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JEUNES FILLES.

Unus odorflori et fronti, color unus et unus
Est decor! amborum vita eadem ut sapias.

VALERIANO

ad Rosinam.

Voyez comme elle est belle et comme son œil brille!
O le charmant sourire! ô les chastes appas!
Grâces, pudeur, bonté, toute la jeune fille!
Enfants, venez, venez, et ne nous fuyez pas !

- Ce que j'adore en vous, c'est votre air de mystère...
Plus finement tissu qu'une aile d'éphémère

Un éphod d'Orient vous drape en ses replis;
Et vous savez parfois sous la gaze légère
Voiler le sérieux de vos tendres esprits.
L'été, j'aime à vous voir folâtrant dans la plaine,
Ètre, comme un zéphyr, ne jamais hors d'haleine;
De vos pieds de satin frôlant les blonds épis
Et lançant les bluets que vous avez cueillis.
Ou bien, ainsi que boit la timide gazelle,
Aspirer prudemment le cristal du ruisseau ;
Saisir dans vos filets la verte demoiselle
Et le papillon bleu qui volent près de l'eau.
J'aime à vous voir cueillir les pêches veloutées,
Dans un osier ranger des grappes de raisin;
Aux cygnes déployant leurs ailes argentées
Jeter sur les gazons quelques miettes de pain.

Surtout, j'aime à vous voir, quand déjà le soir tombe, Pensives, côtoyer la lisière des bois,

Et fléchir vos genoux sur une tiède tombe

Dont l'hôte gémissant dit tout bas : C'est sa voix !...

La nuit d'été, votre œil, aux sphères constellées Se fixe, et réfléchit les étoiles des cieux,

La lune irradiant les ombreuses allées
Que Philomèle emplit de chants mélodieux.

Et l'hiver, vous causez, les lèvres moitié closes,
Sur vos coquets divans de mille douces choses...
Rieuses, vous formez une ronde au foyer,
Tandis que votre mère et la grave famille
Regardent tendrement la belle jeune fille
Sur les bras d'une sœur doucement s'appuyer.
On lit quelque légende, on brode une guipure,
On s'essaie à la taille une riche ceinture :
Charmantes, prenez garde au bal échevelé
D'où l'œil le plus serein revient pâle et voilé.
Plutôt, que votre aiguille, allègre, travailleuse,
Gagne un pieux salaire à quelque œuvre pieuse !
Sur des réseaux subtils, en un bouquet de fleurs,
Qu'elle appose, rêvant, le cachet de vos cœurs...
C'est le triste lotus, l'anémone irisée,

C'est le pâle lilas, la rose de carmin...
La femme laisse ainsi son intime pensée
Errer en fils soyeux dessous sa blanche main.
O douce poésie! heureuses que vous êtes,

Le ciel est donc toujours tout doré sur vos têtes,
Vous avez donc des fleurs dans toutes les saisons!
Le jardin de votre âme en possède à foisons!
Tonnelle parfumée où je me réfugie

Pour fuir le vent brûlant qui souffle sur ma vie !
L'homme n'a point, enfants, vos jours au flot d'azur ;
Au fond de mes torrents rampe un dragon impur.

Oui, l'été radieux daigne aussi me sourire...
Ce que j'éprouve alors, je ne saurais le dire...
Mais l'hiver, je frémis lorsque le bruit des vents
Raille dans le lointain mes rêves décevants.

Je regarde, le soir, à travers ma fenêtre,
La neige à blancs flocons se coucher sur les toits,
Et l'air que nul rayon de lune ne pénètre,
Où l'oiseau de la nuit jette sa rauque voix.

Je songe au pèlerin, au pauvre sans asile,
A tous ceux qu'a saisi la dent des passions;
Je lis Ézéchiel, Dante, Pascal, Virgile,

Et je soulève en moi de sombres questions.
Je vous vois en esprit au sortir d'une fête,
Déposant vos colliers et vos joyaux de bal,
Réserver, l'œil mouillé d'une larme secrète,
Pour l'indigent le prix d'un écrin de sandal.
Mes beaux anges! Le Ciel tout entier vous regarde
Lorsque vous pénétrez dans sa noire mansarde,
Que d'un souffle enflammé vous ravivez son sein
Et que de vos deux bras vous lui donnez du pain!
Oh! de toute douleur, alors, Dieu vous délivre :
Vos blanches fleurs jamais ne penchent sous le givre :
Et je n'appelle plus les plaisirs vanité,

Quand la Vertu les offre en pacte à la Beauté !
Soyez toujours ainsi, mes belles jeunes filles,
Les anges du Seigneur, l'astre de vos familles,
Les gardiennes du pauvre et l'amour de nos yeux;
Soyez pleines de joie et faites des heureux!
Sachez, enfants, sachez que la foi sanctifie
Le calice enivrant de l'humaine beauté !

Sans la vertu, l'amour fait trop chérir la vie,
On oublie, en aimant, la sombre éternité !

JAMES VAN OVERSTRATEN.

