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désordonnée qu'on peut lui reprocher. Au contraire, il a, sur plusieurs de ses censeurs, l'avantage de la concision et, de plus, ceux de savoir et de penser ce qu'il dit. Si nous avions à dépeindre un de ces ennuyeux bavards, fléaux des assemblées délibérantes, ce ne serait pas le nom de M. De Brouckere qui se trouverait au bout de notre plume. L'Association libérale nous fournirait, aussi bien que l'Alliance, de meilleurs types, et nous n'aurions que l'embarras du choix.

Nous laisserons les deux sociétés rivales discuter à l'aise le caractère de M. De Brouckere, et nous nous garderons de tout contact avec ce flux de personnalités; seulement nous rendrons encore une fois justice à un homme qui n'est pas des nôtres, en faisant observer que ses défauts, vrais ou supposés, n'ont jamais terni sa réputation de franchise et de loyauté. Nous le plaçons, sous ce rapport, au premier rang parmi ceux de nos adversaires qui ont conservé des droits à notre estime. Quel que soit, au surplus, M. Ch. De Brouckere, dont nous ne voulons faire ni le panégyrique ni la satyre, il nous semble qu'il se trouve au conseil communal de Bruxelles et ailleurs des hommes qui n'ont, en tout cas, rien à lui reprocher en fait de pétulance et de formes cassantes, et qui n'en possèdent pas moins toutes les sympathies de l'Association libérale.

De part ni d'autre, les candidats ne devaient s'attendre à un pareil déchaînement; mais ce qu'il y a d'assez curieux, c'est que, de part ni d'autre, ils ne devaient espérer une sympathie aussi active; car au fait, ils sont loin de représenter exactement ceux qui les mettent sur les rangs.

M. De Bavay n'appartient pas, que nous sachions, à la coterie doctrinaire, qui n'accorde sa pleine confiance qu'aux initiés; et ses opinions politiques different, en plusieurs points essentiels, des opinions que les doctrinaires ont professées. Par exemple, il paraît n'être pas, au moins en théorie, le partisan de certaines libertés que MM. Lebeau, Rogier et Devaux ont défendues en principe, dont ils ont réclamé la franche et loyale application et qu'ils ont beaucoup contribué à faire formuler constitutionnellement. Il ne doit pas non plus être le Benjamin de M. Verhaegen, qui lui faisait éprouver, il n'y a pas longtemps, toute sa colère. Et même, si nous sommes bien informés de ce qui se passe à Bruxelles, l'Association libérale a présenté cette candidature aux électeurs comme une protestation contre le dévergondage de la mauvaise presse; mais elle s'est abstenue soigneusement de la recommander comme sanctionnant ses doctrines à elle, Association libérale. Le motif, qui l'a déterminée en ce point, l'a sans doute encore dirigée quand elle accolait à M. De Bavay, un candidat, homme nouveau, dont le nom est politiquement insignifiant.

Dans l'autre camp, la différence est encore plus tranchée. Si, nous conservateurs, nous imputions à l'Alliance, des tendances anti-gouvernementales, démagogiques, voire même républicaines, ses défenseurs nous récuseraient et nous reprocheraient de tout voir à travers le prisme de nos opinions. Mais

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les accusations les plus formelles ont été portées par des membres mêmes de l'Alliance qui ont motivé leur schisme sur ces causes. Elles acquièrent, dans leur bouche, un poids qui leur serait contesté dans la nôtre, et elles sont, d'ailleurs, corroborées par la connivence de cette société avec les auteurs de démonstrations qui deviendraient alarmantes si l'on ne pouvait compter sur le bon sens public. Laissant, au surplus, ce point à débattre entre les contendants, nous croyons ne rien hasarder en disant que les doctrines de l'Alliance tendent, au moins, à exagérer le principe démocratique et à refuser au Gouvernement la force qui lui est indispensable pour remplir, comme il convient, son devoir constitutionnel. Ces doctrines sont, à notre avis, fort mal représentées par M. Van Meenen, et, encore plus mal, par M. De Brouckere, que nous croyons disposé à renforcer plutôt qu'à restreindre le pouvoir gouvernemental, et qui place, dit-on, les idées républicaines au même rang que les rêveries d'un cerveau malade.

