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plus de ressources que le professeur n'en trouve actuellement dans la réunion du petit nombre d'auteurs qu'il est possible de mettre dans les mains des élèves. Cela se doit, parce que cela se peut. Or, au moyen d'un recueil, 1o il est possible de faire un choix plus sévère, puisque, après les chefs-d'œuvre des grands maîtres, on peut, en négligeant leurs ouvrages de moindre valeur, les remplacer par les rares chefs-d'œuvre qu'ont déposés çà et là les auteurs si nombreux du second ordre; et l'on arrive ainsi à placer sous les yeux des jeunes gens tous les premiers chefs-d'œuvre de la langue, et rien que ces chefs-d'œuvre; 2o il est possible aussi, en puisant dans les œuvres complètes d'un plus grand nombre d'écrivains, d'introduire une plus grande variété dans les citations et de donner au professeur plus de marge pour faire passer ses élèves, dans l'exercice de l'analyse, d'un genre à un autre genre, d'un auteur à un autre auteur, d'une manière à une autre manière, d'un siècle à un autre siècle.

En troisième lieu, comme livre de lecture, un bon recueil doit encore obtenir la préférence sur une collection d'ouvrages, et cette préférence se fonde sur plusieurs motifs. 1o S'il n'est pas de bons auteurs qui ne renferment d'admirables passages qu'on doit faire lire aux élèves, il n'en est presque pas parmi les poëtes, et il en est bien peu même parmi les prosateurs, dont on puisse livrer les ouvrages entiers à la jeunesse sans s'exposer à corrompre son esprit par de faux principes, ou à causer d'effroyables ravages dans son imagination par de funestes impressions. C'est donc une nécessité de les citer quelquefois par parties séparées. De là la nécessité d'un recueil. 2o Tant que le goût n'est pas bien formé, il ne faut rien présenter à l'élève que de parfait : il serait dangereux de laisser son discernement s'égarer dans des œuvres où des taches brillantes le frapperaient souvent plus que de sévères beautés. D'ailleurs un élève ne peut donner à la lecture qu'un temps déjà trop limité : il importe d'utiliser ce temps en portant exclusivement son attention sur de parfaits modèles. 3o Un recueil de lecture bien composé, en même temps qu'il donnera au jeune homme l'instruction littéraire, qu'il formera son goût, ornera sa mémoire et embellira son imagination, ne contribuera guère moins à étendre la sphère de ses connaissances, à former ses principes et à élever ses sentiments; tandis que les meilleures

lectures littéraires, si elles sont fortuites et désordonnées, n'auront pas à beaucoup près les mêmes résultats. 4o Si l'on n'apporte pas à la jeunesse un recueil de lectures choisies, ou elle portera son ardeur pour l'étude sur des ouvrages sérieux, ou elle se laissera entraîner par la curiosité vers des lectures frivoles. Dans le premier cas, il est à craindre que, rencontrant fort souvent des matières au-dessus de sa portée ou qui ne lui offrent pas assez d'intérêt, elle ne se fatigue sans fruit, et ne soit conduite par l'ennui au dégoût et à l'abandon de la lecture. Dans le second cas, elle ne trouvera dans les livres qu'un amusement dangereux, et n'y puisera que de l'éloignement pour l'étude et un funeste penchant à la dissipation.

Nous devons donc conclure qu'un bon recueil classique est préférable à une collection d'auteurs, soit pour l'étude de mémoire, soit pour l'exercice de l'analyse, soit pour celui de la lecture.

Mais pour remplir ce triple objet, dans quelles conditions doitil être composé? Ces conditions sont nombreuses et difficiles : essayons de les déterminer.

1o Ce recueil doit avoir une juste étendue : s'il était trop restreint, il ne pourrait renfermer assez de matières pour remplacer les auteurs français de toutes les classes, et surtout pour offrir aux elèves des différents âges les lectures diverses qui leur conviennent; s'il était trop étendu, il contiendrait plus que les élèves ne peuvent étudier, analyser et lire, et ce serait un superflu inutilement dispendieux. Il m'a semblé que quatre forts volumes renfermant autant de texte que six volumes des recueils en usage offraient des proportions raisonnables, et je crois en effet être parvenu à y faire entrer une quantité suffisante d'ouvrages ou de parties d'ouvrages pour satisfaire aux besoins de toutes les classes.

