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ces sciences des rapports immédiats, et qui n'ont été que bien rarement mis en oubli. Les instruments mécaniques qu'emploie la chirurgie, les matériaux que la chimie, la botanique, la pharmacie fournissent à la thérapeutique, sont de ces choses que la médecine d'application met sans cesse en œuvre, et qui la rappelleraient à ce que ses relations avec cet ordre de connaissances présente de plus certain et de plus utile, si l'on était tenté de les méconnaître. Ce n'est pas au reste le défaut de notre siècle et de plusieurs de ceux qui l'ont précédé; et contme un grand médecin, Bordeu, le disait de son époque, on pourrait nous reprocher de noyer la science véritable, l'art médical, dans les connaissances et les détails les plus minimes de l'anatomie, de l'histoire naturelle, de la chimie, de la physique, pour lesquelles de nos jours on affecte une prédilection peut-être trop exclusive.

L'homme, comme être organisé, est l'objet d'une physiologie toute spéciale. Mais si la vie modifie en lui les lois de la matière, comme dans tous les autres êtres organisés, il présente encore dans sa nature intime quelque chose de supérieur à ces êtres. Chez lui la vie organique est modifiée par la vie spirituelle; et le médecin ne doit jamais oublier que l'homme n'est pas seulement un corps organisé sur lequel il doit agir, mais bien une intelligence pourvue d'organes qui ne sont que les instruments de son activité. Il suit de là que la médecine considérée dans son objet, touche à deux mondes, au monde de la pensée et à celui des corps, et qu'elle doit réfléter dans son ensemble les lois qui règnent dans ces diverses sphères. Il en résulte de plus que, non seulement comme toute science qui n'est que l'intelligence s'appliquant à la considération des êtres et de leurs rapports, la science du médecin est immédiatement et nécessairement régie par la philosophie générale, mais encore que la philosophie de l'homme proprement dite, et principalement la psychologie, doivent toucher aux sciences médicales par des points de contact intimes et multipliés.

Et d'abord, les faits prouvent invinciblement ces relations de la philosophie et de la médecine. L'histoire nous a fait connaître ces doctrines introduites tour à tour dans les sciences médicales, à la suite de l'invasion générale que faisait dans les esprits les théories philosophiques d'une époque. De nos jours, où la physiologie et la médecine se sont prétendues indépendantes, cette influence, je devrais dire, ce despotisme tyrannique des systèmes philosophiques, n'a peut-être jamais été plus frappant. On sait que l'école philosophique du 18° siècle, qui sut tirer avec une activité et une ardeur effrénées toutes les conséquences que renfermaient les axiomes matérialistes et sensualistes, a laissé dans les sciences médicales de nombreuses traces de son règne. Cependant cette domination touche à sa fin; la tendance des générations actuelles a changé. Déjà l'on s'aperçoit de la stérilité dont le matérialiste avait frappé la science; on remarque des retours aux doctrines antérieures, ou des essais de doctrines nouvelles; mais toujours et partout les systèmes philo

sophiques cherchent à réagir sur la médecine, quelque éloignés d'elle qu'ils semblent être au premier aperçu. Ainsi, de nos jours même, on voit le StSimonisme, après la dispersion de ses adeptes et son extinction apparente, tendre à créer en médecine et en physiologie une école nouvelle, et formuler une sorte de panthéisme médical, où les notions d'esprit et de matière, de principe actif et passif dans l'homme, se trouvent confondues et abaissées sous un niveau commun.

La médecine, science d'observation, aurait dû se garantir, il est vrai, de ces invasions philosophiques, et ne recevoir de principes de direction que de la philosophie générale. Les lois de l'observation, les conditions qui la constituent, les notions générales et supérieures qu'elle suppose, les procédés dont l'esprit doit se servir pour féconder ses données, telles ont été les bases de l'étude en médecine, aux époques où cette science a fait de véritables progrès. Mais il demeure toujours prouvé historiquement et logiquement que la médecine est essentiellement sous l'influence de la philosophie; des systèmes philosophiques erronés, ou des applications mal conçues de doctrines vraies en elles-mêmes, y ont seuls amené de mauvais résultats.

