Page images
PDF
EPUB

Hélas! un Dieu si bon, qui de l'homme est le maître,
En eût été servi, s'il avait voulu l'être.

<< De Dieu, dit le vieillard, adorons les desseins,
Et ne l'accusons pas des fautes des humains.
J'ai vu naître autrefois le calvinisme en France.
Faible, marchant dans l'ombre, humble dans sa naissance,
Je l'ai vu, sans support, exilé dans nos murs,
S'avancer à pas lents par cent détours obscurs.
Enfin mes yeux ont vu, du sein de la poussière,
Ce fantôme effrayant lever sa tête altière,
Se placer sur le trône, insulter aux mortels,
Et d'un pied dédaigneux renverser nos autels.

« Loin de la cour alors, en cette grotte obscure,

De ma religion je vins pleurer l'injure.

Là, quelque espoir au moins flatte mes derniers jours:
Un culte si nouveau ne peut durer toujours.
Des caprices de l'homme il a tiré son être;
On le verra périr, ainsi qu'on l'a vu naître.
Les œuvres des humains sont fragiles comme eux.
Dieu dissipe à son gré leurs desseins factieux :
Lui seul est toujours stable; et, tandis que la terre
Voit de sectes sans nombre une implacable guerre,
La Vérité repose aux pieds de l'éternel.

Rarement elle éclaire un orgueilleux mortel.

Qui la cherche du cœur, un jour peut la connaître.
Vous serez éclairé, puisque vous voulez l'être.
Ce Dieu vous a choisi: sa main, dans les combats,
Au trône des Valois va conduire vos pas.

Déjà sa voix terrible ordonne à la victoire

De préparer pour vous les chemins de la gloire.
Mais si la Vérité n'éclaire vos esprits,

N'espérez point entrer dans les murs de Paris.
Surtout des plus grands cœurs évitez la faiblesse ;
Fuyez d'un doux poison l'amorce enchanteresse;
Craignez vos passions; et sachez quelque jour
Résister aux plaisirs et combattre l'amour.
Enfin quand vous aurez, par un effort suprême,
Triomphé des ligueurs, et surtout de vous-même;
Lorsqu'en un siége horrible, et célèbre à jamais,
Tout un peuple étonné vivra de vos bienfaits,
Ces temps de vos Etats finiront les misères;
Vous lèverez les yeux vers le Dieu de vos pères;
Vous verrez qu'un cœur droit peut espérer en lui.
Allez qui lui ressemble est sûr de son appui.

:

Chaque mot qu'il disait était un trait de flamme
Qui pénétrait Henri jusqu'au fond de son âme.
Il se crut transporté dans ces temps bienheureux
Où le Dieu des humains conversait avec eux;
Où la simple vertu, prodiguant les miracles,
Commandait à des rois et rendait des oracles.
Il quitte avec regret ce vieillard vertueux.

Des pleurs, en l'embrassant, coulèrent de ses yeux;
Et, dès ce moment même, il entrevit l'aurore
De ce jour qui pour lui ne brillait pas encore.
Mornai parut surpris, et ne fut point touché.
Dieu, maître de ses dons, de lui s'était caché.
Vainement sur la terre il eut le nom de sage;
Au milieu des vertus l'erreur fut son partage.
Tandis que le vieillard, instruit par le Seigneur,
Entretenait le prince et parlait à son cœur,
Les vents impétueux à sa voix s'apaisèrent;
Le soleil reparut; les ondes se calmèrent.
Bientôt jusqu'au rivage il conduisit Bourbon.
Le héros part, et vole aux plaines d'Albion.
En
voyant l'Angleterre, en secret il admire
Le changement heureux de ce puissant empire,
Où l'éternel abus de tant de sages lois

Fit longtemps le malheur et du peuple et des rois.
Sur ce sanglant théâtre où cent héros périrent,
Sur ce trône glissant dont cent rois descendirent,
Une femme, à ses pieds enchaînant les destins,
De l'éclat de son règne étonnait les humains.
C'était Elisabeth; elle dont la prudence

De l'Europe à son choix fit pencher la balance,
Et fit aimer son joug à l'Anglais indompté,
Qui ne peut ni servir, ni vivre en liberté.