2o Il sera gradué suivant la capacité des élèves, c'est-à-dire suivant le développement amené par l'âge et par la culture de l'esprit. Mais les différences de ce développement des facultés ne sont pas assez tranchées d'une année à l'autre, d'une classe à la classe suivante, pour qu'on établisse autant de divisions qu'il y a de classes. Et puis, ces divisions trop multipliées morcelleraient les genres, dissémineraient les idées, rompraient tout l'ensemble. Pour échapper à cet inconvénient, et néanmoins pour faire la part

de la différence des âges et des progrès, j'ai divisé le recueil en deux parties, l'une spécialement destinée aux classes d'humanités, dans lesquelles je range la classe de rhétorique, l'autre aux classes de grammaire et d'humanités tout à la fois. J'ai réservé pour les classes d'humanités les genres où prédominent les beautés d'ensemble, et qui supposent déjà dans le lecteur certaines connaissances, certain développement du goût, certaine aptitude à soutenir son attention et à grouper ses idées ; j'ai livré aux classes de grammaire toutes les espèces d'ouvrages ou les extraits qui brillent surtout par les beautés de détail. Ainsi le recueil se compose de deux parties. La partie destinée aux classes d'humanités comprend l'Éloquence et l'Histoire, l'Épopée et le Drame; tous les autres genres, tous les morceaux détachés en vers ou en prose, ont été mis à la disposition des classes de grammaire.

3o On voudra qu'il soit complet, ce qui suppose: 1o qu'il présentera un nombre suffisant de modèles dans tous les genres, et qu'il renfermera tous les morceaux célèbres qui sont devenus classiques; 2o qu'il fera connaître tous les bons auteurs, non-seulement par des extraits de leurs ouvrages, mais encore par des jugements empruntés aux meilleurs critiques; 3o qu'il offrira le reflet et reproduira en quelque sorte l'image de chaque siècle, de manière que l'élève y soit mis à même de suivre la marche de notre littérature depuis sa naissance jusqu'à nos jours. Cependant l'ouvrage étant plus spécialement destiné à former le style et le goût de la jeunesse qu'à lui donner l'érudition littéraire proprement dite, j'ai dû être fort sobre de citations, soit pour les auteurs qui ont précédé le siècle de Louis XIV, soit pour les écrivains contemporains dont la réputation n'est pas encore consacrée par un suffrage unanime. Diverses autres raisons empêchent d'ailleurs de puiser à pleines mains dans les œuvres des auteurs vivants. Mais les soustraire complétement aux regards des élèves, ce serait défendre à ceux-ci de vivre dans leur siècle.

1. La classe de rhétorique, telle qu'elle est établie par les règlements de l'Université, n'est en effet, comme je l'ai prouvé dans le Petit essai sur l'enseignement de la rhétorique, qu'une classe supérieure d'humanités; ce n'est pas un cours spécial et exclusif d'éloquence.

