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sur ce que nous sentons au-dedans de nous, que la physique sur ce que nous apercevons au dehors. Ses progrès, il est vrai, n'ont pas même éclat; ils ne frappent pas également : mais qu'on pense à ce que nous devons à Bacon et à Descartes. De combien de préjugés ne nous ont-ils pas guéris? De combien d'erreurs consacrées par l'assentiment des siècles ne nous ont-ils pas désabusés? Et, après nous avoir si bien avertis de ne pas nous engager dans les fausses routes qu'ils venaient de signaler, quels soins ne se sont-ils pas donnés pour nous faire connaître la véritable, pour nous y placer, pour nous y guider?

Les aphorismes de Bacon et les règles de Descartes devaient former des disciples dignes de succéder à ces grands hommes. Aussi l'héritage de leurs pensées s'est-il accru sans cesse des fruits de nouvelles méditations.

Tout a été examiné, discuté, analysé par le génie de Mallebranche, de Locke, de Leibnitz, de Condillac, et par quelques autres philosophes dont les recherches utiles ou ingénieuses placent les noms à la suite de ces noms célèbres.

Des affections et des qualités, qu'un instinct conservateur nous force de rapporter aux différentes parties de notre corps ou à des corps

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étrangers, ont été rendues à l'âme à laquelle seule elles appartiennent. Après un tel triomphe de la raison sur l'instinct, la distinction de l'esprit et de la matière s'est présentée d'elle-même; et il a fallu admirer de plus en plus l'auteur des choses, à qui il a suffi, pour assurer l'union de deux substances que leur nature tendait à tenir séparées, de faire que l'une se sentit ou crût se sentir dans l'autre.

On a reconnu de véritables jugemens, où les anciens philosophes ne voyaient que de simples sensations. Cette découverte, comme un trait de lumière, a dissipé tout à coup les ténèbres qui obscurcissaient l'entrée de la science.

Les différens modes de la sensibilité ont été séparés les uns des autres. D'un côté, on a fait la part de ce que nous devons à chaque sens, et de ce que nous devons à leur réunion. De l'autre, on a marqué la différence qui se trouve entre les impressions qui nous viennent du dehors, et ce que nous éprouvons par l'action de nos facultés intellectuelles et morales, soit dans le moment même qu'elles agissent, soit à la suite et en vertu de cette action. (Leç. 2, t. 2.) Dès lors on a pu assigner avec certitude la véritable origine des idées.

L'origine, ou plutôt les diverses origines de

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nos connaissances, ont donc été mieux observées. La nécessité de remonter à ces origines

été mieux sentie.

que

4.); pour

former s'élever des pre

Ce l'homme doit à la parole pour ses jugemens (leç. 4.); mières abstractions aux notions les plus universelles; des rapports contingens aux vérités nécessaires; pour faire naître la raison, si on ose le dire, et pour lui donner tous ses développemens, a été reconnu, constaté.

La méthode sans laquelle l'esprit ne peut rien ou presque rien a cessé d'être un mystère. On a su enfin quelles facultés doivent agir, et dans quel ordre elles doivent agir, pour assurer nos connaissances. On a su que l'artifice de la méthode, lorsqu'elle s'applique à des idées qui ne dérivent pas immédiatement du sentiment, consiste dans l'analogie de ces idées et dans l'analogie du langage.

Deux questions surtout, disons mieux, deux vérités qui sont au-dessus de toutes les autres vérités, ont été le but des méditations de la philosophie. Il n'est plus permis aujourd'hui à quiconque peut suivre le fil d'une démonstration, de mettre en doute la simplicité ou l'unité du principe qui pense; et, si les preuves de l'existence d'un Dieu créateur et modérateur de

l'univers ne pouvaient pas acquérir un nouveau degré de certitude, on a pu du moins leur imprimer le caractère d'une évidence plus frappante, plus générale.

De tels objets ont une dignité et une grandeur qu'on ne peut méconnaître. Ils élèvent la raison, ils l'ennoblissent; et celui qui voudrait les dédaigner trahirait le secret d'une âme pauvre et commune, qui ne trouve des jouissances qu'en les cherchant hors d'elle-même.

Mais si rien n'a droit de nous intéresser autant que l'étude de la philosophie; si l'on ne peut se défendre d'un sentiment de joie par l'espérance de connaître enfin ce qui nous touche de si près; il faut bien se dire que, dans l'état d'imperfection où se trouve jusqu'ici la langue des philosophes, rien aussi n'exige plus de persévérance dans la méditation, plus de recueillement dans la pensée, plus de bonne foi avec soi-même, et plus en même temps de cet esprit simple, naturel et naïf, qui n'ôte rien, n'ajoute rien, voit les choses comme elles. sont et les énonce comme il les voit. L'imagination serait ici le plus grand des obstacles. En s'interposant entre nous et la nature, elle nous en déroberait la vue, et nous serions éblouis par des fantômes.

Il faudra cependant que nous arrêtions quelquefois nos regards sur ces fantômes, pour apprendre à ne pas les confondre avec la réalité. Nous serons plus assurés de nous bien connaître, lorsque nous nous serons étudiés, et en nous-mêmes, et dans les opinions des philosophes.

Nul esprit ne peut suffire à ce double travail de critique et de méditation, si l'ordre n'en dispose les parties de telle sorte que l'intelligence des premières facilite l'intelligence de celles qui suivent. Il faut donc qu'un lien commun les unisse, pour en former un système qui se développe de lui-même et sans effort.

Et, puisque les physiciens ont porté l'ordre dans le chaos immense que leur avait d'abord présenté l'étude de l'univers, en ramenant tout à la théorie des forces des corps, pourquoi n'aurions-nous pas essayé d'imiter leur exemple? Pourquoi, afin de régulariser la suite de nos pensées, n'aurions-nous pas cherché à les rapporter toutes à une pensée unique, à réduire tout à un traité des puissances de l'esprit, des facultés de l'áme?

Tel est le titre que nous avons placé à la tête de nos leçons. Si ce titre est juste, il faut qu'il appelle autour de lui toutes les questions agi

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