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d'abord la suite de ses actions, puis chercher à comprendre le développement de sa pensée..

En 1613, à dix-sept ans, il arrive à Paris. Il se met fort dans le monde et recherche avec empressement la compagnie des gens de mérite. Brusquement il disparaît: il vit enfermé dans une solitude qu'il s'est faite au faubourg Saint-Germain. Il part ensuite pour la Hollande où il sert comme volontaire dans les troupes de Maurice de Nassau. II y reste à peine deux années.

Il repart, traverse une partie de l'Allemagne, et assiste, en passant à Francfort, au couronnement de l'empereur Ferdinand II. En 1619, il est engagé dans les troupes du duc de Bavière. C'est pendant l'hiver de cette année que, réduit à • l'inaction par la rigueur du froid, il s'enferma dans un poêle. Alors se produisit en lui la crise morale dont nous avons parlé, cette crise qui devait fixer sa vie et avoir tant d'influence sur les destinées de la philosophie moderne.

Descartes était sorti du collège instruit et chrétien; du reste, l'esprit travaillé d'une multitude de doutes. Une seule étude lui avait donné pleine satisfaction, à cause de la certitude qu'elle comporte, l'étude des mathématiques. Dans les années qui suivirent, ces germes se développèrent. On peut dire en un mot que Descartes devint peu à peu sceptique et grand mathématicien. Il est probable que, comme tous les honnêtes gens de son temps, il lut beaucoup Montaigne, mais il ne put jamais parvenir à trouver que le scepticisme fût un doux et mol oreiller pour une tête bien faite. Il eut des moments de découragement, et même de désespoir. Les mathématiques le soutinrent en présentant à son esprit une suite infinie de vérités inébranlables, dans la connaissance desquelles il avançait sans cesse avec une aisance et une rapidité merveilleuses. Il en était là, quand il entra dans son poêle à la fin de 1619.

VIE DE DESCARTES

Suivant le but que l'on poursuit, on divise la vie de Descartes de différentes manières. Ceux qui s'attachent surtout aux événements extérieurs la distribuent en trois périodes, la jeunesse, les voyages, le séjour en Hollande. Nous, qui nous proposons surtout d'étudier la pensée du maître, nous procéderons autrement. Dans une première période nous placerons tous les événements qui précèdent la crise décisive de 1619; la seconde période renfermera tous les faits qui s'accomplissent pendant que la philosophie cartésienne se constitue dans l'esprit de Descartes (1619-1629); à la troisième, se rapporte la composition de tous les ouvrages qui nous ont transmis cette philosophie.

I

Le 31 mars 1596 René Descartes naquit à La Haye, en Touraine. Sa jeunesse n'eut rien de particulier. Il fit ses études au collège des Jésuites de La Flèche, une des meilleures et des plus célèbres écoles du temps. Il en sortit à seize ans aussi instruit qu'il pouvait l'être. Son père estima qu'étant né gentilhomme et riche, il ne pouvait être que de robe ou d'épée, mais qu'avant de faire un choix, il devait voir le monde, la cour et la guerre.

Quant à lui, il avait reçu de la nature deux instincts puissants, le goût du mouvement, des aventures, des spectacles extraordinaires, et le goût de la méditation; avec cela, une passion indomptable, celle de la vérité, mais de la vérité certaine, de la vérité supérieure à toute discussion. Son caractère explique les bizarreries de sa conduite. Si l'on ne veut pas tout confondre, il faut examiner

d'abord la suite de ses actions, puis chercher à comprendre le développement de sa pensée.

En 1613, à dix-sept ans, il arrive à Paris. Il se met fort dans le monde et recherche avec empressement la compagnie des gens de mérite. Brusquement il disparaît: il vit enfermé dans une solitude qu'il s'est faite au faubourg Saint-Germain. Il part ensuite pour la Hollande où il sert comme volontaire dans les troupes de Maurice de Nassau. Il y reste à peine deux années.

Il repart, traverse une partie de l'Allemagne, et assiste, en passant à Francfort, au couronnement de l'empereur Ferdinand II. En 1619, il est engagé dans les troupes du duc de Bavière. C'est pendant l'hiver de cette année que, réduit à • l'inaction par la rigueur du froid, il s'enferma dans un poêle. Alors se produisit en lui la crise morale dont nous avons parlé, cette crise qui devait fixer sa vie et avoir tant d'influence sur les destinées de la philosophie moderne.

Descartes était sorti du collège instruit et chrétien; du reste, l'esprit travaillé d'une multitude de doutes. Une seule étude lui avait donné pleine satisfaction, à cause de la certitude qu'elle comporte, l'étude des mathématiques. Dans les années qui suivirent, ces germes se développèrent. On peut dire en un mot que Descartes devint peu à peu sceptique et grand mathématicien. Il est probable que, comme tous les honnêtes gens de son temps, il lut beaucoup Montaigne, mais il ne put jamais parvenir à trouver que le scepticisme fût un doux et mol oreiller pour une tête bien faite. Il eut des moments de découragement, et même de désespoir. Les mathématiques le soutinrent en présentant à son esprit une suite infinie de vérités inébranlables, dans la connaissance desquelles il avançait sans cesse avec une aisance et une rapidité merveilleuses. Il en était là, quand il entra dans son poêle à la fin de 1619.

Son âme, échauffée par une méditation intense, s'éleva au dernier degré de l'exaltation, sans rien faire perdre à son esprit de son admirable lucidité. Il s'attacha d'abord au doute. Il aperçut clairement que le doute se détruit luimême, puisque la pensée qui doute est sûre de son existence dans le temps même qu'elle doute, de sorte que l'affirmation je pense, donc je suis est absolument hors des atteintes du scepticisme. Il vit ensuite que la méthode, qui assure aux mathématiques une certitude incontestée, pouvait être portée à un degré de généralité qui permettrait de l'appliquer partout, sans lui rien faire perdre de ses avantages. Il fut dès lors convaincu qu'à la différence du philosophe ancien, il était en possession non seulement du levier, mais du point d'appui qui permettront de soulever le monde. De ce moment sa vie fut fixée. Une nuit, il vit en songe un volume d'Ausone ouvert sur sa table, et il y lut ces quelques mots : Quod vitæ sectabor iter. La route était ouverte devant lui. Nous savons où elle le devait conduire.

Il serait fort étrange que, chez un croyant tel que Descartes, une crise comme celle-ci eût été complètement destituée de tout caractère religieux. Aussi savons-nous qu'il n'en fut pas de la sorte. Une des causes qui plus tard conduisirent Descartes en Italie fut le désir d'aller en pèlerinage à -Notre-Dame de Lorette, pour accomplir un vœu qu'il avait fait dans les jours solennels de sa vie dont nous nous occupons maintenant. Toutefois il importe de ne rien exagérer. Sans doute on ne peut se défendre de rapprocher cette nuit du 10 novembre 1619, nuit décisive passée par Descartes dans son poêle de Bavière, à la nuit du 23 novembre 1654 dans laquelle la vie morale de Pascal se trouva transformée, et dont la fameuse amulette nous a conservé le souvenir. Mais les résultats furent bien différents. Après s'être écrié :

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