Page images
PDF
EPUB

fois à Gand. Le seul marché national, qui finira par s'étendre à toutes les provinces, même le Luxembourg, quand notre réseau du chemin de fer sera complet, peut, si l'on en facilite bien l'exploitation, augmenter notre pêche dans une proportion que nous n'essaierons pas de calculer.

Pour atteindre ce but, il faut commencer par faciliter les transports, em leur procurant les avantages de la célérité et du bon marché. Des améliorations sont réclamées sous l'un et sous l'autre rapport.

Le poisson frais est, on le sait, la denrée la plus susceptible d'une prompte détérioration. il devrait donc être toujours expédié par le premier convoi qui suit le dépôt. Or, l'article susmentionné de notre collaborateur nous apprend que l'art. 68, § 2 du règlement des transports par le chemin de fer exige que le dépôt ait lieu deux heures avant le départ du convoi, faute de quoi le transport immédiat n'a lieu que moyennant paiement des prix ordinaires. C'est, comme le fait observer l'auteur, le temps qu'il faudrait pour transporter la marchandise d'Anvers ou d'Ostende à Gand. Deux heures de dépôt, même en plein été ! Mais l'administration n'a donc pas songé que le poisson frais n'était ni de fer ni de marbre ?

Il faut, (nous empruntons une partie de ces idées soit à l'article précité, soit à la discussion législative), il faut modifier ces règlements défectueux. Il faut qu'à toute heure, le poisson frais soit expédié par le premier convoi, et qu'on prenne des mesures convenables pour prévenir les retards qu'on éprouve dans les stations de coïncidence. Un grand bienfait serait l'établissement des convois de nuit. Enfin, il conviendrait de fixer les prix de transport de la manière la plus modérée, en ayant égard à l'importance des intérêts qui se rattachent à la pêche, plutôt qu'à l'avantage apparent d'un péage un peu plus élevé.

Mais il ne suffit pas de faciliter le transport du poisson dans toutes les localités du pays, il faut encore en faciliter la vente. Nous dirions difficilement quelque chose à cet égard qui n'ait été dit avant nous, même dans ce recueil; mais la question est assez importante pour que nos lecteurs nous permettent d'y revenir et d'insister de nouveau en faveur d'un intérêt qui n'est pas assez généralement apprécié.

Tout semble se réunir fatalement pour créer des obstacles au placement des produits de la pêche. Ce n'est pas assez que des règlements vicieux neutralisent une partie des avantages que le chemin de fer devrait procurer; le détestable régime des octrois communaux et des minques prive la pêche de nombreux consommateurs.

Dans son article du mois de septembre dernier, notre collaborateur a cité divers exemples de la ridicule exagération des droits d'octrois. Pour ne pas tomber dans des redites inutiles, nous y renverrons le lecteur (1) et nous

(1) De la pêche nationale. Tome Ier, 9e livraison, page 411.

demanderons si tous les principes d'économie sociale ne sont pas méconnus, lorsqu'une industrie est soumise à des droits de consommation qui montent quelquefois jusqu'au quart et même à la moitié de la valeur (1).

A cet abus vient se joindre celui qui résulte de l'organisation des minques. Beaucoup de villes n'ont qu'une minque; quelques-unes en ont deux, mais le producteur et le consommateur n'en sont pas plus avancés. Les règlements semblent faits et les usages introduits, exprès pour empêcher le bourgeois d'acheter directement, et pour favoriser l'accaparement au profit des intermédiaires. Croirait-on que, d'une part, on donne ou, plutôt, on reconnaît à chacun le droit d'acheter en minque et que, de l'autre, on stipule que la vente se fera par plusieurs pièces et même par paniers? Mais c'est retirer d'une main ce qu'on feint de donner de l'autre; c'est léser le consommateur et se moquer de lui par-dessus le marché. Que veut-on qu'un particulier fasse, à Bruxelles, par exemple, de deux cabillauds, de deux paniers d'églefins ou de deux mille harengs frais?

