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DE LA DISCUSSION DU BUDGET DE LA JUSTICE.

Quinze séances sur cent cinquante ont été employées l'année dernière à discuter pourquoi la minorité n'était pas devenue Gouvernement. L'épidémie verbeuse, qui affligeait notre Chambre des Représentants, en 1846, n'a rien perdu de sa maligne influence. Deux mois à peine étaient écoulés depuis l'ouverture de la session et nous avions eu à subir trois débats politiques : un à la discussion de l'adresse; un à celle du budget de l'intérieur; un troisième à celle du budget de la justice. C'est fort honnête, et c'est peut-être très-, récréatif pour MM. de l'opposition, mais les citoyens paisibles, qui ne courent pas les portefeuilles et qui paient les plaisirs de la gauche à raison de quinze cents francs par représentation, (excusez nous disons par séance), les citoyens paisibles, répétons-nous, aimeraient mieux voir à l'ordre du jour quelqu'une de ces lois utiles promises dans le discours du Trône.

Le budget de la justice est un de ceux qui peuvent soulever les discussions les plus intéressantes, soit à raison de l'état encore imparfait de notre législation, soit à raison des calamités de l'époque auxquelles il est appelé à subvenir. Celui qui connaîtrait nos besoins mieux que les habitudes de nos parleurs, s'attendrait à trouver dans la bouche de nos représentants des considérations sur la révision des codes, sur les vices du système hypothécaire, sur la réforme du régime pénitentiaire, et, surtout par le temps qui court, sur la réforme des dépôts de mendicité et sur l'amélioration des institutions charitables. Nous ne pousserons pas plus loin cette nomenclature, qui pourrait étre bien autrement étendue. Il serait loin de son compte. Pour traiter avec fruit ces questions positives, il faut, nous l'avons dit naguère, des connaissances et une assiduité de travail qui sont le partage de bien peu de personnes dans les rangs de l'opposition, et celles, en très-petit nombre de ce côté, qui

pourraient se hasarder à parler de ces matières, concentrent tellement leur attention sur les moyens de conquérir les bancs ministériels, qu'il leur en reste bien peu pour les questions sociales. Tous les points qui pouvaient intéresser le bien public ont été passés sous silence, et la discussion a porté quinze jours entiers sur de misérables chicanes relatives au chapitre des cultes et à des questions de personnes.

Rien de plus amusant que les appréciations faites de ces débats par la presse opposante. A son compte, le ministre a été malmené par la gauche et ne s'est tiré de la discussion que semblable à l'oiseau voyageur :

Trainant l'aile et tirant le pied.

Nous ne sommes pas précisément de cet avis: nous croyons même que la gauche a rendu au cabinet le service de se déconsidérer un peu davantage. On sait qu'en fait d'admiration pour les grands citoyens de la minorité, notre thermomètre est à zéro. La dernière discussion serait de nature à le faire baisser encore plutôt qu'à le faire remonter.

La gauche a fait, de nouveau, preuve d'esprit passionné et d'inintelligence en se jetant encore une fois sur le terrain des discussions religieuses. N'avonsnous pas eu, bon Dieu! assez de ces tristes querelles dans notre pays, et seize années d'un repos, fondé sur la liberté générale, pèsent-elles si fort à certaines personnes, qu'il faille revenir à de vieilles prétentions surannées, abjurées aujourd'hui par ceux mêmes qu'on veut induire à les faire revivre?

Pendant cinquante ans, la Belgique a été troublée par les dissensions religieuses. Joseph II, l'Empereur sacristain, le Directoire, Napoléon, Guillaume ont successivement voulu régler ce qui n'était ni de leur ressort ni à la portée de leur atteinte les consciences. Ils ont voulu faire du culte une branche administrative et de la religion un moyen de gouvernement. Qu'y ont-ils gagné? Rien que la discorde parmi les citoyens et la désaffection des

masses.

:

Eclairé par l'expérience, le Congrès a mis ordre au renouvellement de ces querelles, en décrétant en droit comme en fait la liberté et l'indépendance des cultes, en organisant notre état social de sorte que l'ordre religieux ne réagit pas sur l'ordre civil, non plus que l'ordre civil sur l'ordre religieux. Seize années d'épreuves ont sanctionné son œuvre que nous avons à défendre aujourd'hui contre les réminiscences d'un temps qui n'est plus.

