre de tous sens
Pour tâcher de trouver un biais salutaire,
Et vous dirai bientôt ce qui se pourra faire.

SCÈNE XIII.

HIPPOLYTE, CÉLIE.

HIPPOLYTE.

Depuis votre séjour, les dames de ces lieux
Se plaignent justement des larcins de vos yeux,
Si vous leur dérobez leurs conquêtes plus belles,

CELIE.

Et de tous leurs amants faites des infidèles :
Il n'est guère de cœurs qui puissent échapper
Aux traits dont à l'abord vous savez les frapper;
Et mille libertés, à vos chaînes offertes,
Semblent vous enrichir chaque jour de nos pertes.
Quant à moi, toutefois je ne me plaindrais pas
Du pouvoir absolu de vos rares appas,
Si, lorsque mes amants sont devenus les vôtres,
Un seul m'eût consolé de la perte des autres;
Mais qu'inhumainement vous me les ôtiez tous,
C'est un dur procédé dont je me plains à vous.
CÉLIE.

Voilà d'un air galant faire une raillerie;
Mais épargnez un peu celle qui vous en prie.
Vos yeux, vos propres yeux se connaissent trop bien,
Pour pouvoir de ma part redouter jamais rien;
Ils sont fort assurés du pouvoir de leurs charmes,
Et ne prendront jamais de pareilles alarmes.

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MASCARILLE.

2

Eh bien?

[ches,

Passait dedans la place, et ne songeait à rien,
Alors qu'une autre vieille assez défigurée
L'ayant de près au nez longtemps considérée,
Par un bruit enroué de mots injurieux,
A donné le signal d'un combat furieux,
Qui pour armes pourtant, mousquets, dagues ou flè-
Ne faisait voir en l'air que quatre griffes sèches,
Dont ces deux combattants s'efforçaient d'arracher
Ce peu que sur leurs os les ans laissent de chair.
On n'entend que ces mots, chienne, louve, bagasse.
D'abord leurs scoffions ont volé par la place,
Et laissant voir à nu deux têtes sans cheveux,
Ont rendu le combat risiblement affreux.
Andrès et Trufaldin, à l'éclat du murmure,
Ainsi que force monde, accourus d'aventure,
Ont à les décharpir eu de la peine assez,
Tant leurs esprits étaient par la fureur poussés.
Cependant que chacune, après cette tempête,
Songe à cacher aux yeux la honte de sa tête,
Et que l'on veut savoir qui causait cette humeur,
Celle qui la première avait fait la rumeur,
Malgré la passion dont elle était émue,
Ayant sur Trufaldin tenu longtemps la vue :
C'est vous, si quelque erreur n'abuse ici mes yeux,
Qu'on m'a dit qui viviez inconnu dans ces lieux,
A-t-elle dit tout haut; ô rencontre opportune!
Oui, seigneur Zanobio Ruberti, la fortune
Me fait vous reconnaître, et dans le même instant
Que pour votre intérêt je me tourmentais tant.
Lorsque Naples vous vit quitter votre famille,
J'avais, vous le savez, en mes mains votre fille,
Dont j'élevais l'enfance, et qui par mille traits,
Faisait voir, dès quatre ans, sa grâce et ses attraits.
Celle que vous voyez, cette infâme sorcière,
Dedans notre maison se rendant familière,
Me vola ce trésor. Hélas! de ce malheur

Votre femme, je crois, conçut tant de douleur,
Que cela servit fort pour avancer sa vie :

Si bien qu'entre mes mains cette fille ravie
Me faisant redouter un reproche fâcheux,
Je vous fis annoncer la mort de toutes deux.
Mais il faut maintenant, puisque je l'ai connue,
Qu'elle fasse savoir ce qu'elle est devenue.
Au nom de Zanobio Ruberti, que sa voix,
Pendant tout ce récit, répétait plusieurs fois,

1 Escoffions, nom ancien d'une coiffe de femme. On disait également escoffions ou scoffions.

2 Décharpir, expression basse et populaire, mais énergique, et qui ne se trouve pas dans le Dictionnaire de l'Académie : elle signifie, séparer avec effort des personnes acharnéos l'une contre l'autre.

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