Il résulte de tout ceci que le poisson, denrée d'une faible valeur à la côte, est tellement cher dans nos villes, même les plus voisines de la mer, qu'il est devenu un objet de luxe et que la petite bourgeoisie doit s'en priver. C'est tout au plus si elle peut se donner de temps en temps un morceau de morue ou de stokfische.

Dans la discussion du Sénat, on a dit que, moyennant de meilleurs règlements, la consommation du pays pouvait se décupler en peu d'années. Cette assertion est beaucoup trop timide. Les seules villes d'Anvers, Bruxelles et Gand suffiraient peut-être pour donner à la pêche une consommation décuple, si le poisson était mis à la portée des acheteurs (2). Qu'une législation plus intelligente fasse disparaître ces abus; qu'elle ouvre aux produits de notre pêche, non seulement ces trois grandes cités, mais encore les autres villes du pays jusqu'au fond du Luxembourg; et qu'on calcule, s'il se peut, l'immense marché qu'en Belgique seulement, il est facile de substituer au marché insuffisant et insignifiant que nous offrons aujourd'hui à nos pêcheurs.

Et qu'on ne craigne pas de mettre imprudemment la main aux octrois communaux. Nous savons assez qu'il est plus facile de faire à ce sujet de la populárité à la Chambre que de concilier les besoins des villes avec les innovations dont on parle fort souvent au hasard. Nous reconnaissons avec le ministre de

(1) A Namur, la morue paie 12 centimes le kilog., 50 p. c. A Liége, le poisson frais, qui vaut à Ostende, fr. 18-37 les 100 kilog., paie 10 francs les 100 kilog. C'est plus de 50 p. c.

(2) A St-Josse-ten-Noode, qui a le bonheur de ne pas relever de l'administration communale de Bruxelles, on a établi une minque à l'usage des bourgeois. Les journaux nous ont appris que les églefins s'y sont vendus à 20 centimes la pièce.

l'intérieur que la réforme très-désirable des octrois, doit se faire successive- ~ ment et avec prudence, et qu'elle est impossible dans ce moment de calamité, où les villes n'ont pas trop de toutes leurs ressources. Mais nous mettons en fait que l'abaissement des droits sur le poisson, combiné avec la réforme du régime des minques, ferait assez augmenter la consommation pour que les villes y gagnent au lieu d'y perdre.

Cette vérité est tellement évidente qu'on pourrait s'étonner à bon droit de ce qu'aucune administration communale n'a songé jusqu'à présent à introduire une réforme utile à ses commettants, à l'intérêt général et à ses propres finances. La chose s'explique en partie par l'empire de la routine. Les règlements de nos minques sont assez généralement restés à peu près ce qu'ils étaient au temps où les corporations savaient se faire donner et se conserver des priviléges. On les a trouvés tels et, sauf peut-être quelques modifications peu importantes, on les a gardés tels. Aujourd'hui moins que jamais, on y touchera. Tous les poissonniers, qui font, grâces au monopole, d'excellentes affaires, sont électeurs. Tous ont des parents ou des amis, électeurs aussi. Or, nos conseillers communaux électifs ont une lutte trop rude à soutenir, dans le sot conflit des opinions, pour se créer de nouveaux et redoutables adversaires dans l'ordre des intérêts matériels. Une haute intervention est ici nécessaire. Il faut qu'une loi fixe le maximum des droits imposables sur le poisson et détermine les principes généraux qui doivent servir de bases aux règlements concernant les minques. Ces règlements, qui rentrent, par leur nature, dans les attributions des autorités communales, devraient être soumis à la sanction du pouvoir exécutif, chargé de veiller à ce que les principes légalement établis ne soient pas faussés dans leur application.

