Page images
PDF
EPUB

RÉSUMÉ DE LA PHILOSOPHIE
DE DESCARTES

La philosophie cartésienne est une philosophie complète, c'est-à-dire une philosophie qui a la prétention de fournir des principes à l'aide desquels on peut résoudre toutes les questions que l'esprit humain se pose légitimement.

Nous laissons maintenant de côté la méthode que nous examinerons plus tard à propos du Discours de la méthode. Cela posé, la philosophie cartésienne se divise en trois parties la métaphysique ou science des premiers principes, la physique ou science du monde, et la science de l'homme. Nous devons examiner ces trois parties successi

vement.

METAPHYSIQUE

Toute métaphysique a la prétention d'être générale. En réalité, une métaphysique, quelle qu'elle soit, a pour objet de résoudre le problème particulier que s'est posé le philosophe qui l'institue. La métaphysique de Platon explique comment l'unité, qui est un besoin de la pensée, se concilie avec la diversité, qui est un fait constamment observé dans la nature : la métaphysique de Kant explique dans quelle mesure la connaissance humaine, la science peut être légitime. La métaphysique cartésienne s'attache au problème de la certitude.

Descartes part du doute sincèrement, sérieusement, et non par hypothèse, comme le feront plus tard ses disciples, Malebranche ou Fénelon. Mais au lieu de prendre son parti du doute, ou même de s'y complaire, comme Protagoras ou comme Montaigne, il considère le doute comme un

fait qu'il soumet à une rigoureuse analyse. Ce qu'il considère, ce n'est donc pas le doute, mais son doute. Or, son doute n'est, après tout, qu'un mode de sa pensée. Mais tout mode de sa pensée, le doute comme tout autre, suppose sa propre existence. Son doute suppose donc sa pensée, et sa pensée suppose sa propre existence. Le sceptique le plus déterminé est donc forcé de dire: Je doute, donc je pense; je pense, donc je suis. Quand le sophiste grec disait que l'homme est la mesure de toute chose, il convenait luimême que toute chose a une mesure, et que cette mesure est l'homme. Il est vrai que cette mesure même varie d'un individu à l'autre Pierre n'est pas Paul. Mais peu importe ici. Je ne sais pas, disait Descartes, s'il existe d'autres hommes que moi; mais, quand j'existerais seul, à tout le moins suis-je sûr absolument d'exister.

Il y a donc au moins une vérité qui défie tous les efforts du doute, c'est l'existence certaine de celui qui doute, dans le temps même qu'il doute.

Maintenant, poursuit Descartes, quand je m'examine moi-même par la conscience ou par la réflexion, je trouve en moi une foule d'idées qui me paraissent être des représentations de choses différentes de moi-même. Ces idées, en tant que représentations, sont peut-être de pures chimères; mais, en tant que modes de ma propre pensée, elles sont toutes aussi certaines que ma pensée même, ou, si l'on veut, que mon propre doute. Le problème qui se pose maintenant est donc celui-ci : Mes idées, qui sont certaines, en tant que modes de ma propre pensée, sont-elles des représentations vraies de quelque réalité différente de moimême?

J'ai l'idée de la feuille de papier sur laquelle j'écris. Cette feuille de papier me paraît blanche, et j'ai l'idée de cette blancheur. Peut-être ces deux idées ne sont-elles rien que

des modes de ma propre pensée. Peut-être ne correspondent-elles à rien d'existant en dehors de moi-même. Mais au point de vue qu'on appelle dans l'école le point de vue formel, ces deux idées me semblent fort différentes : l'idée de la feuille de papier est celle d'un objet; l'idée de la blancheur est celle d'une qualité, qui n'est rien en dehors de l'objet qui la possède, de l'objet auquel elle est attachée. Mais peut-être que tout cela est une pure illusion. Il me semble que je suis par rapport à mes idées tout justement ce qu'est la feuille de papier pár rapport à la blancheur. Il est possible que j'aie, sans m'en apercevoir, donné à la feuille de papier une existence comparable à la mienne. Je ne puis tirer de ces considérations aucune conclusion certaine.