Ses peuples sous son règne ont oublié leurs pertes;
De leurs troupeaux féconds leurs plaines sont couvertes,
Les guérets de leurs blés, les mers de leurs vaisseaux :
Ils sont craints sur la terre, ils sont rois sur les eaux ;
Leur flotte impérieuse, asservissant Neptune
Des bouts de l'univers appelle la fortune :
Londre, jadis barbare, est le centre des arts,
Le magasin du monde, et le temple de Mars.
Aux murs de Westminster on voit paraître ensemble
Trois pouvoirs étonnés du noeud qui rassemble,
Les députés du peuple, et les grands, et le roi,
Divisés d'intérêt, réunis par la loi;

Tous trois membres sacrés de ce corps invincible,
Dangereux à lui-même, à ses voisins terrible.
Heureux lorsque le peuple, instruit dans son devoir,
Respecte autant qu'il doit le souverain pouvoir!
Plus heureux lorsqu'un roi doux, juste et politique
Respecte autant qu'il doit la liberté publique!

Suivi de Mornai, Bourbon va trouver en secret Elisabeth et lui expose les besoins de la France; la reine lui demande le récit des troubles civils, il le fait en ces termes.

[ocr errors]

CHANT II.

Reine, l'excès des maux où la France est livrée
Est d'autant plus affreux que leur source est sacrée :
C'est la religion dont le zèle inhumain

Met à tous les Français les armes à la main.
Je ne décide point entre Genève et Rome.
De quelque nom divin que leur parti les nomme,
J'ai vu des deux côtés la fourbe et la fureur;

Et si la perfidie est fille de l'erreur,

Si, dans les différends où l'Europe se plonge,

La trahison, le meurtre, est le sceau du mensonge,
L'un et l'autre parti, cruel également,

Ainsi que dans le crime est dans l'aveuglement.
Pour moi qui, de l'Etat embrassant la défense,
Laissai toujours aux cieux le soin de leur vengeance,
On ne m'a jamais vu, surpassant mon pouvoir,
D'une indiscrète main profaner l'encensoir :
Et périsse à jamais l'affreuse politique

Qui prétend sur les cœurs un pouvoir despotique,
Qui veut, le fer en main, convertir les mortels,
Qui du sang hérétique arrose les autels,
Et, suivant un faux zèle ou l'intérêt pour guides,
Ne sert un Dieu de paix que par des homicides !
« Plût à ce Dieu puissant, dont je cherche la loi,
Que la cour des Valois eût pensé comme moi!
Mais l'un et l'autre Guise ont eu moins de scrupule.
Ces chefs ambitieux d'un peuple trop crédule,
Couvrant leurs intérêts de l'intérêt des cieux,
Ont conduit dans le piége un peuple furieux,
Ont armé contre moi sa piété cruelle.
J'ai vu nos citoyens s'égorger avec zèle,

Et, la flamme à la main, courir dans les combats,
Pour de vains arguments qu'ils ne comprenaient pas.

Vous connaissez le peuple, et savez ce qu'il ose,
Quand, du ciel outragé pensant venger la cause,
Les yeux ceints du bandeau de la religion,
Il a rompu le frein de la soumission.
Vous le savez, madame; et votre prévoyance
Etouffa dès longtemps ce mal en sa naissance.
L'orage en vos Etats à peine était formé ;

Vos soins l'avaient prévu, vos vertus l'ont calmé :
Vous régnez; Londre est libre, et vos lois florissantes.
Médicis a suivi des routes différentes.

Peut-être que, sensible à ces tristes récits,
Vous me demanderez quelle était Médicis.
Vous l'apprendrez du moins d'une bouche ingénue.
Beaucoup en ont parlé; mais peu l'ont bien connue;
Peu de son cœur profond ont sondé les replis.
Pour moi, nourri vingt ans à la cour de ses fils,
Qui vingt ans sous ses pas vis les orages naître,
J'ai trop à mes périls appris à la connaître.

