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INTRODUCTION

DE LA PREMIÈRE MÉDITATION

Nous avons vu que pour Descartes la première des questions philosophiques est la question de la certitude. Le scepticisme a été la grande tentation de sa vie. Aussi paraît-il toujours beaucoup moins préoccupé de découvrir des vérités nouvelles que de fortifier contre toute attaque un petit nombre de vérités anciennes, mais essentielles.

Les Méditations ayant pour objet d'exposer la métaphysique cartésienne, il n'est pas surprenant que la première Méditation soit consacrée à établir un scepticisme absolu qui doit être définitivement détruit dans la seconde. La première Méditation ne contient donc aucune discussion: c'est une pure et simple exposition des raisons les plus fortes que Descartes ait su trouver en faveur du scepticisme. La conclusion de cette première Méditation est donc le doute; non pas certes le doute définitif et joyeusement accepté d'un Montaigne, par exemple : c'est, si l'on veut, un doute provisoire, méthodique, mais sérieux et sincère. Si la première Méditation n'était qu'un jeu, la seconde, qui débute par le cogito, ergo sum, perdrait toute sa valeur.

Nous n'avons pas à donner ici le plan de la première Méditation. C'est un morceau si court et d'une composition si simple, que le lecteur le moins expérimenté ne peut manquer de saisir sur-le-champ la suite et l'enchaînement

des idées. Quelques notes suffiront pour éclaircir certains points obscurs.

Nous nous bornons à donner comme renseignements préliminaires la Préface de Descartes et l'Abrégé, également de Descartes, des six Méditations. Toutes les indications désirables se trouvent dans ces deux morceaux, qui ont l'avantage considérable d'être de l'auteur luimême.

Il nous reste seulement à dire que les Méditations furent écrites en latin par Descartes, et publiées pour la première fois en 1641. Six ans après, il en parut une traduction française par M. le duc de Luynes, à laquelle Descartes fit quelques changements et additions, qui ne se trouvent pas dans le latin et que nous aurons soin de signaler. La traduction a donc rang d'original, et c'est pour cela que nous l'avons donnée au lieu du texte latin.

PRÉFACE

DES SIX MÉDITATIONS PAR DESCARTES

J'ai déjà touché ces deux questions de Dieu et de l'âme humaine dans le Discours français que je mis en lumière en l'année 1637, touchant la méthode pour bien conduire sa raison et chercher la vérité dans les sciences; non pas à dessein d'en traiter alors à fond, mais seulement comme en passant, afin d'apprendre par le jugement qu'on en ferait de quelle sorte j'en devrais traiter par après car elles m'ont toujours semblé être d'une telle importance, que je jugeais qu'il était à propos d'en parler plus d'une fois; et le chemin que je tiens pour les expliquer est si peu battu, et si éloigné de la route ordinaire, que je n'ai pas cru qu'il fût utile de le montrer en français, et dans un discours qui pût être lu de tout le monde, de peur que les faibles esprits ne crussent qu'il leur fût permis de tenter cette voie.

Or, ayant prié dans ce Discours de la Méthode tous ceux qui auraient trouvé dans mes écrits quelque chose digne de censure de me faire la faveur de m'en avertir, on ne m'a rien objecté de remarquable que deux choses sur ce que j'avais dit touchant ces deux questions, auxquelles je veux répondre ici en peu de mots, avant que d'entreprendre leur explication plus exacte.

La première est qu'il ne s'ensuit pas de ce que l'esprit humain, faisant réflexion sur soi-même, ne se con

naît être autre chose qu'une chose qui pense, que sa nature ou son essence ne soit seulement que de penser; en telle sorte que ce mot seulement exclue toutes les autres choses qu'on pourrait peut-être aussi dire appartenir à la nature de l'âme.

A laquelle objection je réponds que ce n'a point aussi été en ce lieu-là mon intention de les exclure selon l'ordre de la vérité de la chose (de laquelle je ne traitais pas alors), mais seulement selon l'ordre de ma pensée; si bien que mon sens était que je ne connaissais rien que je susse appartenir à mon essence, sinon que j'étais une chose qui pense, ou une chose qui a en soi la faculté de penser. Or je ferai voir ci-après comment, de ce que je ne connais rien autre chose qui appartienne à mon essence, il s'ensuit qu'il n'y a aussi rien autre chose qui en effet lui appartienne.

La seconde est qu'il ne s'ensuit pas de ce que j'ai en moi l'idée d'une chose plus parfaite que je ne suis, que cette idée soit plus parfaite que moi, et beaucoup moins, que ce qui est représenté par cette idée existe.

Mais je réponds que dans ce mot d'idée il y a ici de l'équivoque car ou il peut être pris matériellement pour une opération de mon entendement, et en ce sens on ne peut pas dire qu'elle soit plus parfaite que moi; ou il peut être pris objectivement pour la chose qui est représentée par cette opération, laquelle, quoiqu'on ne suppose point qu'elle existe hors de mon entendement, peut néanmoins être plus parfaite que moi, à raison de son essence. Or, dans la suite de ce traité, je ferai voir plus amplement comment, de cela seulement que j'ai en moi l'idée d'une chose plus parfaite que moi, il s'ensuit que cette chose existe véritablement.

De plus, j'ai vu aussi deux autres écrits assez amples

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