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cependant quelques-unes de ses parties devaient composer une Terre, et quelques-unes des Planètes, et des Comètes, et quelques autres un Soleil, et des Étoiles fixes. Et ici m'étendant sur le sujet de la lumière, j'expliquai bien au long quelle était celle qui se devait trouver dans le Soleil et les Étoiles, et comment de là elle traversait en un instant les immenses espaces des cieux, et comment elle se réfléchissait des Planètes et des Comètes vers la Terre. J'y ajoutai aussi plusieurs choses touchant la substance, la situation, les mouvements et toutes les diverses qualités de ces cieux et de ces astres; en sorte que je pensais en dire assez pour faire connaître qu'il ne se remarque rien en ceux de ce monde, qui ne dût, ou du moins qui ne pût paraître tout semblable en ceux du monde que je décrivais. De là je vins à parler particulièrement de la Terre comment, encore que j'eusse expressément supposé que Dieu n'avait mis aucune pesanteur 2 en la matière dont elle était composée, toutes ses parties ne laissaient pas de tendre exactement vers son centre: comment y ayant de l'eau et de l'air sur sa superficie, la disposition des cieux et des astres, principalement de la Lune, y devait causer un flux et reflux, qui fût semblable en toutes ses circonstances à celui qui se remarque dans nos

1. Erreur: la lumière ne se transmet pas d'une manière instantanée. La vitesse de transmission de la lumière est très grande; à l'époque de Descartes, on ne savait pas la déterminer.

2. Par pesanteur Descartes entend ici une sorte de qualité occulte. Pour lui, la matière n'a d'autre qualité que l'étendue; il croit pouvoir tout expliquer par l'étendue et le mouvement.

mers; et outre cela un certain cours tant de l'eau que de l'air du levant vers le couchant, tel qu'on le remarque aussi entre les Tropiques: comment les montagnes, les mers, les fontaines, et les rivières pouvaient naturellement s'y former; et les métaux y venir dans les mines; et les plantes y croître dans les campagnes; et généralement tous les corps qu'on nomme mêlés ou composés s'y engendrer : et entre autres choses, à cause qu'après les astres je ne connais rien au monde que le feu qui produise de la lumière, je m'étudiai à faire entendre bien clairement tout ce qui appartient à sa nature, comment il se fait, comment il se nourrit, comment il n'a quelquefois que de la chaleur sans lumière, et quelquefois que de la lumière sans chaleur; comment il peut introduire diverses couleurs en divers corps, et diverses autres qualités, comment il en fond quelques-uns, et en durcit d'autres, comment il les peut consumer presque tous, ou convertir en cendres et en fumée; et enfin comment de ces cendres, par la seule violence de son action, il forme du verre: car cette transmutation de cendres en verre me semblant être aussi admirable qu'aucune autre qui se fasse en la nature, je pris particulièrement plaisir à la décrire 2.

Toutefois je ne voulais pas inférer de toutes ces choses, que ce monde ait été créé en la façon que je proposais car il est bien plus vraisemblable que dès

1. Le flux et le reflux s'expliquent bien par l'action du soleil et de la lune; mais l'explication donnée par Descartes n'est pas exacte. L'explication véri

table a été donnée par Newton.

2. L'explication de tous ces phénomènes particuliers est, sinon tout à fait imaginaire, au moins fort mêlée d'erreurs.

le commencement Dieu l'a rendu comme il devait être. Mais il est certain, et c'est une opinion communément reçue entre les Théologiens, que l'action par laquelle maintenant ille conserve est toute la même que celle par laquelle il l'a créé: de façon qu'encore qu'il ne lui aurait point donné au commencement d'autre forme que celle du Chaos, pourvu qu'ayant établi les lois de la Nature, il lui prêtât son concours pour agir ainsi qu'elle a de coutume, on peut croire, sans faire tort au miracle de la création 2, que par cela seul toutes les choses qui sont purement matérielles auraient pu avec le temps s'y rendre telles que nous les voyons à présent et leur nature est bien plus aisée à concevoir lorsqu'on les voit naître peu à peu en cette sorte, que lorsqu'on ne les considère que toutes faites.

De la description des corps inanimés et des plantes, je passai à celle des animaux, et particulièrement à celle des hommes. Mais pour ce que je n'en avais pas encore assez de connaissance pour en parler du même style que du reste, c'est-à-dire, en démontrant les effets par les causes, et faisant voir de quelles semences, et en quelle façon la Nature les doit produire, je me contentai de supposer que Dieu formât le corps d'un homme entièrement semblable à l'un des nôtres, tant en la figure extérieure de ses membres, qu'en la

1. C'est la doctrine que les philosophes appellent doctrine de la création continuée. Sur ce point, les théologiens et les philosophes sont beaucoup moins d'accord que ne le dit Descartes.

