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« Jésus-Christ! Jésus-Christ! » Pascal conclut en disant : << Renonciation totale et douce. Soumission totale à JésusChrist et à mon directeur. » Descartes n'avait pas à reconquérir la foi perdue ou du moins éclipsée, puisque ses doutes n'avaient jamais atteint la foi. Ce qu'il avait reconquis, c'était la confiance dans la raison, et cette confiance ne devait plus l'abandonner jamais

II

Rien cependant n'est changé dans la vie extérieure de Descartes. Pour sa vie intérieure même, on ne peut pas dire que ses travaux aient changé d'objet. Seulement, avec un fondement sûr pour ses spéculations philosophiques, avec une méthode éprouvée, on peut dire qu'il a trouvé la paix.

Dès l'année suivante (1620) il reprend ses voyages. En 1621 il est en Hongrie, guerroyant sous les ordres du comte de Bucquoy, qu'il abandonne tout aussi vite que le duc de Bavière. Il reprend dès lors sa liberté complète et voyage simplement. Il traverse la Moravie et la Silésie, visite les côtes de la mer Baltique, le Holstein, les côtes de la mer d'Allemagne, et rentre en Hollande par la Frise orientale. A La Haye, il se lie avec l'Électrice palatine; à Bruxelles, ilvoit la cour de l'infante Isabelle, qui l'arrête à peine, et bientôt, par Rouen, il rentre à Rennes dans sa famille.

Il était parti en 1613. Ce premier voyage avait donc duré environ sept ans. Nous savons ce qu'il en avait rapporté. Il est probable qu'il fit peu de confidences. Ses projets philosophiques toutefois n'avaient rien d'absolument incompatible avec un établissement honorable. Aussi ne fit-il aucune objection définitive quand ses parents et ses amis le pressèrent de se marier, de prendre une profession, de se

fixer, en un mot. S'il fut arrêté, ce fut par un sentiment assez ombrageux d'indépendance. Il remit à plus tard sa décision.

En 1623, nous le trouvons à Paris. Cette même année il part pour l'Italie. Il parcourt les Grisons, la Valteline, Ins- pruck; Venise, où il assiste au mariage du doge avec l’Adriatique; Rome, où il se trouve aux fêtes du Jubilé, où il se lie avec le cardinal Barberini; Lorette, où il accomplit le vœu dont nous avons parlé; la Toscane, le Piémont. Il quitte enfin l'Italie, sans avoir cherché à voir Galilée. En - revenant, il assiste au siège de Gavi attaquée par le connétable de Lesdiguières. En 1625, il est de retour à Rennes dans sa famille.

Il y reste bien peu de temps, car, l'année suivante, il est à Paris. Deux ans plus tard, en 1628, il est, sous les ordres du cardinal de Richelieu, au siège de la Rochelle. Pendant cet assez long séjour en France, il avait formé divers projets, examiné divers établissements, et enfin, il avait pris son parti de n'être qu'un philosophe. A la fin de mars 1629, il part pour la Hollande. Il devait y demeurer vingt ans, et y composer tous ses grands ouvrages.

On est assez embarrassé pour indiquer au juste le développement de la pensée de Descartes pendant la période qui nous occupe. Ce qui nous reste de la correspondance commence en 1629. Les indications de Baillet sont infiniment précieuses; mais ce sont des indications qu'il faudrait pouvoir contrôler, et les éléments d'un contrôle efficace font défaut. Le Discours de la méthode nous fournit heureusement des renseignements, trop peu détaillés sans doute, mais du moins très précis et parfaitement certains :

1. Dans la Vie de Monsieur Descartes, 1691, 2 vol. in-4°.

« Je continuais de m'exercer en la méthode que je m'étais prescrite; car, outre que j'avais soin de conduire généralement toutes mes pensées selon ses règles, je me réservais de temps en temps quelques heures, que j'employais particulièrement à la pratiquer en des difficultés de Mathématiques, ou même aussi en quelques autres, que je pouvais rendre quasi semblables à celles des Mathématiques, en les détachant de tous les principes des autres sciences que je ne trouvais pas assez fermes, comme vous verrez que j'ai fait en plusieurs qui sont expliquées en ce volume, Et ainsi, sans vivre d'autre façon, en apparence, que ceux qui, n'ayant aucun emploi qu'à passer une vie douce et innocente, s'étudient à séparer les plaisirs des vices, et qui, pour jouir de leur loisir sans s'ennuyer, usent de tous les divertissements qui sont honnêtes, je ne laissais pas de poursuivre en mon dessein, et de profiter en la connaissance de la vérité, peut-être plus que si je n'eusse fait que lire des livres ou fréquenter des gens de lettres.