La Constitution proclame « la liberté des cultes. » Elle porte que « l'État » n'a le droit d'intervenir ni dans la nomination, ni dans l'installation des >> ministres d'un culte quelconque; » que « les Belges ont le droit de s'asso»cier. » En présence de ces termes si clairs, qui ôtent jusqu'à la triste ressource de l'équivoque, comment faut-il juger les doctrines récemment développées par les pâles copistes d'hommes sans échos, même à Paris? On ne s'est pas borné à constituer en grief l'existence des associations religieuses,

formées en vertu d'un droit général, garanti à tous les citoyens belges, sans acception de culte; à reprocher au Gouvernement ce résultat de nos libertés constitutionnelles, comme s'il avait dû, comme s'il avait pu restreindre l'exercice d'un droit civique à raison des opinions de ceux qui veulent en user : on a convié l'administration et les tribunaux à connaître de la révocation des ministres du culte et de l'application des lois de l'Église qui ne sont pas de leur compétence; on a voulu ressusciter les articles de la loi organique les plus contraires à notre loi constitutionnelle et jusqu'aux doctrines insensées, formulées dans la trop célèbre constitution civile du clergé.

Nous l'avons dit, il y a deux mois (1): nous apprécions la distance qui sépare ceux qui n'ont point de sympathies pour les doctrines catholiques et ceux qui les professent. Sans aucun doute, ce qui est bien pour les uns sera mal pour les autres. Il y aura nécessairement lutte, mais cette lutte doit être exclusivement morale et ne s'adresser qu'aux convictions. Les contendants emploient des armes qui cessent d'être loyales, quand ils ne respectent pas les droits et les libertés de leurs adversaires.

L'opposition n'a pas seulement méconnu l'esprit et le texte de la loi constitutionnelle; elle a, nous le répétons, fait preuve d'inintelligence. Ici, nous n'avons pas principalement en vue quelques esprits retardaires, qui en sont encore à 1825, et dont l'humeur hargneuse cherche à s'exhaler à tout prix : nous faisons allusion à ceux qui se donnant pour hommes d'État, acceptent, au moins par leur silence quand ils n'y joignent pas d'imprudentes démonstrations, une part de responsabilité dans les écarts de leur parti. Cette guerre, faite par la gauche exagérée à leurs adversaires actuels, peut servir leurs rancunes du moment; mais s'ils devaient un jour ressaisir le pouvoir, ils en recueilleraient des fruits amers: la discorde entre les citoyens, la défiance de toute une opinion, morale et gouvernementale de leur propre aveu, et l'exaltation d'une autre opinion dont eux-mêmes parlent en termes bien différents. En dehors de cette question, la discussion du budget de la justice nous a donné un triste spectacle qui nous avait été épargné jusqu'à présent, au moins dans ses détails les plus rebutants. Les principes constitutionnels ont été complétement méconnus : les nominations déférées à la Couronne ont été discutées dans la Chambre des représentants ont pesé les titres des candidats, prôné leurs clients et censuré leurs concurrents heureux. Il y a plus. On ne s'est pas contenté de discuter des titres personnels que la Chambre ne serait pas en mesure d'apprécier, fût-elle compétente pour le faire; on ne s'est pas même borné à rappeler, à la charge d'un fonctionnaire, une peccadille de jeunesse, oubliée depuis vingt ans et à exagérer des faits très-peu

1) Tome Ier, 12 livraison, pages 562 et 565.

graves, on a été jusqu'à rechercher, pour les envenimer, les actes de la vie privée de l'individu.

On ne saurait interdire aux représentants d'apprécier l'esprit général des nominations et même, dans certains cas, les actes de la vie politique de ceux qui en ont été l'objet, pour définir le caractère de la politique ministérielle ; mais autre chose est l'exercice de ce droit (qui exige beaucoup de prudence et de réserve), et autre chose est la confusion des attributions et une discussion inquisitoriale au sujet de personnes qui ne peuvent ni ne doivent se défendre devant des juges incompétents. Que dira-t-on à Londres et à Paris, que dira-t-on surtout dans les pays qui ne vivent pas sous le régime constitutionnel, quand on saura que, chez nous, on contrôle, publiquement et la bouche pleine de fiel, les enquêtes, essentiellement secrètes, réservées à l'administration; qu'on discute les titres, les services, le mérite, la capacité et jusqu'à la conduite privée des candidats? Ah! pour l'honneur de notre pays, hâtonsnous de rappeler que cet excès a soulevé dans la Chambre une indignation presqu'universelle et qu'il a été énergiquement flétri par la partie saine de la presse opposante (1).

(1) Les paroles justement sévères du Journal du Commerce d'Anvers, sont trop remarquables pour ne pas les citer :

« Les dernières séances ont présenté un spectacle affligeant. La majesté de » la représentation nationale a été méconnue. C'est dégrader, oui, c'est avilir, » le caractère du Parlement que d'en faire le théâtre de la malveillance, de » la haine et d'odieuses recherches dans la vie privée, et tout libéral sincère, >> et ayant quelque noblesse dans le cœur, doit protester hautement contre >> l'odieux abus que l'on fait des principes du libéralisme.