2. Si l'on appelle miracle tout fait qui est en dehors des lois de la nature, la création est un miracle; car le cours ordinaire des lois de la nature n'amène aucun fait de création.

conformation intérieure de ses organes, sans le composer d'autre matière que de celle que j'avais décrite, et sans mettre en lui au commencement aucune âme raisonnable, ni aucune autre chose pour y servir d'âme végétante ou sensitive, sinon qu'il excitât en son cœur un de ces feux sans lumière que j'avais déjà expliqués, et que je ne concevais point d'autre nature que celui qui échauffe le foin, lorsqu'on l'a renfermé avant qu'il fût sec, ou qui fait bouillir les vins nouveaux, lorsqu'on les laisse cuver sur la râpe. Car examinant les fonctions, qui pouvaient en suite de cela être en ce corps, j'y trouvais exactement toutes celles qui peuvent être en nous sans que nous y pensions, ni par conséquent que notre âme, c'est-à-dire cette partie distincte du corps dont il a été dit ci-dessus que la nature n'est que de penser, y contribue, et qui sont toutes les mêmes, en quoi on peut dire que les animaux sans raison nous ressemblent : sans que j'y en pusse pour cela trouver aucune de celles qui, étant dépendantes de la pensée, sont les seules qui nous appartiennent en tant qu'hommes; au lieu que je les y trouvais toutes par après, ayant supposé que Dieu créât une âme raisonnable, et qu'il la joignît à ce corps en certaine façon que je décrivais 1.

Mais afin qu'on puisse voir en quelle sorte j'y traitais cette matière, je veux mettre ici l'explication du mouvement du cœur et des artères, qui étant le pre

1. On voit que pour Descartes le corps vivant n'est qu'une machine, et que les phénomènes vi

DISCOURS DE LA MÉTHODE.

taux se réduisent à un pur mécanisme, d'où l'hypothèse des bêtesmachines.

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mier ét le plus général qu'on observe dans les animaux, on jugera facilement de lui ce qu'on doit penser de tous les autres. Et afin qu'on ait moins de difficulté à entendre ce que j'en dirai, je voudrais que ceux qui ne sont point versés en l'Anatomie prissent la peine, avant que de lire ceci, de faire couper devant eux le cœur de quelque grand animal qui ait des poumons, car il est en tout assez semblable à celui de l'homme1; et qu' 'ils se fissent montrer les deux chambres ou concavités qui y sont, premièrement celle qui est dans son côté droit, à laquelle répondent deux tuyaux fort larges à savoir la veine cave, qui est le principal

1. Les anatomistes modernes considèrent le coeur comme formé de quatre cavités: 1° l'orcillette droite, qui occupe la partie supérieure à droite; elle reçoit les deux veines caves, supérieure et inférieure, qui amènent le sang veineux de tout l'organisme vers le cœur. Elle communique avec le ventricule droit placé au dessous par une ouverture appelée auriculo-ventriculaire droite, fermée par une triple valvule, nommée valvule tricuspide; 2o le ventricule droit, qui communique avec l'oreillette droite, comme nous venons de le dire, et où prend naissance l'artère pulmonaire, fermée par une triple valvule et qui conduit le sang, veineux aux poumons; 3° l'oreillette gauche, qui reçoit les quatre veines pulmonaires, qui se réunissent deux à deux à leur entrée dans l'oreillette, et amènent le sang artériel dit poumon âu cœur. Cette oreillette communique avec le ventricule

gauche placé au-dessous par l'ouverture auriculo-ventriculaire gau che, laquelle est fermée par une double valvule, nommée bicuspide du mitrale; 4o le ventricule gauche qui communique avec l'oreillette gauche, comme nous l'avons dit, et d'où part l'artère aorte fermée par une triple valvule et qui conduit le sang dans l'organisme entier.

Descartes réduit le coeur aux seuls ventricules. Pour lui, les oreillettes ne sont qu'un épanouissement des vaisseaux. Ainsi l'oreillette droite est un épanouissement des veines caves, et l'oreillette gauche, un épanouissement des veines pulmonaires. Il en résulte que, pour Descartes, le cœur n'a que deux cavités; il n'existe pour lui qu'une seule veine cave, et qu'une seule veine pulmonaire; mais on voit que c'est pure affaire de description.

2. Les deux ventricules.

3. Nous comptons aujourd'hui

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