<< Toutefois ces neuf années s'écoulèrent avant que j'eusse encore pris aucun parti touchant les difficultés qui ont coutume d'être disputées entre les doctes, ni commencé à chercher les fondements d'aucune Philosophie plus certaine que la vulgaire. Et l'exemple de plusieurs excellents esprits, qui en ayant eu ci-devant le dessein me semblaient n'y avoir pas réussi, m'y faisait imaginer tant de difficultés que je n'eusse peut-être pas encore sitôt osé l'entreprendre, si je n'eusse vu que quelques-uns faisaient déjà courre le bruit que j'en étais venu à bout..... Je pensai qu'il fallait que je tâchasse par tous moyens à me rendre digne de la réputation qu'on me donnait; et il y a justement huit ans que ce désir me fit résoudre à m'éloigner de tous les lieux où je pouvais avoir des connaissances, et à me retirer ici, en un pays où la longue durée de la guerre a fait établir de

VIE DE DESCARTES

Suivant le but que l'on poursuit, on divise la vie de Descartes de différentes manières. Ceux qui s'attachent surtout aux événements extérieurs la distribuent en trois périodes, la jeunesse, les voyages, le séjour en Hollande. Nous, qui nous proposons surtout d'étudier la pensée du maître, nous procéderons autrement. Dans une première période nous placerons tous les événements qui précèdent la crise décisive de 1619; la seconde période renfermera tous les faits qui s'accomplissent pendant que la philosophie cartésienne se constitue dans l'esprit de Descartes (1619-1629); à la troisième, se rapporte la composition de tous les ouvrages qui nous ont transmis cette philosophie.

I

Le 31 mars 1596 René Descartes naquit à La Haye, Touraine. Sa jeunesse n'eut rien de particulier. Il fit ses études au collège des Jésuites de La Flèche, une des mick leures et des plus célèbres écoles du temps. Il en sortit & seize ans aussi instruit qu'il pouvait l'être. Son père estin e qu'étant né gentilhomme et riche, il ne pouvait être que t robe ou d'épée, mais qu'avant de faire un choix, il deva.. voir le monde, la cour et la guerre.

Quant à lui, il avait reçu de la nature deux insti puissants, le goût du mouvement, des aventures, spectacles extraordinaires, et le goût de la méditati, avec cela, une passion indomptable, celle de la vérité, 1 de la vérité certaine, de la vérité supérieure à toute & cussion. Son caractère explique les bizarreries de sa c duite. Si l'on ne veut pas tout confondre, il faut exam.

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chez le nonce du pape, M. de Bagné. Il dut arguson tour. Il le fit avec une telle supériorité, que assemblée fut saisie d'admiration. Le cardinal de celui que Bossuet, dans l'oraison funèbre d'HenFrance, appelle « le grand Pierre de Bérulle », lui s de conscience de travailler au perfectionnement blication de sa philosophie. Descartes a toujours les faiseurs de livres un vrai mépris de gentilC'est peut-être à cette circonstance toute fortuite devons la composition de ses ouvrages.

III

t 1629, Descartes n'est pas un écrivain. Sa vie est ment double pour le monde, c'est un gentilhomme de du reste, un cavalier parfait, comme aurait dit

e, son contemporain; au fond, c'est un mathé

, non par profession, mais par génie naturel et out, comme le furent plus tard Pascal, Fermat et is de L'Hôpital; avant tout, c'est un philosophe.

, il devient un écrivain, et dès lors, les deux at nous parlons se trouvent un peu mêlées. Coms par donner quelques détails sur son séjour en

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1 dl inst Souvent, et nous avons dit nous-même, qu'en 1629 La dans ce pays. Le fait est vrai, mais d'une vérité

relative. A partir de 1629, il ne quitte plus guère ade, et pourtant nous avons encore à signaler trois qui se rapportent à cette époque en France, en ve, en Danemark et dans la basse Allemagne. Alors 'il ne sort pas de la Hollande, notre philosophe ne mais de donner satisfaction à son humeur voyaRrement il passe une année entière dans le même

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