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cet ensemble d'apparences un système dans lequel toutes les parties sont absolument cohérentes entre elles, un système dans lequel nulle contradiction ne peut trouver place. Que si l'on prend les choses de cette manière, si l'on entend le monde de cette façon, on n'a pas de peine à se débarrasser de toutes les objections de ce que j'appellerai l'idéalisme vulgaire; mais il subsiste toujours une objection plus métaphysique, qui est celle-ci peut-être le monde même de la science n'est-il pas autre chose qu'une création, ou, si l'on veut, qu'une construction chimérique de la raison.

Descartes n'hésita pas à reconnaître que, placée au début même de la métaphysique, avant le Cogito, ergo sum, cette objection est irréfutable. Mais nous savons maintetenant que Dieu existe, et qu'il ne peut pas nous tromper. Au fond, c'est uniquement de cette vérité que dépend toute la solidité du principe de l'évidence.

Comment donc pourrions-nous, sans mettre en doute la véracité divine, supposer que le monde de la science n'est qu'une chimère ? Ainsi toute la métaphysique de Descartes se réduit à cet enchaînement absolument indissoluble de vérités évidentes :

Je ne puis douter, sans être sûr que j'existe;

Si j'existe, Dieu existe nécessairement;

Si Dieu existe, le monde lui-même ne peut manquer d'exister.

Ainsi Dieu est la raison, l'explication de toute existence. On pourrait sans doute le poser d'abord à priori; mais, en agissant de la sorte, on laisserait subsister le scepticisme. Mieux vaut partir du doute, montrer que le doute se détruit lui-même, et s'élever ensuite jusqu'à Dieu. Cela fait, on n'a pas de peine à prouver que toutes choses se disposent et s'arrangent suivant les lois mêmes de la raison.

PHYSIQUE

La métaphysique nous enseigne que le monde existe parce que Dieu l'a créé. On peut même dire en toute rigueur que Dieu le crée continuellement; car, le temps n'existant pas pour Dieu, on ne saurait distinguer en lui deux moments qui seraient, le premier, celui, de la création, et le second, celui qui aurait immédiatement suivi la création. Il s'agit maintenant de décrire le monde : cette description est l'objet de la physique.

La méthode à suivre est une méthode de déduction à priori. Dieu a créé le monde, donc les lois de l'univers sont des conséquences des perfections infinies de Dieu.

La matière doit être une. La diversité, les changements qui se produisent en elle ne doivent tenir qu'aux modifications du principe unique qui la constitue. Le principe de la matière, sa qualité première et essentielle est ce sans quoi la matière ne peut être conçue, c'est l'étendue. Mais l'étendue pure se confond avec l'espace, il n'y a donc pas deux espaces, l'un vide de matière, l'autre plein de matière. Tout est plein.

Les parties de l'étendue étant parfaitement homogènes, on ne voit pas comment, dans un tel monde, le changement et même la diversité sont possibles. Mais il faut remarquer d'abord que l'étendue peut prendre toute espèce de figures; que les parties de l'étendue peuvent avoir les unes par rapport aux autres une infinité de situations; qu'enfin des corps réduits à l'étendue sont mobiles. La diversité des corps et leurs changements s'expliquent par. des différences de figures et par le mouvement. Mais comment le mouvement est-il possible dans le plein ? L'étendue est divisible à l'infini, et ses parties sont parfaitement mobiles; le mouvement circulaire se conçoit dans le plein.

Tout corps en mouvement est comme une portion d'une roue qui tourne autour de son essieu.

L'étendue est mobile, mais le mouvement ne lui est pas essentiel. Dieu n'a donc pas seulement créé l'étendue, il a communiqué à cette étendue une certaine quantité de mouvement. Cette quantité demeure toujours la même. Tous les phénomènes de la nature se réduisent à des changements de mouvement. Les lois de la nature ne sont donc que les lois de la transformation et de la communication des mouvements.' '

Toutes ces lois d'ailleurs se déduisent d'un même priucipe, le principe de l'immutabilité divinę: Dieu est immuable: ce qu'il a une fois établi se conserve nécessairement. Dieu a mis dans le monde une certaine quantité de mouvement. Les changements qui s'accomplissent doivent être tels que la quantité de mouvement se conserve toujours dans le monde. De ce principe, dont la formule ne laisse pas que d'être un peu vague, Descartes déduit trois lois générales de la nature et, de plus, sept règles, par le moyen desquelles on peut déterminer combien les corps qui se rencontrent changent les mouvements les uns des autres 1.

