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renferment la première explication de l'arc-en-ciel double. On n'y rencontre pas, il est vrai, la découverte de la décomposition de la lumière par le prisme; mais cette invention, qui était réservée à Newton, est admirablement préparée.

La Géométrie est plus étonnante encore. Elle contient une réforme complète de l'algèbre, le moyen de résoudre les équations du troisième et du quatrième degré; elle indique des méthodes absolument nouvelles, d'une fécondité incomparable, comme la méthode des coefficients indéterminés et celle qui est connue aujourd'hui sous le nom de Règle des signes de Descartes. Enfin elle contient l'exposition de toute une science absolument nouvelle, l'application de l'algèbre à l'étude des propriétés des lignes courbes cette science est poussée si loin, qu'elle enseigne le moyen de trouver en général les tangentes à une courbe quelconque définie par son équation. Quand on songe que toutes ces découvertes apparaissent à la fois dans un livre écrit avec une aisance et une clarté merveilleuses, on s'explique l'admiration des contemporains, et l'on conçoit que les témoignages qu'ils ont donnés de cette admiration ne doivent pas sembler excessifs. On conçoit aussi comment une méthode capable de donner de tels résultats dut s'imposer tout d'abord avec une autorité en quelque sorte absolue.

:

Il est inutile que nous présentions ici le plan du Discours de la méthode. Ce plan a été donné par Descartes luimême. On le trouvera plus loin. Il est d'ailleurs tellement simple, que quelques lignes suffisent pour l'exposer. Mais il importe que nous fassions connaître la méthode même de Descartes. Nous nous servirons pour cela non seulement du Discours de la méthode, mais des Règles pour la direction de l'esprit, qui sont un commentaire naturel du Discours.

La méthode que nous étudions est générale, c'est-à-dire qu'elle s'applique à toutes les questions, quelles qu'elles soient. Elle est de plus tellement compréhensive que tous les procédés d'investigation antérieurement connus, l'analyse des anciens, l'algèbre et la logique scolastique, n'en sont que des applications particulières. Pour la bien comprendre, il est nécessaire de parcourir toute la suite d'idées qui a conduit Descartes lui-même à la concevoir.

Trouver la solution d'un problème d'arithmétique, c'est trouver par des opérations arithmétiques un ou plusieurs nombres qui satisfont aux conditions indiquées dans l'énoncé de la question. Par exemple, si l'on demande de trouver deux nombres dont la somme soit égale à 30 et la différence égale à 20, la solution du problème consiste à indiquer les opérations arithmétiques qu'il faut exécuter sur les deux nombres donnés, 20 et 30, pour trouver les deux nombres demandés, 25 et 5, qui satisfont à l'énoncé de la question.

Il est facile d'apercevoir que tout problème d'arithmétique peut être généralisé. La généralisation corsiste à laisser indéterminées les données de la question, et à chercher seulement les opérations arithmétiques qu'il faut effectuer sur ces données pour trouver la valeur des nombres cherchés.

Pour fixer les idées et simplifier le langage, on désigne les nombres donnés par des lettres telles que a et b, les nombres cherchés par des lettres telles que x et y. Si l'on traite de cette manière le problème que nous venons d'indiquer, on trouve pour solution les deux formules que voici :

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L'arithmétique, ainsi généralisée n'est autre chose que l'algèbre.

a

La grande découverte mathématique de Descartes est d'avoir reconnu qu'à toute opération arithmétique correspond une opération géométrique. Ainsi, partager un nombre quelconque a en deux parties égales, c'est effectuer sur les deux nombres a et 2 l'opération arithmétique bien connue de tout le monde sous le nom de division: partager une droite a en deux parties égales, c'est faire sur la ligne a des opérations géométriques enseignées dans tous les traités élémentaires. Tout symbole algébrique, tel que 2' a donc une double signification. 11 désigne à la fois une opération arithmétique et une opération géométrique. Ges deux opérations sont distinctes, mais elles se correspondent: elles reviennent en quelque sorte l'une à l'autre ; car toute quantité arithmétique peut être considérée comme la représentation d'une quantité géométrique, et réciproquement toute opération arithmétique peut être considérée comme la représentation d'une opération géométrique.