MM. Ch. De Brouckere, Van Meenen et De Bavay ont, en toutes choses, à peu près les mêmes opinions. Le choix entre eux était donc assez indifférent à la politique proprement dite, celle qui a trait aux intérêts de l'État. Il l'était encore à la politique rabaissée au point de vue des partis. Comment donc expliquer l'animosité de la lutte? Évidemment, il n'y a en jeu aucun intérêt positif il n'y a qu'une question d'influence. Chacune des deux sociétés cherche à vaincre sa rivale, et, pour obtenir un succès à tout prix, elle sacrifie jusqu'à l'intérêt de ses doctrines, en prenant ses candidats, non parmi ses véritables adhérents, mais parmi les hommes qu'elle suppose les plus propres à réunir les suffrages des électeurs incertains.

La lutte des influences a divisé la ligue plus tôt qu'on ne s'y attendait, mais cet événement était inévitable. Dans un amalgame hétérogène, auquel nul principe commun ne vient donner la cohésion nécessaire, aucune ambition ne trouve de frein, et, toujours, le chef éphémère, qui aura dominé quelques instants, entendra, derrière lui, une voix qui lui criera : A mon tour main

tenant!

D. O.

DES RAPPORTS DE LA MÉDECINE

AVEC LA SCIENCE ET LA SOCIÉTÉ.

De tous temps les sciences médicales ont paru à l'humanité d'une haute importance. Ce fait devient surtout plus frappant, alors qu'on remonte aux époques antiques. La médecine des temples, où le prêtre était à la fois chargé du traitement moral et physique; plus tard, les médecins-philosophes, réunissant en eux ces deux titres, et se livrant en même temps aux spéculations les plus élevées de l'intelligence et aux fonctions en apparence si simples de l'art de guérir, attestent l'estime dans laquelle était tenue par les peuples la science chargée de conserver la vie. Dans ces siècles primitifs, le médecin ne formait pas un homme à part, chargé de soins importants mais bornés ; l'unité de l'intelligence et de la science humaine existait alors dans toute son intégrité; et non seulement, comme nous venons de le dire, l'art médical se liait intimement au sacerdoce religieux et à la philosophie, mais encore les grands législateurs, les premiers chefs des nations assumaient, pour ainsi dire, à eux seuls, toutes les charges de la vie sociale, et, appuyés sur les traditions antiques, en même temps qu'éclairés par les inspirations du génie, établissaient les règles du culte, les fondements de la société et de la famille, les principes de l'économie publique et domestique, les châtiments contre les infractions des lois et l'invasion du mal moral, enfin les précautions à prendre contre les maux du corps.

Dans ces temps où l'empire de l'unité se faisait partout sentir, la science

ne s'était pas encore fractionnée ; d'une part, parce que les grandes et fortes intelligences des fondateurs des peuples, de ces demi-dieux, comme parlait F'antiquité, (dans son impuissance de mieux désigner ces natures privilégiées et presque surhumaines,) embrassaient tout dans leurs vastes conceptions; de l'autre, parce qu'alors aussi les branches multipliées, dont est formé l'arbre de la science, n'avaient pas acquis tout leur développement, et n'existaient à vrai dire qu'en germe. Plus tard, ce développement s'est fait : dans sa faiblesse, l'homme a forcément limité son horizon scientifique, et les spécialités se sont produites de toutes parts. De ce fractionnement sont résultées de grandes et belles acquisitions pour la science. Dans toutes les sphères dans lesquelles elle se meut, l'activité humaine a multiplié les découvertes, et, dans l'Europe moderne, les connaissances diverses qui composent le domaine scientifique ont tellement étendu leurs limites, qu'il est donné à bien peu d'hommes de les entrevoir et d'y atteindre. Plus les temps ont marché, plus s'est accru ce travail d'analyse; et bientôt chaque science particulière, chaque industrie même, s'est circonscrite, pour ainsi dire, dans son propre cercle, s'est fait une région privée et inviolable, où elle prétend régner en maître, ne recevoir des principes et des lois d'aucune autre, ne relever enfin que d'elle seule. Cette prétention exclusive de toute unité, et par-là même de tout véritable progrès, car les forces divisées et fractionnées se nuisent et s'annulent, est un des caractères de notre siècle. C'est de là que tirent leur source ces théories actuelles de l'indépendance absolue de l'art, qui, prétendant marcher dans sa force et sa liberté, jette avec dédain au monde étonné ses hideuses et effrayantes productions.

