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notre attention, et par les mesures que nous avons prises, nous avons trouvé que cela était faux, qu'Isabelle Roels était innocente et que ces deux coquines voulaient nous faire leurs dupes.

» Pourquoi donc, puisque ces révélations qui ont servi et qui servent encore de flambeau dans cette horrible procédure et qui la rendent intéressante aux yeux de la justice, pourquoi, dis-je, la met-on en prison? Crainton son évasion? Impossible! Où ira une malheureuse (victime à l'âge de 16 ans de cet infâme assassin Claus), sans habillements, sans bas, sans souliers, sans obole, abandonnée de la nature entière, et pour comble de malheur, opprimée par le genre humain; où ira-t-elle, dis-je, ne fût-ce chez les morts?

>> Mais informé, Monsieur le procureur-général, qu'il dépend de vous d'améliorer son sort, et puisque c'est par elle seule que l'assassinat nous a été connu, et pour faire honneur à ma parole donnée que je n'ai jamais trahie, j'ose espérer que vous la ferez mettre en liberté. Elle comparaîtra devant tous les tribunaux où il plaira aux juges de l'appeler, et je réponds d'elle sur ma tele (*).

» En attendant une réponse satisfaisante, j'ai l'honneur de vous saluer, (Suit la signature.)

» A M. Van der Fosse, procureur-général à Bruxelles. »

Cette lettre ne put avoir et n'eut aucun effet: Isabelle Roels se trouvait sous le poids d'une ordonnance de prise de corps, et il n'y avait que la chambre des mises en accusation ou la cour d'assises qui pût ordonner sa mise en liberté. En la faisant arrêter, l'autorité judiciaire de Termonde n'eut d'autre but que de découvrir la vérité, et en avisant sur la pièce ci-dessus transcrite, elle reconnut qu'Isabelle Roels « avait rendu des services réels dans la procédure, et que, sous ce rapport, elle avait droit à des égards. » Nouvelle preuve que jusqu'à la fin les magistrats instructeurs furent dupes d'une vile intrigante !

Le 31 août 1819, le procureur-général près la Cour supérieure de justice, chambre des mises en accusation, requit et obtint, par arrêt du même jour, le renvoi devant la cour d'assises de la Flandre orientale des frères Claus, d'Amelbergue Michiels, de Grisilde Claus et d'Isabelle Roels, sous l'accusation d'assassinat, suivi de vol, commis sur la personne du sergent-major Maters.

Les motifs invoqués par le ministère public pour la mise en accusation des trois femmes étaient résumés comme suit dans son réquisitoire :

« 1° A l'égard d'Isabelle Roels, d'Amelbergue Michiels et de Marie-Grisilde

(*) Cette phrase est soulignée dans l'original.

Claus que toutes trois étaient les habituées de la maison de Claus, reconnue maintenant pour un lieu habituel de prostitution;

» 2o A l'égard d'Isabelle Roels seule : qu'elle a non seulement vu creuser, vers dix heures du matin du 23 mai 1817, la fosse dans laquelle fut enterré le soir le sergent-major Maters, assassiné par Charles Claus, mais qu'elle doit avoir pu observer que la terre remuée était bleuâtre; d'où résulte qu'elle s'est arrêtée assez près de la fosse pour causer avec ceux qui la creusaient et pour connaître quelque chose de leurs projets; qu'elle a pu se séparer des assassins pendant que Charles Claus abandonnait les restes de la victime sur les bords de la fosse pour chercher la cuvelle de cendres; et qu'au lieu de fuir les assassins, elle est demeurée dans leur repaire, pendant plus d'une heure, à boire avec eux et à s'occuper du produit du vol commis après l'assassinat; fait dont la nature est facile à apprécier lorsqu'on réfléchit qu'Isabelle Roels a continué ses relations avec le principal assassin, au point d'apprendre de lui que ce meurtre n'était pas son coup d'essai, et que déjà depuis plusieurs années il avait assassiné sur le grand chemin un marchand auquel il avait volé quinze cents florins;

» 3o A l'égard d'Amelbergue Michiels, épouse de Charles Claus, seule : qu'elle était assise sur le bord du lit, auprès duquel le sergent-major Maters a été vu expirant; qu'au moment du premier coup porté à la gorge de ce malheureux sergent-major, Amelbergue Michiels devait le tenir dans ses bras, et qu'ayant eu le temps d'adresser à l'assassin les mots : Charles, Charles, que venez-vous faire ici? avant l'assassinat commis, elle paraît avoir eu part au crime, soit en tenant les mains de la victime, soit en l'empêchant de se défendre ou de fuir, soit de toute autre manière; faits que rendent plus ou moins probables le mariage qu'a contracté depuis cet assassinat Amelbergue Michiels avec Charles Claus ;

» 4° A l'égard de Marie-Grisilde Claus, épouse de Séraphin de Wagenaere : qu'au lieu de n'avoir fait qu'entrevoir le cadavre du sergent-major Maters, comme il résultait déjà des premières informations, elle a été aussi et volontairement présente à l'inhumation; qu'elle est restée boire avec les frères Claus et les deux autres femmes pendant une heure et demie, et qu'elle s'est ensuite couchée avec sa mère, laquelle prétend n'avoir appris d'elle que le lendemain, la désertion et non l'assassinat du sergent-major Maters; ce qui suppose de la dissimulation, que l'intérêt de son frère même ne suffirait pas pour justifier; » 5° Enfin à l'égard de ces deux dernières, on doit remarquer encore que le 19 juillet dernier, elles se sont permis un mensonge insigne, concerté entr'elles, et dont la fausseté a été démontrée par les devoirs faits en cette nouvelle instruction. »>

L'arrêt de la Cour supérieure de justice fut notifié le 4 septembre aux cinq accusés, et le surlendemain on les transporta à la prison de Gand, où ils furent écroués.