Il suffit donc d'une législation intelligente, de la simple réforme des abus, pour créer à notre pêche, dans l'intérieur même du pays, un marché assez considérable, pour que les faveurs accordées à nos rivaux cessent d'être préjudiciables. Mais là ne se borne pas l'impulsion qu'on peut donner à la pêche. L'Allemagne offre un débouché immense que la Belgique peut partager avec la Hollande, et le Gouvernement peut nous l'assurer sans peine. L'expédition immédiate des cargaisons, la célérité du transport (en mettant ordre aux retards à Malines) et la modicité du tarif des prix, voilà tout ce qu'il faut.

Nous mettons fin à ces considérations en concluant qu'un régime protecteur est indispensable à notre pêche ; que la protection nécessaire est affaiblie par le traité du 29 juillet 1846; que cependant les fâcheux effets de ce traité peuvent être annihilés, si l'on ouvre à la pêche les marchés qu'elle est susceptible d'exploiter à l'extérieur et à l'intérieur ; que ces marchés s'ouvriront, au dehors, par la célérité et le bas prix des expéditions et des transports, et, au dedans, par ces mêmes conditions, par l'abaissement des droits d'octroi et par la réforme des règlements relatifs aux minques. Malheureusement, il faudrait, nous l'avons dit plus haut, une loi, soit pour vaincre les obstacles locaux, soit

pour donner à la réforme l'ensemble et la promptitude convenables : et quand viendra cette loi? Proposer une loi est chose facile pour le Gouvernement, mais la faire discuter, c'est une autre affaire. L'opposition systématique entrave tout et substitue les discussions politiques aux questions les plus utiles. D'une autre part, la majorité donne bien de nouveaux signes de vie, dont il faut lui tenir compte, mais elle n'a pas encore récupéré assez de vigueur et de hardiesse pour couper court aux débats stériles et pour contraindre la gauche à subir la discussion des lois d'intérêt réel. Peut-être nos armateurs, nos patrons et nos pêcheurs, ne feraient pas mal de lui venir en aide par des pétitions formelles, en réclamant d'une manière catégorique le changement radical et immédiat d'un état de choses abusif et ridicule.

D. O.

DE LA PROPRIÉTÉ LITTÉRAIRE.

La propriété littéraire a été, depuis plusieurs années, le sujet de savantes discussions et d'une intéressante polémique. Les uns, remettant en question la nature du droit des auteurs sur leurs œuvres, lui ont refusé les caractères de propriété; les autres ont pensé que la propriété littéraire devait être perpétuelle comme les autres, sauf l'expropriation pour cause d'utilité publique, moyennant une équitable indemnité; enfin, la majorité a voulu qu'elle fût viagère pour les auteurs, et n'appartînt à leurs héritiers que durant un certain nombre d'années; cette opinion, d'ailleurs, a été adoptée par la plupart des législations étrangères.

En quoi consiste la propriété littéraire ? Les droits de l'auteur forment-ils une propriété sui generis ? Quelles en sont les limites?

Nous dirons d'abord que nous n'attachons aucune importance à l'expression de propriété littéraire, qui nous semble mal appliquée.

Dans son sens primitif, dit M. le conseiller Renouard, propriété veut dire ce qui est propre, particulier à telle personne, à telle chose; ce qui tient à leur essence; ce qui les distingue de toute autre chose, de toute autre personne. Dans ce sens, il est très-vrai de dire que la pensée est la propriété de l'homme, que les pensées de chaque homme sont sa propriété.

Mais ce n'est pas suivant cette acception rigoureuse et primitive, c'est en vertu d'une extension donnée au langage par l'analogie, que notre champ, notre maison, notre vêtement, notre livre, sont appelés notre propriété. Ces objets là ne nous sont pas propres, ils nous sont appropriés. L'influence de la langue a modifié à tel point la signification originaire des mots, que les seuls objets dont on dit l'homme propriétaire, sont les objets matériels extérieurs à lui, qui ne font pas partie de sa personne, mais qui se trouvent

« PreviousContinue »