La médecine, comme toute science, et, plus que tout autre, en raison de la nature même du sujet dont elle s'occupe, se lie à l'ensemble des lois constitutives de l'intelligence et de l'humanité. Les rapports de la science du médecin, d'une part avec les sciences proprement dites, de l'autre avec la société, devraient en conséquence être déterminés et fixés avec précision. Sans cette détermination, la médecine ne soutient pas avec le monde scientifique et moral, ces relations d'harmonie qui forment essentiellement l'unité intellectuelle et sociale, la vraie science et la véritable société.

Or, sous le point de vue de la science, la médecine est à la fois une science proprement dite, c'est-à-dire, une théorie des faits qui composent son domaine et une science d'application. Comme toute science, la médecine comporte une masse de faits sur lesquels l'intelligence s'exerce. C'est la matière de la science: sans elle, elle n'existerait pas; mais cette matière ne constitue pas pour cela la science. Les faits ne sont rien par eux-mêmes, ils sont mobiles, variables, sans valeur, si l'intelligence, à l'aide des notions supérieures et générales qu'elle possède et qui font sa nature, ne les féconde et ne leur donne une expression et une forme. La médecine se rapproche par une de ses faces des sciences naturelles, si nombreuses et si étendues, et

dont une seule suffit de nos jours pour absorber l'attention et l'activité des plus grands esprits. Comme elles, elle recueille des faits, et cherche à reconnaître en eux toutes les nuances phénoménales sous lesquelles ils se présentent. Ces faits sont de divers ordres, et l'homme, comme un être composé d'éléments différents, offre ainsi des sujets d'étude à plusieurs genres de connaissances. Il est en lui plusieurs phénomènes qui semblent participer en quelque sorte des lois de la matière inorganique; il se passe au sein de ses organes quelque chose de mécanique, de chimique même, et, à différentes époques, les sciences physiques et chimiques ont prétendu expliquer, par leurs théories, tous les mouvements, toutes les combinaisons qui se passent dans les corps vivants. Les procédés de mesure et de calcul ont également été employés en médecine, et ces procédés ne sont pas encore abandonués. La statistique, cette création de notre siècle, vient d'être appliquée à la médecine pratique, et, c'est dans les chiffres, que quelques esprits croient trouver la solution des plus hauts problêmes de la thérapeutique.

Mais c'est surtout avec la science des corps vivants que la médecine a d'intimes rapports. C'est là qu'elle puise de nombreux éléments d'étude, parce que l'homme est essentiellement vivant et organisé. Chez lui, comme chez tous les êtres de la série animale, les lois qui régissent la nature brute sont remplacées par les lois vitales. Et, dans cette substance matérielle ellemême, dans cette trame si parfaitement disposée, principalement chez l'homme, tout annonce un principe plus énergique que les forces les plus subtiles et les plus éthérées dont est pénétrée la matière. La composition des organes, les formes variées des tissus, les transformations qu'ont subies ces éléments primitivement informes et inertes, tout cela frappe d'étonnement l'anatomiste. Il n'a cependant touché que des appareils morts, de la matière arrangée d'une certaine manière, et déjà il comprend que quelque chose de puissant et d'actif, que la vie enfin a passé dans cette belle machine et y a laissé son empreinte. Le physiologiste, par une observation attentive, constate l'existence des lois vitales qui coordonnent tous les mouvements, et constituent l'individualité de chaque être et son unité vivante. Enfin, alors que dans l'état actuel des corps organisés, quelque trouble survient dans les fonctions qu'exécutent les parties dont ils se composent, le médecin observe ces troubles et s'aperçoit bientôt que cette unité vitale se montre encore avec plus de force au milieu des dérangements de la santé, par les mouvements et les phénomènes qui s'établissent instantanément pour ramener l'équilibre. La médecine proprement dite est renfermée dans cette dernière série de faits, qui constituent sa valeur et sa spécialité scientifique. Elle n'est en effet ni de l'anatomie, ni de la physiologie, encore bien plus n'est-elle pas de la physique, de la chimie ou des mathématiques; mais elle puise dans ces branches diverses de connaissances, qui toutes ont pour objet l'étude de la nature extérieure, des secours et des moyens propres à la conduire à son but. Elle a donc avec

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