« Son époux, expirant dans la fleur de ses jours, A son ambition laissait un libre cours.

Chacun de ses enfants, nourri sous sa tutelle,
Devint son ennemi, dès qu'il régna sans elle.
Ses mains autour du trône, avec confusion,
Semaient la jalousie et la division:

Opposant sans relâche, avec trop de prudence,
Les Guises aux Condés, et la France à la France,
Toujours prête à s'unir avec ses ennemis,
Et changeant d'intérêt, de rivaux et d'amis;
Esclave des plaisirs, mais moins qu'ambitieuse;
Infidèle à sa secte, et superstitieuse;

Possédant, en un mot, pour n'en pas dire plus,
Les défauts de son sexe, et peu de ses vertus.
Ce mot m'est échappé; pardonnez ma franchise :
Dans ce sexe, après tout, vous n'êtes point comprise;
L'auguste Elisabeth n'en a que les appas :

Le ciel, qui vous forma pour régir des Etats,

Vous fait servir d'exemple à tous tant que nous sommes;
Et l'Europe vous compte au rang des plus grands hommes.
« Déjà François second, par un sort imprévu,
Avait rejoint son père au tombeau descendu;
Faible enfant, qui de Guise adorait les caprices,
Et dont on ignorait les vertus et les vices,
Charles, plus jeune encore, avait le nom de roi :
Médicis régnait seule; on tremblait sous sa loi,

D'abord sa politique, assurant sa puissance,
Semblait d'un fils docile éterniser l'enfance;
Sa main, de la discorde allumant le flambeau,
Signala par le sang son empire nouveau ;
Elle arma le courroux de deux sectes rivales.
Dreux, qui vit déployer leurs enseignes fatales,
Fut le théâtre affreux de leurs premiers exploits.
Le vieux Montmorenci, près du tombeau des rois,
D'un plomb mortel atteint par une main guerrière,
De cent ans de travaux termina la carrière.
Guise auprès d'Orléans mourut assassiné.
Mon père malheureux, à la cour enchaîné,
Trop faible, et malgré lui servant toujours la reine,
Traîna dans les affronts sa fortune incertaine ;
Et, toujours de sa main préparant ses malheurs,
Combattit et mourut pour ses persécuteurs.
Condé, qui vit en moi le seul fils de son frère,
M'adopta, me servit et de maître et de père;
Son camp fut mon berceau; là, parmi les guerriers,
Nourri dans la fatigue à l'ombre des lauriers,
De la cour avec lui dédaignant l'indolence,
Ses combats ont été les jeux de mon enfance.

<< O plaines de Jarnac! ô coup trop inhumain! Barbare Montesquiou, moins guerrier qu'assassin, Condé, déjà mourant, tomba sous ta furie.

J'ai vu porter le coup; j'ai vu trancher sa vie :
Hélas! trop jeune encor, mon bras, mon faible bras
Ne put ni prévenir ni venger son trépas.

« Le ciel, qui de mes ans protégeait la faiblesse,
Toujours à des héros confia ma jeunesse.
Coligni, de Condé le digne successeur,

De moi, de mon parti, devint le défenseur.
Je lui dois tout, madame, il faut que je l'avoue;
Et d'un peu de vertu si l'Europe me loue,
Si Rome a souvent même estimé mes exploits,
C'est à vous, ombre illustre, à vous que je le dois.
« Je croissais sous ses yeux; et mon jeune courage
Fit longtemps de la guerre un dur apprentissage.
1 m'instruisait d'exemple au grand art des héros:
Je voyais ce guerrier, blanchi dans les travaux,
Soutenant tout le poids de la cause commune
Et contre Médicis et contre la fortune;
Chéri dans son parti, dans l'autre respecté,
Malheureux quelquefois, mais toujours redouté;

« PreviousContinue »