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Le 11 septembre, un juge du tribunal de Gand, agissant en l'absence et en vertu de la délégation de M. le président de la cour d'assises de ladite province, fit subir aux accusés l'interrogatoire prescrit par la loi.

Les réponses de Charles Claus n'offrirent rien de nouveau; mais Jacques Claus qui avait accusé son frère d'avoir assassiné Maters, se rétracta, et déclara qu'aucun d'eux n'était coupable de ce crime. Les trois femmes persistèrent dans les réponses et dans les aveux qu'elles avaient faits devant le juge d'instruction de Termonde. Les accusés, interpellés sur le point de savoir s'ils avaient été antérieurement condamnés, répondirent tous négativement, à l'exception d'Amelbergue Michiels, qui déclara avoir encouru une condamnation à un mois de prison, pour un vol commis, disait-elle, par son mari. Enfin, le 28 septembre fut le jour fixé pour la comparution des accusés devant la cour d'assises.

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Nous y mènerons nos lecteurs à la prochaine livraison.

A. N.

REVUE POLITIQUE.

Une crise commune affecte en ce moment une grande partie de l'Europe : la cherté des vivres y rend très-difficile la tâche des Gouvernements et plus pénible encore la position des classes inférieures. Toutes les combinaisons que l'on a essayées jusqu'à ce moment pour mettre un terme à cet état de choses, n'ont eu qu'un résultat inefficace : les Gouvernements ont pris les mesures que commandait la gravité des circonstances; ils ont, afin de parer au mal, grevé leur avenir financier de charges accablantes. Les communes ont épuisé toutes leurs ressources; elles ont augmenté leurs impositions jusqu'au maximum. Les particuliers ne sont pas restés en défaut la charité s'est manifestée par mille moyens les uns aussi ingénieux que les autres; et cependant, nous le répétons, cela n'a amené qu'un adoucissement momentané.

L'Irlande, désolée par la famine, a eu ses émeutes le sang a coulé ; la mortalité y a fait ses terribles ravages, et aujourd'hui on ne rencontre dans ce malheureux pays que des cadavres et des mourants. L'avenir de l'Irlande est désespérant, car si nos informations sont exactes, la plupart des terres ne sont pas cultivées, les possesseurs n'ayant plus eu ni la force, ni les moyens pour les mettre en état de produire.

L'Écosse a souffert, mais à un moindre degré que l'Irlande; l'émigration l'a soulagée quelque peu, et l'Angleterre, proprement dite, a eu à sa charge les indigents que leur pays natal ne pouvait plus nourrir. On a calculé que les paroisses de Liverpool seules donnent des secours à 20,975 émigrés écossais et irlandais.

Si la misère n'a pas sévi d'une manière aussi effrayante en France, l'émeute y a porté plus qu'ailleurs ses terribles fléaux; des troubles, accompagnés de meurtre et de pillage, ont affligé un assez grand nombre de localités, et tous les jours les feuilles publiques nous apportent encore le récit de nouveaux désordres.

Quoiqu'on en parle moins, la misère est très-grande en Allemagne et en Hollande la taxe des pauvres a été introduite arbitrairement dans ce dernier pays. La décadence de l'industrie linière fait beaucoup souffrir les populations de certaines provinces allemandes.

Si nous reportons maintenant nos yeux sur la Belgique, nous trouvons, d'une part, des provinces où le travail est très-abondant, et où, conséquemment, la cherté des vivres est adoucie par la jouissance d'un salaire assez élevé ; d'autre part, des contrées où le défaut de travail ajoute aux difficultés résultant du haut prix des subsistances. La mortalité fait dans deux provinces surtout de grands progrès, et jusqu'ici nous ne voyons encore dans l'avenir aucune chance de pouvoir remédier à tant de maux. Quelques désordres ont eu lieu dans une ville voisine, mais sans présenter aucune gravité; et quoiqu'il règne une certaine agitation dans le pays, nous espérons que les mesures de prévoyance qui ont été prises et le bon sens des populations préviendront des excès dont les classes inférieures seraient les premières à pâtir.

En présence de maux si graves, en présence des nombreux efforts qui ont été faits pour cicatriser les plaies sans pouvoir y réussir, nous nous inclinons devant les paroles sublimes que prononça dernièrement devant un de nos amis un prélat renommé par ses vertus et son haut savoir : « O esprit humain, » s'écria-t-il, vous vous croyez bien grand parce que vous avez construit » des chemins de fer, parce que vous avez inventé des mécaniques auxquelles » vous semblez avoir communiqué votre intelligence, parce que vous avez >> reculé les bornes de la science à un point extrême, et voyez cependant : >> deux provinces qui récèlent dans leur sein tout ce qu'il faut pour être pros» pères, se débattent contre la misère et la mortalité; et vous ne pouvez >> trouver de remède à leurs maux; toutes vos tentatives échouent, et vous » êtes forcé de vous en rapporter à la Providence divine. O grandeur hu>> maine, que vous êtes faible! >>>

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