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Viens, parle; et s'il est vrai que la Fable autrefois
Sut à tes fiers accents mêler sa douce voix;
Si sa main délicate orna ta tête altière;
Si son ombre embellit les traits de ta lumière,
Avec moi sur tes pas permets-lui de marcher,
Pour orner tes attraits, et non pour les cacher.

Valois régnait encore'; et ses mains incertaines
De l'Etat ébranlé laissaient flotter les rênes :

Les lois étaient sans force, et les droits confondus;
Ou plutôt en effet Valois ne régnait plus.

Ce n'était plus ce prince environné de gloire,

Aux combats, dès l'enfance, instruit par la victoire,
Dont l'Europe en tremblant regardait les progrès,
Et qui de sa patrie emporta les regrets,

Quand du nord étonné de ses vertus suprêmes
Les peuples à ses pieds mettaient les diadèmes.
Tel brille au second rang, qui s'éclipse au premier ;
Il devint lâche roi, d'intrépide guerrier :
Endormi sur le trône au sein de la mollesse,
Le poids de sa couronne accablait sa faiblesse.
Quélus et Saint-Mégrin, Joyeuse et d'Epernon,
Jeunes voluptueux qui régnaient sous son nom,
D'un maître efféminé corrupteurs politiques,
Plongeaient dans les plaisirs ses langueurs léthargiques.
Des Guises cependant le rapide bonheur
Sur son abaissement élevait leur grandeur;
Ils formaient dans Paris cette Ligue fatale,
De sa faible puissance orgueilleuse rivale.
Les peuples déchaînés, vils esclaves des grands,
Persécutaient leur prince, et servaient des tyrans.
Ses amis corrompus bientôt l'abandonnèrent;
Du Louvre épouvanté ses peuples le chassèrent :
Dans Paris révolté l'étranger accourut;
Tout périssait enfin, lorsque Bourbon parut 2.
Le vertueux Bourbon, plein d'une ardeur guerrière,
A son prince aveuglé vint rendre la lumière :

Il ranima sa force, il conduisit ses pas

De la honte à la gloire, et des jeux aux combats.

1. Henri III, roi de France, l'un des principaux personnages de ce poëme, y est toujours nommé Valois, nom de la branche royale dont il était. (VOLTAIRE.)

2. Henri IV, le héros de ce poëme, y est appelé indifféremment Bourbon ou Henri. Il naquit à Pau, en Béarn, le 13 décembre 1553. (VOLTAIRE.)

Aux remparts de Paris les deux rois s'avancèrent :
Rome s'en alarma; les Espagnols tremblèrent :
L'Europe, intéressée à ces fameux revers,
Sur ces murs malheureux avait les yeux ouverts.
On voyait dans Paris la Discorde inhumaine
Excitant aux combats et la ligue et Mayenne,
Et le peuple et l'Eglise, et, du haut de ses tours,
Des soldats de l'Espagne appelant les secours.
Ce monstre impétueux, sanguinaire, inflexible,
De ses propres sujets est l'ennemi terrible :
Aux malheurs des mortels il borne ses desseins :
Le sang de son parti rougit souvent ses mains :
Il habite en tyran dans les cœurs qu'il déchire;
Et lui-même il punit les forfaits qu'il inspire.

Du côté du couchant, près de ces bords fleuris
Où la Seine serpente en fuyant de Paris,
Lieux aujourd'hui charmants, retraite aimable et pure
Où triomphent les arts, où se plaît la nature,
Théâtre alors sanglant des plus mortels combats,
Le malheureux Valois rassemblait ses soldats.