Cette influence de la philosophie est donc naturelle et légitime. L'homme, en effet, devenu l'objet des méditations du physiologiste et du médecin, ne peut cesser pour cela d'être ce qu'il est, une intelligence active, directrice d'un organisme. Or, c'est sous ce point de vue surtout, que les sciences médicales s'élèvent et touchent immédiatement à la psychologie. Sans quitter leur position de sciences essentiellement observatrices, elles sont sans cesse appelées à constater ces réactions puissantes de la partie spirituelle de l'homme sur ses fonctions organiques, et il n'est peut-être pas de trouble fonctionnel, de maladie, dans laquelle cette influence ne se produise plus ou moins. L'activité du principe qui constitue la personnalité humaine, modifie fondamentalement les mouvements et les phénomènes vitaux dans l'état de santé et de maladie, et fait de l'homme un être à part au milieu de la création. Rien dans les animaux qui se rapprochent le plus de lui par les formes extérieures, ne ressemble à la spontanéité, à l'activité, à la liberté morale qui le caractérisent. Tout en eux est le produit d'impulsions organiques et matérielles, tout est fatal, instinctif, résultant des coordinations établies entre les excitants des organes et leurs fonctions. Aussi rien ne change, rien ne progresse; et si l'animal apprend et s'instruit pour ainsi dire, s'il ajoute à sa nature primitive, c'est par l'action que l'homme exerce sur lui; abandonné, il serait à jamais resté le même. Toutefois, la vie organique chez l'homme réagit aussi dans de certaines limites sur les phénomènes dépendant de l'intelligence. La physiologie avait depuis longtemps observé cette réaction de l'organisme sur le moral, puis elle l'avait exagérée, à l'époque où les dernières conséquences de l'axiome, que toute notion et toute faculté avaient leur origine dans la sensation, venaient d'être détruites, et où l'homme matériel était tout l'homme. Les

études approfondies sur le système nerveux et sur le cerveau venant à coïncider avec ce développement excessif du sensualisme, une doctrine, nouvelle à quelques égards, ne tarda pas à paraître, doctrine qui prétendait assigner à chaque position du cerveau, non seulement les fonctions en rapport avec les actes organiques, mais encore les facultés qui n'appartiennent qu'à l'homme, l'intelligence douée d'activité et de liberté, choses fondamentalement incompatibles avec les notions de matières et d'organes. Deux Allemands, Gall et Spurzheim, importèrent en France ce qu'on appelait alors la Cramoscopie (examen du crâne), et ce que de nos jours on désigne par le nom plus savant et moins commun de phrénologie. Ce système semble devoir être le dernier terme des invasions du matérialisme en physiologie et en médecine. Depuis quelque temps, il cherche à se réveiller de l'espèce d'engourdissement dans lequel il était tombé; mais son règne, si l'on peut appeler de ce nom l'engouement éphémère de quelques esprits, sera court, parce que, dans la médecine d'observation, rien jusqu'ici n'est venu confirmer ses prévisions et ses fastueux pronostics.

(Pour être continué.)

ÉCONOMIE POLITIQUE.

DE LA PROPOSITION DE M. DEMESMAY, RELATIVE A LA RÉDUCTION DES DROITS SUR LE SEL.

La question du sel est une des plus intéressantes pour la classe agricole, sous le point de vue de l'impôt qui grève cette denrée, et sous le rapport des nombreux avantages que les cultivateurs pourraient trouver dans son emploi, soit pour l'entretien et l'engraissement des bestiaux, soit pour l'amélioration des fourrages, soit enfin pour l'amendement de certains sols et de certaines récoltes.