Voici ces lois et ces règles :.

Première loi. Chaque chose demeure en l'état qu'elle est pendant que rien ne le change.

Deuxième loi. Tout corps qui se meut tend à conserver son mouvement en ligne droite.

Troisième loi. Si un corps qui se meut en rencontre, un plus fort que lui, il ne perd rien de son mouvement, et s'il en rencontre un plus faible qu'il puisse mouvoir, il en perd autant qu'il en donne.

Première règle. Si deux corps étaient exactement:

11. Voyez Principes, 2o partie.

égaux et se mouvaient d'égale vitesse en ligne droite l'un vers l'autre, lorsqu'ils viendraient à se rencontrer, ils rejailliraient tous deux également et retourneraient chacun vers le côté d'où il serait venu, sans perdre rien de leur vitesse.

Deuxième règle. Si l'un des deux corps était tant soit peu plus grand que l'autre et qu'ils se rencontrassent avec même vitesse, il n'y aurait que le plus petit qui rejaillirait vers le côté d'où il serait venu, et ils continueraient par après leur mouvement tous deux ensemble vers ce même côté.

Troisième règle. Si ces deux corps étaient de même grandeur, mais que B eût tant soit plus de vitesse que C, non seulement, après s'être rencontrés, C seul rejaillirait et ils iraient tous deux ensemble, comme devant, vers le côté d'où C serait venu, mais aussi il serait nécessaire que B lui transférât la moitié de ce qu'il aurait de plus de vitesse.

Quatrième règle. Si le corps C était tant soit peu plus grand que B et qu'il fût entièrement en repos, de quelque vitesse que B pût venir vers lui, jamais il n'aurait la force de le mouvoir, mais il serait contraint de rejaillir vers le même côté d'où il serait venu.

Cinquième règle. Si, au contraire, le corps C était tant soit peu moindre que B, celui-ci ne saurait aller si lentement vers l'autre, lequel je suppose encore parfaitement en repos, qu'il n'eût la force de le pousser et de lui transférer la partie de son mouvement qui serait requise pour faire qu'ils allassent par après de même vitesse.

Sixième règle. Si le corps C était en repos et parfaitement égal en grandeur au corps B, qui se meut vers lui, il faudrait nécessairement qu'il fût en partie poussé par B et qu'en partie il le fit rejaillir; en sorte que, si B était

venu vers C avec quatre degrés de vitesse, il faudrait qu'il lui en transférât un, et qu'avec les trois autres, il retournât vers le côté d'où il serait venu.

Septième règle. Si B et C vont vers un même côté et que C précède mais aille plus lentement que B en sorte qu'il soit enfin atteint par lui, il peut arriver que B transférera une partie de sa vitesse à C pour le pousser devant soi, et il peut arriver aussi qu'il ne lui en transférera rien du tout, mais rejaillira avec tout son mouvement vers le côté d'où il serait venu; à savoir, non seulement lorsque C est plus petit que B, mais aussi lorsqu'il est plus grand, pourvu que ce en quoi la grandeur de C surpasse celle de B soit moindre que ce en quoi la vitesse de B surpasse celle de C, jamais il ne doit rejaillir, mais il doit pousser C en lui transférant une partie de sa vitesse; et, au contraire, lorsque ce en quoi la grandeur de C surpasse celle de B est plus grand que ce en quoi la vitesse de B surpasse celle de C, il faut que B rejaillisse, sans rien communiquer à C de son mouvement; et enfin lorsque l'excès de grandeur qui est en C est parfaitement égal à l'excès de vitesse qui est en B, celui-ci doit transférer une partie de son mouvement à l'autre, et rejaillir avec le reste 1.

Le point auquel nous sommes parvenus est à la fois le plus important et le plus délicat de la physique cartésienne, et c'est précisément sur ce point que les opinions de Descartes deviennent contraires à la vérité 2.

Rechercher en détail, pour les rectifier ensuite, les erreurs

1. Voyez l'énoncé de ces règles avec les développements qu'elles comportent dans les Principes, 2o partie.

2. Pour ceux d'entre nos lecteurs qui voudraient discuter en détail les règles de Descartes,

nous donnerons les indications suivantes :

Quand on étudie les effets du choc des corps, il faut distinguer deux cas :

fer cas Les deux corps A et B, qui se choquent, manquent absolu

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