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Oui, traître, c'est ainsi que tu me rends service!
Je viens de tout entendre, et voir ton artifice :
A moins que de cela, l'eussé-je soupçonné ?
Tu couches d'imposture, et tu m'en as donné.
Tu m'avais promis, lâche, et j'avais lieu d'attendre
Qu'on te verrait servir mes ardeurs pour Léandre;
Que du choix de Lélie, où l'on veut m'obliger,
Ton adresse et tes soins sauraient me dégager ;
Que tu m'affranchirais du projet de mon père :

1 Coucher d'imposture, pour payer de ruses, de mensonges. Cette manière de s'exprimer, dit Voltaire, n'est plus admise : elle vient du jeu. On disait : couché de vingt pistoles, de trente pistoles, couché belle.

Et cependant ici tu fais tout le contraire! Mais tu t'abuseras; je sais un sûr moyen Pour rompre cet achat où tu pousses si bien, Et je vais de ce pas...

MASCARILLE.

Ah! que vous êtes prompte ! La mouche tout d'un coup à la tête vous monte', Et sans considérer s'il a raison ou non, Votre esprit contre moi fait le petit démon. J'ai tort, et je devrais, sans finir mon ouvrage, Vous faire dire vrai, puisqu'ainsi l'on m'outrage.

HIPPOLYTE.

Par quelle illusion penses-tu m'éblouir? Traître, peux-tu nier ce que je viens d'ouïr?

MASCARILLE.

Non. Mais il faut savoir que tout cet artifice
Ne va directement qu'à vous rendre service,
Que ce conseil adroit, qui semble être sans fard,
Jette dans le panneau l'un et l'autre vieillard 2;
Que mon soin par leurs mains ne veut avoir Célie
Qu'à dessein de la mettre au pouvoir de Lélie;
Et faire que, l'effet de cette invention
Dans le dernier excès portant sa passion,
Anselme, rebuté de son prétendu gendre,

Puisse tourner son choix du côté de Léandre.

HIPPOLYTE.

Quoi! tout ce grand projet, qui m'a mise en courroux, Tu l'as formé pour moi, Mascarille ?

MASCARILLE.

Oui, pour vous.

Mais puisqu'on reconnaît si mal mes bons offices;
Qu'il me faut de la sorte essuyer vos caprices,
Et que, pour récompense, on s'en vient, de hauteur,
Me traiter de faquin, de lâche, d'imposteur,
Je m'en vais réparer l'erreur que j'ai commise,
Et dès ce même pas rompre mon entreprise.
HIPPOLYTE, l'arrétant.

Eh! ne me traite pas si rigoureusement,

Et pardonne aux transports d'un premier mouvement.

MASCARILLE.

Non, non, laissez-moi faire; il est en ma puissance
De détourner le coup qui si fort vous offense.
Vous ne vous plaindrez point de mes soins désormais;
Oui, vous aurez mon maître, et je vous le promets.

HIPPOLYTE.

Eh! mon pauvre garçon, que ta colère cesse !

1 Imitation du proverbe italien : salir le mosche al naso. On dit proverbialement en français, qu'un homme est tendre aux mouches, qu'il prend la mouche, que la mouche le pique, pour exprimer qu'il est trop susceptible, qu'il se fàche mal à propos. (B.)

2 On appelle panneau un filet à prendre des lièvres, des lapins, etc. De là les expressions proverbiales donner, se jeter, et jeter quelqu'un dans le panneau. (A. )

J'ai mal jugé de toi, j'ai tort, je le confesse.

(tirant sa bourse.)

Mais je veux réparer ma faute avec ceci Pourrais-tu te résoudre à me quitter ainsi?

MASCARILLE.

Non, je ne le saurais, quelque effort que je fasse ; Mais votre promptitude est de mauvaise grâce. Apprenez qu'il n'est rien qui blesse un noble cœur Comme quand il peut voir qu'on le touche en l'honneur.

HIPPOLYTE.

Il est vrai, je t'ai dit de trop grosses injures : Mais que ces deux louis guérissent tes blessures.

MASCARILLE.

Eh! tout cela n'est rien; je suis tendre à ces coups.
Mais déjà je commence à perdre mon courroux;
Il faut de ses amis endurer quelque chose.

HIPPOLYTE.

Pourras-tu mettre à fin ce que je me propose, Et crois-tu que l'effet de tes desseins hardis Produise à mon amour le succès que tu dis?

MASCARILLE.

N'ayez point pour ce fait l'esprit sur des épines.
J'ai des ressorts tout prêts pour diverses machines;
Et quand ce stratagème à nos vœux manquerait,
Ce qu'il ne ferait pas, un autre le ferait.

HIPPOLYTE.

Crois qu'Hippolyte au moins ne sera pas ingrate.

MASCARILLE.

L'espérance du gain n'est pas ce qui me flatte.

HIPPOLYTE.

Ton maître te fait signe, et veut parler à toi : Je te quitte; mais songe à bien agir pour moi.

SCÈNE XI.

LÉLIE, MASCARILLE.

LÉLIE.

Que diable fais-tu là? Tu me promets merveille;
Mais ta lenteur d'agir est pour moi sans pareille.
Sans que mon bon génie au-devant m'a poussé,
Déjà tout mon bonheur eût été renversé.
C'était fait de mon bien, c'était fait de ma joie,
D'un regret éternel je devenais la proie;
Bref, si je ne me fusse en ces lieux rencontré,
Anselme avait l'esclave, et j'en étais frustré;
Il l'emmenait chez lui: mais j'ai paré l'atteinte,
J'ai détourné le coup, et tant fait que, par crainte,
Le pauvre Trufaldin l'a retenue.