On

y voit ces héros, fiers soutiens de la France, Divisés par leur secte, unis par Ia vengeance; C'est aux mains de Bourbon que leur sort est commis: En gagnant tous les cœurs, il les a tous unis. On eût dit que l'armée, à son pouvoir soumise, Ne connaissait qu'un chef, et n'avait qu'une Eglise. Le père des Bourbons, du sein des immortels, Louis fixait sur lui ses regards paternels : Il présageait en lui la splendeur de sa race; Il plaignait ses erreurs; il aimait son audace; De sa couronne un jour il devait l'honorer; Il voulait plus encore, il voulait l'éclairer. Mais Henri s'avançait vers sa grandeur suprême Par des chemins secrets, inconnus à lui-même : Louis, du haut des cieux, lui prêtait son appui ; Mais il cachait le bras qu'il étendait pour lui, De peur que ce héros, trop sûr de sa victoire, Avec moins de danger n'eût acquis moins de gloire. Déjà les deux partis, au pied de ces remparts, Avaient plus d'une fois balancé les hasards; Dans nos champs désolés le démon du carnage Déjà jusqu'aux deux mers avait porté sa rage, Quand Valois à Bourbon tint ce triste discours, Dont souvent ses soupirs interrompaient le cours :

« Vous voyez à quel point le destin m'humilie. Mon injure est la vôtre; et la Ligue ennemie, Levant contre son prince un front séditieux,

Nous confond dans sa rage, et nous poursuit tous deux.
Paris nous méconnaît; Paris ne veut pour maître,
Ni moi qui suis son roi, ni vous qui devez l'être.
Ils savent que les lois, le mérite et le sang,
Tout, après mon trépas, vous appelle à ce rang;
Et, redoutant déjà votre grandeur future,

Du trône où je chancelle ils pensent vous exclure.

De la religion, terrible en son courroux,

Le fatal anathème est lancé contre vous.

Rome, qui sans soldats porte en tous lieux la guerre,
Aux mains des Espagnols a remis son tonnerre:
Sujets, amis, parents, tout a trahi sa foi:
Tout me fuit, m'abandonne, ou s'arme contre moi;
Et l'Espagnol avide, enrichi de mes pertes,
Vient en foule innonder mes campagnes désertes.
« Contre tants d'ennemis ardents à m'outrager,
Dans la France à mon tour appelons l'étranger :
Des Anglais en secret gagnez l'illustre reine.
Je sais qu'entre eux et nous une immortelle haine
Nous permet rarement de marcher réunis,
Que Londre est de tout temps l'émule de Paris :
Mais, après les affronts dont ma gloire est flétrie,
Je n'ai plus de sujets, je n'ai plus de patrie.
Je hais, je veux punir des peuples odieux:
Et quiconque me venge est Francais à mes yeux.
Je n'occuperai point dans un tel ministère
De mes secrets agents la lenteur ordinaire;
Je n'implore que vous c'est vous de qui la voix
Peut seule à mon malheur intéresser les rois.
Allez en Albion; que votre renommée

Y parle en ma défense, et m'y donne une armée.
Je veux par votre bras vaincre mes ennemis;
Mais c'est de vos vertus que j'attends des amis. »>

Il dit; et le héros, qui, jaloux de sa gloire,
Craignait de partager l'honneur de la victoire,
Sentit, en l'écoutant, une juste douleur.

Il regrettait ces temps si chers à son grand cœur,
Où, fort de sa vertu, sans secours, sans intrigue,
Lui seul avec Condé faisait trembler la Ligue.
Mais il fallut d'un maître accomplir les desseins :
Il suspendit les coups qui partaient de ses mains;

Et, laissant ses lauriers cueillis sur ce rivage,
A partir de ces lieux il força son courage.
Les soldats étonnés ignorent son dessein;
Et tous de son retour attendent leur destin.
Il marche. Cependant la ville criminelle

Le croit toujours présent, prêt à fondre sur elle;
Et son nom, qui du trône est le plus ferme appui,
Semait encore la crainte, et combattait pour lui.

Déjà des Neustriens il franchit la campagne :
De tous ses favoris, Mornai seul l'accompagne,
Mornai, son confident, mais jamais son flatteur,
Trop vertueux soutien du parti de l'erreur,
Qui, signalant toujours son zèle et sa prudence,
Servit également son Eglise et la France;
Censeur des courtisans, mais à la cour aimé ;
Fier ennemi de Rome, et de Rome estimé.