FERNANDE DE NARJÈS.

I.

Ferdinand, Roi d'Aragon, venait de mourir, après avoir déclaré son petitfils, l'archiduc Charles, héritier de tous ses États, et après avoir confié la régence de Castille à Ximenès, archevêque de Tolède.

La Reine Jeanne qui, depuis la mort de son mari, avait complétement perdu la raison, ne paraissait plus en public et n'admettait plus guère auprès d'elle qu'une jeune fille d'honneur, la duchesse Fernande de Narjès.

C'est une triste histoire que celle de la jeunesse de Fernande. Le jour où elle vint au monde, elle perdit sa mère. Quand elle put comprendre ce grand malheur, le premier de tous, elle comprit aussi combien était imminente la ruine de sa maison. Elle vit partir pièce par pièce, s'échapper lambeau par lambeau les vastes possessions qui firent la gloire et la puissance de son antique famille. Toutes les choses que la jeune duchesse aimait le mieux de l'héritage maternel, la consolation à donner aux malheureux, le soulagement des pauvres, l'aumône qui se déguise avec délicatesse, ce pain de l'Évangile qui, donné par la charité, se dérobe à la reconnaissance, lui échappaient chaque jour. Chaque jour aussi, pendant qu'elle grandissait, d'autres pertes se préparaient, plus rudes à supporter. On aurait dit que Dieu eût mesuré sur les années de cette enfant les peines qu'il voulait lui envoyer. L'abandon des voisins, le délaissement du monde, l'orgueil des compétiteurs qui se réjouit à l'aspect d'une vieille gloire éclipsée, la trahison domestique, nulle de ces tortures ne lui fut épargnée, et quand son caractère eut reçu la trempe de l'adversité, une dernière catastrophe l'attendait son père mourut.

Tout sert dans la vie, tout est épreuve pour l'âme. Celle de Fernande grandissait avec le malheur. Puis, une circonstance particulière contribua à lui donner du courage. Un parent à qui elle avait été fiancée dans son enfance, lui était resté fidèle et dévoué. Ce parent, c'était le cousin de Fernande, Alonzo de Sédoval, jeune homme au cœur noble, non moins timide devant un gai et gracieux visage qui lui sourit, qu'intrépide en face de dix épées qui le menacent.

Alonzo n'a jamais, même du regard, osé dire à Fernande: Je t'aime! et pourtant Fernande a compris qu'elle était aimée; et, du fond de son âme, elle s'est promise d'accepter la main de celui qui n'osait la demander ni de la bouche ni des yeux.

Alonzo, forcé de quitter Madrid pour se rendre à Bruxelles auprès de l'archiduc, avait recommandé sa jeune cousine aux bontés de la Reine Jeanne, qui avait bien voulu l'admettre au nombre de ses filles d'honneur. Fernande fut logée au palais. Mais le malheur est persévérant; il se lasse moins vite que le bonheur. La jeune duchesse était d'une beauté rare. Ses cheveux avaient le reflet de l'ébène, sa bouche était meublée de dents blanches comme le lait, les tons de sa peau étaient si diaphanes que l'on pouvait y prendre sur le fait le phénomène de la circulation. Ses attitudes avaient un charme de grâce, d'abandon, de candeur et de jeunesse que rien ne saurait rendre; tout en elle annonçait au plus haut degré la douceur et la bonté. L'expression un peu mélancolique de sa physionomie ne tenait pas moins à sa santé délicate qu'à l'habitude qu'elle avait de vivre avec des personnes d'un caractère plus altier, plus impérieux que le sien. La beauté de Fernande éveilla bientôt dans l'âme de l'infant don Ferdinand une passion violente, que le jeune prince ne se donnait pas la peine de cacher, mais pour laquelle il n'obtenait en retour que de froids témoignages de respect.

Irrité du peu de prix que l'on attachait à son amour, et devinant la cause de cette indifférence, il avait d'abord envoyé secrètement auprès de son frère Charles un de ses plus fidèles agents, Gonzalès Scorpo, en le chargeant de perdre Alonzo dans l'esprit de l'archiduc. Bientôt le dépit toujours croissant qu'il éprouvait devint si violent, qu'il ne put s'empêcher de montrer, même en public, envers la jeune duchesse une aigreur dont quelques-uns ne tardèrent pas à deviner les motifs. Dès ce moment, Fernande fut délaissée par tous les courtisans, qui n'avaient pu d'ailleurs lui pardonner la faveur dont elle jouissait auprès de la Reine Jeanne.

De grandes fêtes eurent lieu à Madrid pour célébrer l'avènement de l'archiduc Charles. Ces fêtes devaient être couronnées par un bal donné dans la grande salle de l'Escurial. Dès la nuit tombante, cette vaste salle était comble. Il ne restait pas un seul gradin inoccupé. Toute cette enceinte, avec ses innombrables nuées de têtes, ressemblait à une immense et magnifique corbeille de fleurs. L'infant don Ferdinand, entouré des jeunes gens qui for

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