MASCARILLE.

Et trois : Quand nous serons à dix, nous ferons une croix. C'était par mon adresse, ô cervelle incurable, Qu'Anselme entreprenait cet achat favorable;

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A vos désirs enfin il a fallu se rendre :

Malgré tous mes serments, je n'ai pu m'en défendre,
Et pour vos intérêts, que je voulais laisser,
En de nouveaux périls viens de m'embarrasser.
Je suis ainsi facile; et si de Mascarille
Madame la nature avait fait une fille,
Je vous laisse à penser ce que ç'aurait été.
Toutefois n'allez pas, sur cette sûreté,
Donner de vos revers au projet que je tente,
Me faire une bévue, et rompre mon attente.
Auprès d'Anselme encor nous vous excuserons,
Pour en pouvoir tirer ce que nous désirons;
Mais si dorénavant votre imprudence éclate,
Adieu, vous dis, mes soins pour l'objet qui vous flatte.
LÉLIE.

Non, je serai prudent, te dis-je, ne crains rien :
Tu verras seulement...

MASCARILLE.

Souvenez-vous-en bien,
J'ai commencé pour vous un hardi stratagème.
Votre père fait voir une paresse extrême
A rendre par sa mort tous vos désirs contents;
Je viens de le tuer (de parole, j'entends) :
Je fais courir le bruit que d'une apoplexie
Le bon homme surpris a quitté cette vie.

Mais avant, pour pouvoir mieux feindre ce trépas,
J'ai fait que vers sa grange il a porté ses pas;
On est venu lui dire, et par mon artifice,
Que les ouvriers qui sont après son édifice,
Parmi les fondements qu'ils en jettent encor,
Avaient fait par hasard rencontre d'un trésor.

Il a volé d'abord; et comme à la campagne [pagne,
Tout son monde à présent, hors nous deux, l'accom-
Dans l'esprit d'un chacun je le tue aujourd'hui,

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1 Étre en paroles, pour converser, s'entretenir. On dit encore aujourd'hui, ils sont en paroles de mariage, en paroles d'affaires. Ces phrases toutes faites dérivent peut-être de la phrase dont Molière se sert ici, et qui n'est plus d'usage.

› Semondre, de submonere, inviter, convier. Il a plus de force que ces deux mots, et on le trouve souvent employé dans les anciens auteurs, avec le sens d'appeler. Toutefois, il est bon de remarquer qu'il était hors d'usage longtemps avant Molière.

MOLIÈRE.

ANSELME.

N'importe, tu devais attendre jusqu'au soir :
Outre qu'encore un coup j'aurais voulu le voir,
Qui tôt ensevelit, bien souvent assassine;
Et tel est cru défunt qui n'en a que la mine.

MASCARILLE.

Je vous le garantis trépassé comme il faut.
Au reste, pour venir au discours de tantôt,
Lélie (et l'action lui sera salutaire)
D'un bel enterrement veut régaler son père,
Et consoler un peu ce défunt de son sort,
Par le plaisir de voir faire honneur à sa mort.
Il hérite beaucoup ; mais comme en ses affaires
Il se trouve assez neuf et ne voit encor guères;
Que son bien la plupart n'est point en ces quartiers,
Ou que ce qu'il y tient consiste en des papiers,
Il voudrait vous prier, ensuite de l'instance
D'excuser de tantôt son trop de violence,
De lui prêter au moins pour ce dernier devoir...

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SCÈNE V.

PANDOLFE, ANSELME.

ANSELME.

Ah! bon Dieu! je frémi !

Pandolfe qui revient! Fût-il bien endormi 1 !
Comme depuis sa mort sa face est amaigrie!
Las! ne m'approchez pas de plus près, je vous prie !
J'ai trop de répugnance à coudoyer un mort.

PANDOLFE.

D'où peut donc provenir ce bizarre transport?

ANSELME.

Dites-moi de bien loin quel sujet vous amène.
Si pour me dire adieu vous prenez tant de peine,
C'est trop de courtoisie; et véritablement
Je me serais passé de votre compliment.
Si votre âme est en peine, et cherche des prières,
Las! je vous en promets; et ne m'effrayez guères !
Foi d'homme épouvanté, je vais faire à l'instant
Prier tant Dieu pour vous que vous serez content.
Disparaissez donc, je vous prie,

Et que le ciel, par sa bonté,
Comble de joie et de santé
Votre défunte seigneurie!
PANDOLFE, riant.

Malgré tout mon dépit, il m'y faut prendre part.

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ANSELME.

Vous êtes habillé

D'un corps aérien qui contrefait le vôtre,

Mais qui dans un moment peut devenir tout autre.
Je crains fort de vous voir comme un géant grandir,
Et tout votre visage affreusement laidir.
Pour Dieu ! ne prenez point de vilaine figure;
J'ai prou de ma frayeur en cette conjoncture❜.

Ce demi-vers est obscur. Anselme veut dire sans doute: Plút à Dieu qu'il dormit en paix! que rien ne troublât le repos de son åme! car il ne doute pas un seul instant que son ami ne soit mort, comme le prouve le vers suivant.

Prou, vieux mot qui signifie assez, beaucoup. Il n'est plus

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A votre dam. Pour moi, sans m'en mettre en souci, Il faut dire : J'en tiens. Quelle surprise extrême! Je vais faire informer de cette affaire ici

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D'où peut-il avoir su sitôt le stratagème?

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