Le sel est une des substances que la nature nous offre avec le plus de prodigalité. Les eaux des mers et d'un grand nombre de sources en sont saturées, et il est peu de contrées où cette substance ne se trouve à l'état de roche, dans les premières couches du sol.

Sous ce rapport, la France a été remarquablement favorisée par la Providence. Baignée par deux mers, elle présente plus de 100 lieues de côtes sur la Méditerranée et près de 350 lieues sur l'Océan. Sur un très-grand nombre de points de ce vaste littoral, des salines pourraient être établies à peu de frais, tandis que, dans les parties les plus éloignées de nos mers, dans le nordest, la terre recèle dans ses flancs un immense gisement de sel gemme que la science et l'industrie ont déjà constaté dans les départements de la Moselle, de la Meurthe, du Bas-Rhin, des Vosges, du Jura et de la Haute-Saône, etc. Dans toutes ces contrées, il n'est pas même nécessaire d'exécuter de grandes

fouilles pour atteindre le dépôt salifère, puisque des sources naturelles viennent offrir à la surface la richesse que renferme le sol.

Si la Providence a répandu le sel en aussi grande profusion sur la surface de notre globe, c'était sans doute pour satisfaire un des principaux besoins de ses habitants. En effet, il n'existe peut-être pas de substance qui ait été plus constamment et plus universellement recherchée par les hommes de toutes les races, de tous les temps et de tous les lieux. Le mode et les éléments de la nourriture des hommes varie selon les pays, les climats, le degré de civilisation des peuples et de fortune des individus; mais toujours et partout le sel fut le complément inévitable de l'alimentation humaine.

Les annales de tous les peuples parlent du sel comme d'un objet de première nécessité pour l'homme. Le symbolique Orient en avait fait l'emblême de la sagesse, de l'amitié et de l'incorruptibilité. Jésus-Christ, parlant à ses disciples, leur dit, pour les relever à leurs propres yeux, qu'ils sont le sel de l'humanité. Autrefois, comme de nos jours, l'étranger, c'est-à-dire, l'ennemi (car ces mots étaient jadis synonymes), devenait sacré pour l'Arabe du désert, dès qu'il avait goûté de son sel, et, ainsi que les prêtres de l'ancienne Égypte, les cénobites chrétiens ne concevaient pas, dans leurs aspirations ascétiques, de plus grande mortification charnelle que de s'abstenir de sel. Enfin, le salaire, ce mot qui sert à désigner le prix du travail (en latin salarium), vient du mot sal, sel, comme si le but principal des efforts de l'homme était de se procurer cette utile substance en dédommagement de ses fatigues et de ses labeurs.

Tous ces faits et cette espèce de consécration du sel témoignent de la profonde estime des peuples anciens pour cette substance, c'est-à-dire, du besoin impérieux qu'ils en éprouvaient ainsi que nous, et justifie cette épithète de cinquième élément que l'abbé Maury donnait au sel, devant la Constituante.

La première denrée qui renchérit dans les villes assiégées, c'est le sel; la première récrimination des prolétaires, c'est-à-dire, des masses, contre leurs gouvernants, s'élèvent contre l'impôt du sel, contre cette dure gabelle, si impopulaire et si exécrée que, de nos jours encore, tout collecteur d'impôt vexatoire reçoit du peuple le nom de gabeloux.

Et que l'on ne croie pas que la partie ignorante du peuple fût la seule à s'indigner contre l'impôt excessif qui pesait sur le sel. Les classes les plus riches et les plus éclairées en avaient compris tout l'odieux, et, dans le siècle dernier, en apostrophant la gabelle de loi de proscription et de malheur, Buffon n'était réellement que l'éloquent interprête de la réprobation universelle.

En effet, de tous les assaisonnements que l'homme puisse employer pour corriger l'insipidité ou les propriétés nuisibles de ses aliments, le sel est le plus généralement et le plus constamment employé. C'est le seul condiment du pauvre, et, pour les classes aisées, nul autre condiment ne pourrait le suppléer complétement.

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