A travers deux rochers où la mer mugissante
Vient briser en courroux son onde blanchissante,
Dieppe aux yeux du héros offre son heureux port.
Les matelots ardents s'empressent sur le bord:

Les vaisseaux, sous leurs mains fiers souverains des ondes, Etaient prêts à voler sur les plaines profondes;

L'impétueux Borée, enchaîné dans les airs,

Au souffle du zéphyr abandonnait les mers:
On lève l'ancre, on part, on fuit loin de la terre.
On découvrait déjà les bords de l'Angleterre :
L'astre brillant du jour à l'instant s'obscurcit;
L'air siffle, le ciel gronde, et l'onde au loin mugit;
Les vents sont déchaînés sur les vagues émues :
La foudre étincelante éclate dans les nues;
Et le feu des éclairs, et l'abîme des flots,
Montraient partout la mort aux pâles matelots.
Le héros, qu'assiégeait une mer en furie,

Ne songe en ces dangers qu'aux maux de sa patrie,
Tourne ses yeux vers elle, et, dans ses grands desseins,
Semble accuser les vents d'arrêter ses destins.

Tel et moins généreux, aux rivages d'Epire,
Lorsque de l'univers il disputait l'empire,
Confiant sur les flots aux aquilons mutins
Le destin de la terre et celui des Romains,
Défiant à la fois et Pompée et Neptune,
César à la tempête opposait sa fortune.

Dans ce même moment le Dieu de l'univers,
Qui vole sur les vents, qui soulève les mers,

Ce Dieu dont la sagesse ineffable et profonde
Forme, élève et détruit les empires du monde,
De son trône enflammé qui luit au haut des cieux,
Sur le héros français daigna baisser les yeux.

Il le guidait lui-même. Il ordonne aux orages
De porter le vaisseau vers ces prochains rivages
Où Jersey semble aux yeux sortir du sein des flots:
Là, conduit par le ciel, aborda le héros.

Non loin de ce rivage, un bois sombre et tranquille
Sous des ombrages frais présente un doux asile :
Un rocher, qui le cache à la fureur des flots,
Défend aux aquilons d'en troubler le repos.
Une grotte est auprès, dont la simple structure
Doit tous ses ornements aux mains de la nature.
Un vieillard vénérable avait, loin de la cour,
Cherché la douce paix dans cet obscur séjour.
Aux humains inconnu, libre d'inquiétude,
C'est là que de lui-même il faisait son étude;
C'est là qu'il regrettait ses inutiles jours,
Plongés dans les plaisirs, perdus dans les amours.
Sur l'émail de ces prés, au bord de ces fontaines,
Il foulait à ses pieds les passions humaines :
Tranquille, il attendait qu'au gré de ses souhaits
La mort vînt à son Dieu le rejoindre à jamais.
Ce Dieu qu'il adorait prit soin de sa vieillesse :
Il fit dans son désert descendre la sagesse;
Et, prodigue envers lui de ses trésors divins,
Il ouvrit à ses yeux le livre des destins.

Ce vieillard au héros, que Dieu lui fit connaître, Au bord d'une onde pure, offre un festin champêtre. Le prince à ces repas était accoutumé :

Souvent sous l'humble toit du laboureur charmé,
Fuyant le bruit des cours, et se cherchant lui-même,
Il avait déposé l'orgueil du diadème.

Le trouble répandu dans l'empire chrétien
Fut pour eux le sujet d'un utile entretien.
Mornai, qui dans sa secte était inébranlable,
Prêtait au calvinisme un appui redoutable;
Henri doutait encore, et demandait aux cieux
Qu'un rayon de clarté vînt dessiller ses yeux.
"De tout temps, disait-il, la vérité sacrée
Chez les faibles humains fut d'erreurs entourée :
Faut-il
que, de Dieu seul attendant mon appui,
J'ignore les sentiers qui mènent jusqu'à lui!

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