Ces considérations ont conduit Descartes à concevoir une algèbre infiniment plus générale que l'algèbre vulgaire. Cette algèbre nouvelle n'est autre chose qu'un art de combiner suivant des règles fixes des symboles, qui ont tous une double signification arithmétique et géométrique. Et maintenant, comme la science de la nature a pour principal objet de découvrir et d'exprimer les relations mathématiques qui existent entre une infinité de grandeurs, telles que des temps, des forces, des vitesses, etc., on conçoit sans peine que l'algèbre, telle que nous venons de la définir, puisse devenir une méthode générale applicable aux mathématiques d'abord, puis, sans exception, à toutes les sciences physiques.

Cependant cette méthode, si générale qu'elle soit, n'est pas encore universelle. On ne voit pas, en effet, comment il serait possible de l'appliquer à d'autres objets que les quantités ou grandeurs mathématiques. Donc Descartes a dû lui faire subir une transformation nouvelle, pour lui donner un nouveau degré de généralité.

Au fond, trouver la solution d'un problème de mathématiques, quel qu'il soit, c'est découvrir une combinaison d'éléments ou de données de la question, qui satisfasse à des conditions indiquées par l'énoncé. Mais quel autre procédé pourrait-on suivre pour trouver la solution d'une question quelconque, même non mathématique? La vraie méthode, la méthode absolument générale consiste donc dans un art de combiner ou d'ordonner, analogue à l'algèbre, mais plus général que l'algèbre même. Elle enseigne d'abord à découvrir par l'analyse les éléments de la question, puis à s'assurer par une énumération convenable qu'aucun élément essentiel n'a été omis, à distinguer enfin parmi tous ces éléments l'élément essentiel, que Descartes appelle l'absolu de la question: ce premier travail achevé, la méthode doit enseigner à former avec les éléments découverts diverses combinaisons, en commençant par les plus simples pour s'élever ensuite comme par degrés aux plus complexes, jusqu'à ce qu'on arrive enfin à la combinaison qui donne la solution de la question. Que l'on compare cette formule aux quatre règles du Discours de la méthode, on verra que nous ne faisons pas autre chose que les répéter, en les expliquant un peu.

On a dit quelquefois que la méthode de Descartes était une méthode à priori. Ce n'est pas absolument exact. Sans doute, la méthode est à priori quand les éléments de la question peuvent être déterminés sans aucun appel à l'expérience. C'est le cas de toutes les questions mathéma

tiques. Mais dans les questions physiques, l'expérience seule peut déterminer les éléments de la question. Bien plus, dans les problèmes de ce genre, quand on a cru découvrir la combinaison d'éléments qui donne la solution de la question, l'expérience seule peut décider si la solution ainsi découverte est la solution véritable. Qu'il s'agisse, par exemple, d'expliquer comment se forme l'image d'un objet vu à travers une loupe. Il est évident qu'un des éléments principaux de la question est la modification que les rayons subissent dans leur direction en travèrsant le verre. Or l'expérience seule peut faire connaître le phénomène de la réfraction, et la loi de la réfraction est ici l'absolu de la question. Maintenant, quand on aura cherché parmi tous les effets de la réfraction celui qui paraît satisfaire à la question qu'on s'est posée, l'expérience seule pourra décider si la combinaison d'effets de la réfraction à laquelle on s'arrête est bien conforme à la réalité des choses. On voit que, dans la méthode cartésienne, la part faite à l'expérience paraît suffisante, et qu'aux yeux de la critique la plus sévère, cette méthode paraît ne rien laisser à désirer.

L'influence qu'elle a eue dès l'origine et qu'elle exerce encore aujourd'hui est vraiment extraordinaire; et cette influence est sensible non seulement dans la philosophie et dans les sciences positives, mais dans les lettres mêmes. Toutefois il ne faut rien exagérer, et le dernier point que nous venons d'indiquer demande une explication précise.

Des historiens d'une grande autorité ont cru pouvoir affirmer que le Discours de la méthode a été pour la prose française ce qu'a été le Cid pour notre poésie. C'est une exagération. Le livre qui a vraiment transformé la prose française au dix-septième siècle, ce n'est pas le Discours de la méthode, ce sont les Provinciales. Pour nous, nous

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