Je trouve en moi l'idée de Dieu, c'est-à-dire d'un être infiniment parfait. Cette idée diffère beaucoup non seulement de toute idée de qualité, mais encore de toute idée de substance ou d'objet. Dieu me paraît être non pas seulement une chose, mais une chose qui est par soi, c'està-dire une chose qui possède en soi la raison de sa propré existence. Maintenant, puis-je croire que j'ai formé l'idée de Dieu sur le modèle de l'idée que j'ai de moi-même, comme je l'ai supposé tout à l'heure pour l'idée d'une feuille de papier? Nullement. Dieu est infini, et je suis fini; Dieu est infiniment parfait, et je suis imparfait. L'idée dé Dieu ne peut donc être en moi, que si elle y a été mise par une cause infiniment parfaite. Cette cause, c'est Dieu lui

même.

Que si nous reprenons les choses d'une autre manière, nous arrivons à la même conclusion.

[ocr errors]

Par ma conscience je me saisis moi-même dans un moment particulier du temps. Mais comment se fait-il que je suis? Est-ce parce que j'ai déjà existé? Mais quelle est

mon origine? Ou bien je suis par moi-même, mais c'est impossible, car je suis imparfait; ou bien je suis par quelque autre chose, et cette autre chose, qui est par soi, ne peut être que Dieu lui-même.

Jusqu'ici j'ai pris pour point de départ de mon raisonnement un fait observé en moi. Ne puis-je me placer, en dehors du monde des phénomènes, et, pour ainsi dire, dans le domaine de la pensée pure? Dans toute démonstration, les mathématiciens partent d'une définition. Toute conséquence rigoureusement déduite d'une définition leur paraît rigoureusement démontrée. Ne pouvons-nous pas suivre ici la même méthode? Par définition Dieu est l'être absolument parfait. De cette définition on peut déduire évidemment que Dieu existe, car il est plus parfait d'être que de ne pas être. Dieu existe donc. C'est une conséquence de sa définition.

Il importe en tout cela de bien observer la marche que suit la métaphysique cartésienne. Le point de départ est l'existence du moi donnée par la conscience, si l'on veut, dans le phénomène même du doute. Mais l'existence du moi, qui est certaine, est inintelligible sans une autre existence que celle du moi. Cette autre existence est celle d'un être infiniment parfait, c'est l'existence de Dieu.

Revenons maintenant au problème primitif, au problème de la certitude. Nous sommes en possession de vérités certaines quel est leur caractère? C'est l'évidence. L'évidence est donc la marque à laquelle la certitude se reconnaît. Mais, puisque nous connaissons cette marque et puisqu'elle ne peut nous tromper, comment peut-il arriver qu'en fait nous nous trompions si souvent? Le problème de l'erreur forme une sorte de complément indispensable du problème de la certitude.

L'erreur ne se rencontre que dans nos jugements; c'est

donc la nature du jugement que nous devons examiner, si nous voulons découvrir la cause de l'erreur. Or le jugement n'est pas un fait purement intellectuel; c'est un acte. Il renferme donc nécessairement en lui-même un élément volontaire. La volonté est libre. Nous sommes donc libres de juger ou de ne juger pas. Si nous savons suspendre notre jugement jusqu'à ce que l'évidence soit faite, nous ne nous tromperons jamais. L'erreur n'a donc qu'une cause, la précipitation du jugement, qui n'est au fond qu'un mauvais usage de la volonté. Nous serions mal venus à nous plaindre de nos erreurs. Nous pouvons prendre nos mesures pour ne jamais nous tromper.

Il ne nous reste plus à examiner qu'un seul point pour terminer le résumé de la métaphysique proprement dite, c'est la question de l'existence du monde extérieur. Les difficultés que les philosophes ont rencontrées dans l'étude de ce problème viennent de ce qu'ils se sont toujours laissé tromper par une équivoque. Quand on demande si le monde extérieur existe, de quel monde veut-on parler? Il y a deux mondes: le monde de la sensation, qui est aussi le monde de l'apparence, et le monde de la raison, qui est celui de la science; dans le premier, le soleil est un disque d'un demi-pied de diamètre; dans le second, le soleil est un globe plusieurs millions de fois plus gros que la terre. Maintenant, quand on demande si le soleil existe, prétendon demander s'il existe dans l'espace un disque lumineux d'un demi-pied de diamètre, ou bien s'il existe à une immense distance de nous un globe enflammé plusieurs millions de fois plus gros que notre terre? Pourquoi tant d'esprits pénétrants, et même tant d'esprits supérieurs, ont-ils mis en doute l'existence du monde? c'est qu'ils ont eu en vue un ensemble d'apparences absolument contradictoires entre elles. L'oeuvre de la science consiste à substituer à

« PreviousContinue »