4o Il est nécessaire qu'il reproduise les citations dans toute leur valeur. Or, les diverses parties d'une œuvre d'art ont une double valeur : une valeur absolue qui résulte de leur exécution indépendamment du reste de l'ouvrage, et une valeur relative qui dépend de la place qu'elles occupent, et du rapport qu'elles ont avec les autres parties, soit rapport d'harmonie, soit rapport de contraste. Si l'on fractionne une œuvre d'art ou de littérature, on détruit ce rapport, et l'on détruit dans cette œuvre, souvent la principale, quelquefois son unique beauté. L'antiquaire ne peut pas toujours, il est vrai, enlever le monument entier; s'il est trop considérable, il est bien obligé d'en détacher les colonnes, les statues, les mosaïques, les bas-reliefs; mais, du moins, qu'il ne mette pas en pièces les colonnes, qu'il ne brise pas les statues, qu'il ne disperse pas les pièces des mosaïques, qu'il ne détruise pas les sujets des bas-reliefs. De même, que le collecteur, au lieu de découper des discours en exordes, en péroraisons, en pensées détachées, un poëme épique ou dramatique en dialogues, monologues ou harangues, en narrations, descriptions ou tableaux, prenne soin, s'il ne peut rapporter l'œuvre entière, de laisser à leur place les fragments de poëme ou de discours qu'il cite, et de remplacer par des analyses les lacunes qu'il est obligé de faire dans le texte, afin de conserver la liaison des parties et de montrer leurs rapports. S'il trouve ensuite çà et là, dans des œuvres trop longues ou de trop peu de mérite pour être présentées dans leur ensemble, des passages d'une éclatante beauté, il lui sera permis de les détacher, pourvu qu'il les présente groupés ensemble par nature de sujets, comme il va être expliqué.

5o La distribution des matières est, en effet, une condition essentielle d'une œuvre quelconque, et elle est indispensable, dans un recueil, pour y constituer l'unité, y établir la clarté, et y soutenir l'intérêt, qualités dont une œuvre littéraire quelconque, même une compilation, ne peut absolument être dépourvue. Mais quel sera cet ordre? Il se présente de lui-même, dès qu'on a respecté l'intégrité des œuvres assez pour en conserver la nature : elles se rangeront d'elles-mêmes, suivant les genres et les divisions de genres introduits par l'usage, et maintenant déterminés par les règles universellement admises. Ainsi tout ce qui appar

tient à la poésie, où les genres sont parfaitement distincts, sera classé, d'après ces genres, parmi les épopées, soit héroïques, soit héroï-comiques; parmi les drames, soit tragiques, soit comiques; parmi les poëmes didactiques ou descriptifs. Ensuite viendra la poésie lyrique, la satire, l'épître, la pastorale, l'apologue, et les diverses espèces si multipliées et si capricieuses de poésies fugitives. Pour la prose, nous avons deux genres bien déterminés, l'éloquence et l'histoire. Les discours ou les parties notables de discours appartenant au genre oratoire, viendront, suivant qu'ils se rapportent à la chaire, au barreau, à la tribune, à l'académie, ou à l'éloquence militaire, se placer, par ordre de date, dans les chapitres ouverts pour recevoir les oraisons funèbres, les panégyriques, les sermons dogmatiques ou moraux, les plaidoyers ou mémoires, etc. Les narrations historiques seront classées différemment suivant qu'elles sont du domaine de l'histoire universelle ou des histoires particulières, de l'histoire sacrée ou de l'histoire profane, de l'histoire ancienne ou de l'histoire moderne, de l'histoire proprement dite ou des simples mémoires. Reste ensuite une foule innombrable d'ouvrages de prosateurs, qu'on ne peut citer que par extraits, qui, pour la plupart, ne peuvent être distingués que par la nature des sujets qu'ils traitent, et qui le seront difficilement, si ce n'est ceux du genre épistolaire, par la forme qu'ils empruntent. Il me semble que cette indication est la seułe vraie, la seule capable d'établir une classification satisfaisante parmi la masse énorme et confuse des morceaux à rapporter. C'est d'après ce principe que j'en ai composé les chapitres Religion (dogme et morale), Politique, Histoire naturelle, Beaux-Arts et Belles-Lettres, Géographie et Voyages, Narrations poétiques ou romanesques et Contes ou Anecdotes, Lettres sur divers sujets. En outre, je me suis appliqué, dans chaque chapitre, à classer les extraits dans un ordre progressif d'idées, de telle manière qu'en lisant de suite ce chapitre, on trouve comme un traité complet sur la matière. Il résulte de cette méthode de classification, plus d'ensemble dans les idées, et conséquemment plus d'utilité et d'intérêt dans la lecture.

6o L'intérêt est la sixième condition. L'intérêt naît incontestablement de l'ordre; il a plusieurs autres sources: 1o d'abord l'objet même des compositions. Tout ce qui est épique et dramatique

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