E CHAPITRE V. Que le vin donne de l'esprit, Le vin semble donner plus d'étendue à l'ame, la nourrir, l'élever; il échauffe, anime l'esprit, augmente ses forces en les rassemblant, et le rend plus subtil, plus délié. Un homme en pointe de vin, en est plus spirituel, plus aimable et plus en¬ joué, comme le dit un de nos poëtes ; « Du vin d'Aï la mousse pétillante, «Il n'y a pas le moindre doute, dît » Hoffinann, que le vin ne rende les >> hommes ingénieux, et même sages et » spirituels. Aussi l'expérience montre>>t-elle que les Italiens, les Français et » les Allemands, chez lesquels il croît » de bon vin, ont infiniment plus d'es» prit que les peuples septentrionaux, >> qui ne boivent que de la bière »>, C'était aussi l'opinion de celui qui fit l'épitaphe suivante pour Tiraqueau, fameux jurisconsulte du quinzième siècle : Hic jacet Qui, aquam bibendo, «Ci gît André Tiraqueau, » Grand commentateur des coutumes » Qui, ne buvant que de l'eau, Fit vingt enfans, fit vingt volumes. N'avait bu que du vin, » De sa verve féconde » Il eût rempli le monde ». 4 Gryllus croit que les Grecs ont été appelés pères de la sagesse, à cause de l'excellence de leurs vins, et qu'ils n'ont perdu leur ancien lustre que depuis que leurs vignes ont été arrachées par les Turcs. Les Payens ont mis Pallas et Bacchus dans un même temple, pour marquer que le vin augmentait la sagesse. On n'a représenté les Dieux plus sages que les hommes que parce qu'ils buvaient du nectar. Suivant Homère, il ne se tenait point d'assemblée dans 1 l'Olympe, qu'on ne seryît d'abord du nectar. Ni poëte, ni peintre n'oserait représenter le senat des Dieux, sans le vase et la coupe d'Hébé. Ils ne délibéraient jamais à jeûn. On dit même qu'ils étaient si bien pourvus de cette liqueur, qu'ils en donnaient à leurs chevaux d'attelage. Ces coursiers impétueux qui traversaient si promptement la terre et les airs, ne pouvaient entretenir ou réparer leurs forces que par une nourriture divine. Leur course était presque aussi rapide que la pensée de leurs maîtres. (Lefranc, Dissert. sur l'am broisie et le nectar.) « Autant qu'un homme, assis au rivage des mers (Despréaux.) Ganimède était l'échanson de Jupiter; Pélops le fut quelque tems de Neptune; Hébé présentait le nectar à tous les Dieux. Apollon était servi à table par Thémis; et Vulcain, tout boiteux et tout enfumé qu'il était, remplissait le même emploi auprès de Junon. Philostrate dépeint son Comus ivre, dorinant debout,, et pouvant à peine se soutenir. Il faut croire qu'ayant l'intentendance et la garde du nectar, il en buvait, pour le moins, autant qu'un autre. Milton, ce poëte que les Anglais comparent à Homère et à Virgile, fait boire du nectar aux anges, aux chérubins, aux séraphins, aux puissances, aux dominations, et généralement à toute la milice céleste. And rubied nectar flows In pearl, in diamond, and massy gold, au rubis, le nectar, fruit des vignes délicieuses que porte le ciel, coula dans des coupes d'or, de perles et de diamans ». Je suis enchanté, dans Horace, de la harangue militaire de Teucer, qui n'était d'ailleurs qu'un mortel: O socis, comitesque,' Nil desperandum Teucro duce et auspice Teucro, O fortes, pejoraque passi Mecum sæpè viri, nunc vino pellite curas, Cràs ingens iterabimus æquor. Amis, la volage fortune (L. I', Od. 7.) » N'a, dit-il, nul droit sur mon cœur; » Je prétends, malgré sa rigueur, (J.-B. Rousseau.) Quant aux poëtes, on était si persuadé du besoin qu'avait leur imagination d'être réveillée par le vin, qu'on n'avait pas bonne opinion des productions de ceux d'entr'eux qui buvaient de l'eau; et l'on disait communément : Non est Dythyrambus, si aquam bibat. Diphyle s'exprime ainsi dans ses Poedérastes: «Verse à boire, esclave par >> Jupiter! donne du vin pur, car tout » ce qui est noyé d'eau affadit le coeur ». « Pour un poëte qui veut plaire, di»sait le célèbre Cratinus, le vin est un >> Pégase merveilleux; mais si vous bu>> vez de l'eau, vous ne produirez rien >> de bon >>.' On lit dans les Epigrammes d'Hédyle: « Buvons, car le vin nous suggérera » peut-être quelques vers nouveaux, dé>>licats, coulans comme le miel. Ça >> donc, qu'on m'arrose de Cades de Chio, >>et dis: Hédyle, livre-toi à la joie; je |