>> Quoi! le libéralisme n'aurait pas mieux à faire aujourd'hui que de descen» dre à de vils commérages et à de misérables cancans de portiers? Dussions>> nous être les seuls, dans la presse libérale, à élever la voix contre une aussi >> pitoyable politique, nous l'élèverons : nous dirons que de pareils enseigne>>ments démoralisent le peuple et lui enlèvent le peu de respect qui lui reste » pour les pouvoirs de l'Etat. Un seul membre de la Chambre avait le mono» pole de la haine poussée à ses derniers excès, et ce monopole lui était laissé >> soigneusement par tous ses collègues. C'était sa vie, on l'en laissait vivre. >> Pourquoi donc faut-il aujourd'hui qu'il s'en trouve d'assez oublieux de leur >> dignité pour lui envier cette triste gloire?

» L'examen d'un budget est une besogne grave et sérieuse qu'on y intro» duise des réformes, c'est un droit et un devoir quand on en a à produire; » qu'on s'assure du bon emploi qu'un ministre fait de l'argent qui lui est confié, >> c'est encore bien; mais cela ne peut-il se faire avec calme, gravité, conve»nance? Assurément, il est permis de préférer tel ministre à tel autre pour >> dispensateur du budget que l'on examine; mais l'équité, la justice, la dé>>cence ne peuvent-elles présider à cette investigation? Il nous semble qu'un >> homme qui a la confiance du chef de la nation mérite bien les égards, que » l'on désirerait pour soi si l'on était à sa place.

» Pour tout libéral consciencieux, le système d'attaques suivi par l'opposition » parlementaire, est indigne du libéralisme, et il justific d'avance les repré

Ce que nous avons vu n'est autre chose qu'un système d'intimidation mis en pratique. On ne se contente plus de la part beaucoup trop grande d'influence, qu'on possède déjà en fait de nominations: il faut encore forcer les ministres, par la crainte du scandale, à se laisser imposer les candidats de l'opposition; il faut surtout effrayer les hommes fidèles aux principes conservateurs et obliger quiconque veut remplir une fonction publique à fléchir préalablement le genou devant les meneurs du parti. Triste mais juste punition de cette faiblesse gouvernementale qui a trop souvent capitulé en cette matière avec d'irréconciliables adversaires et qui récolte aujourd'hui ce qu'elle a semé (1).

Il y a deux mois, nous avons signalé des symptômes qui indiquaient plus d'ensemble et de vigueur dans le parti conservateur et nous en avons tiré d'heureux augures pour l'avenir. Notre espoir paraît se justifier. La majorité s'est décidément retrempée. Elle a plus franchement soutenu ses chefs; elle a vengé les principes et fait entendre la voix de la justice et de la raison; elle a enfin senti et déjoué cette tactique de l'opposition qui cherche à consumer le temps en vains débats; elle a dégagé son ordre du jour, qui attend encore les questions utiles, en mettant fin, par la clôture, à de stériles bavardages. Nous avons remarqué, de plus, que certains de ses membres, atteints jadis d'un inexplicable mutisme, ont, cette fois, rempli la tâche que le pays était en droit de leur demander.

Sur le banc ministériel, le baron d'Anethan, contre lequel toutes les attaques ont été concentrées, s'est trouvé placé dans une position qui avait ses périls. Il s'en est tiré avec honneur. Cependant, nous nous permettrons à son égard quelques critiques qui ne lui seront peut-être pas inutiles.

M. le ministre de la justice a brillamment soutenu la discussion. Il a fait complète justice de tous les sophismes et de toutes les chicanes de ses adversaires; mais cette partie de sa tâche était la plus facile. Il avait pour lui la loi, la raison et les convenances, et, en ce qui concerne le moyen d'en tirer parti, on sait que le talent de la parole ne lui manque pas. Mais il n'était pas seulement orateur et membre de la majorité, il était ministre, et, à ce titre, il

»sailles que le parti catholique pourrait exercer s'il venait de tomber du >> pouvoir.

D

» Mais, Messieurs nos représentants libéraux, les intérêts de parti vous font » oublier les intérêts sérieux du pays; si vous en aviez un réel souci, comme » vous le dites, vous vous informeriez si le Gouvernement emploie tous les » moyens qui sont en sa puissance, pour adoucir les maux qu'endurent nos >> infortunées classes ouvrières, pendant la saison rigoureuse que nous traver» sons; vous vous assureriez s'il a pourvu autant que possible aux impérieuses » nécessités du moment. Ce serait là pratiquer les principes du libéralisme.

» Vous voulez arriver au pouvoir, donnez donc au pauvre peuple des té>>moignages que vous pouvez faire un peu mieux que ceux qui y sont. >> (1) Ce que nous disons ici est général et ne s'applique à aucun ministre en particulier.

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