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avec lui à Nantes pendant quelques jours (V. était alors à sa maison de campagne, à Blain) termine ainsi sa lettre « Comme vous n'aurez point de ménage en ville, je vous offre ma table de bon cœur 1. » Par ce qui a précédé, on comprend que ce n'était pas là une politesse banale, et l'on verra plus loin, à l'honneur du Commerce nantais, que ses politesses n'étaient pas dictées seulement par l'intérêt, mais aussi par une estime respectueuse et une véritable affection, - - d'où il résultait que V. jouissait d'une grande influence sur la place de Nantes. En 1740, Begueret, avocat à Rennes, qui connaissait cette influence, lui adresse une lettre toute complimenteuse: il a appris ses vertus et ses talents, il regrette de ne pas le connaître personnellement 2. Begueret désirait avoir la clientèle du commerce nantais. En 1742, le sieur Poullarec remercie chaleureusement V. de tous ses généreux bienfaits 3.- En 1743 un chirurgien de Châtillon-sur-Loing, nommé Bourdelot, <jeune homme qui n'a aucune connaissance pour aller sur mer » et le désire pourtant avec ardeur, s'adresse à V. « quoique n'ayant pas l'honneur d'être connu de lui» et le prie de lui chercher une place sur quelque navire 1. » Nous ignorons si V. consentit à faire de ce jeune homme pressé quelque Sangrado au long cours. En 1744, à l'occasion du nouvel an, M. Degland, procureur du commerce nantais à Rennes, annonce à V. qu'il vient de lui adresser quatre poulardes 5.

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V. justifiait amplement la part d'influence dont il jouissait, par les services qu'il rendait au commerce nantais et les nombreuses recherches auxquelles il se livrait dans le but d'éclaircir, pour la plus grande commodité des commerçants de tout pays, les questions de balance commerciale, de change, de monnaies, d'assurances et surtout de règlements d'avaries. Vingt-sept ans

1. Idem, lettres reçues, 1738, no 12.
2. Idem, lettres reçues, 1740, no 18.
3. Ibidem, lettre non classée.
4. Ibidem, lettre non classée.

5. Ibidem, lettres reçues, 1741.

après sa mort, on se servait encore d'un mémoire qu'il avait dressé en août 1740, contre un projet de droit unique ou tarif général de douanes 1; tant son argumentation était serrée, son style concis! Il a laissé, entre autres écrits intéressants, les brouillons d'une méthode « pour parvenir à faire la balance » de l'importation et de l'exportation 2; du « projet d'un nouveau livre » sur les changes étrangers 3, qui parut en 1729 1; long travail intitulé: « Remarques commencées en 1738 et reprises en 1740, sur le livre intitulé Réflexions politiques sur les finances et le commerce, composé par M. Dutot en 1736 et imprimé en 1738 . » En post-scriptum V. dit comment il fut amené à rédiger ces remarques et donne une table des matières sommaire de son mémoire :

un

« M. le président de Boisbilly m'ayant demandé des notions nettes et claires sur les changes étrangers, au moyen desquelles il pût bien entrer dans tout ce qu'en dit M. Locke dans un livre anglais qu'il traduisait actuellement en français, j'ai composé pour lui le présent ouvrage, où il pourra voir : 1o La véritable définition du change étranger. 2° Ce que c'est que le pair réel, etc. »« 3o Les véritables définitions du commerce de France et du commerce étranger. 4° Quel est le cours du change qui favorisa notre commerce et quel est celui qui le ruina. 5° Ce que c'est que la balance du commerce. 6o Les faux raisonnements du sieur Dutot sur ces cinq objets de ses spéculations. 7o Les variations continuelles de sentiment de nos membres du conseil, qui ont été les motifs apparents de toutes les variations d'espèces arrivées en France depuis un siècle. »

Le travail de V. n'est pas exempt de quelques exagérations ou erreurs, conséquences de certains préjugés économiques de son époque; par exemple, à la fin de ses observations, il prétend que

1. Ibidem, liasse n° 24, dossier no 3.

2. Ubi supra, liasse no 29.

3. Idem, liasse no 31, dossier no 3.

4. Chez Verger, à Nantes, 1 in-18. Voir l'article de Bizeul, déjà cité.

5. Ubi supra, liasse n° 31, dossier no 3.

les importations de toiles blanches de coton et d'étoffes faites par la Compagnie des Indes, ont pour effet « d'épuiser la France d'argent. Mais il semble avoir du change une idée plus nette que Dutot, lorsque à la définition donnée par l'économiste : « Le change n'est qu'une compensation de valeur d'un pair à un autre, il propose de substituer celle-ci : « Le change étranger est l'accomplissement d'une convention par laquelle un négociant, par compensation d'une somme qu'il a reçue, fait toucher dans un pays étranger une autre somme égale ou plus ou moins forte que celle qu'il a reçue. » — Plus loin il blâme vivement Dutot d'avoir adopté la « fausse tradition » d'après laquelle << la rixdale, la piastre et l'ancien louis d'argent contiennent chacun en soi la même quantité d'argent fin. » Dutot avait écrit : «< Personne n'a encore traité du pair réel. » Si, riposte V., M. Dutot << voulait rendre justice aux excellents ouvrages tant de M. Boizard que de M. Le Blanc, il dirait qu'aucun auteur n'a traité du pair réel avec plus de netteté et de solidité..., lorsqu'ils ont calculé quelle serait en 1689 la valeur de quelques anciennes espèces d'or et d'argent. » - Mais le mot le plus remarquable de V. est cette réflexion (à propos du change au pair): « Une chose qui dépend de la volonté de plusieurs hommes libres dans leurs opérations peut-elle être assujettie à des règles? > On sent, du reste, d'un bout à l'autre de son travail, que selon lui Dutot raisonne trop en « savant politique, » comme il le dit ironiquement, qu'il le trouve trop théoricien. Voici comme un juge autorisé, l'historien du commerce français, M. H. Pigeonneau, à qui nous avions communiqué le mémoire de V., résumait 2 l'impression que lui avait laissée la lecture de ce travail : « Il est intéressant, bien qu'un peu spécial, par son caractère

1. V. serait aujourd'hui au nombre des esprits indépendants pour lesquels la plupart des économistes ont été jusqu'à présent trop spéculatifs et un peu bien absolus, et il formulerait volontiers son avis, sur leurs théories divergentes, à peu près en ces termes : prohibition, protection, libre-échange, question de temps et de lieu.

2. Au mois de mars dernier, en nous retournant notre copie de ce mémoire.

pratique, qui contraste avec les théories des arithméticiens politiques. >>

V. estimait les données de l'expérience, de la statistique et de l'histoire commerciales autant qu'il dédaignait les théories exclusives. Archiviste-bibliothécaire intelligent, il avait classé avec soin la correspondance et tous les papiers divers de la représentation commerciale de Nantes; il y avait joint le plus grand nombre possible d'arrêts, édits, déclarations et règlements relatifs au commerce; il avait acheté, en partie de ses propres deniers, de nombreux ouvrages concernant le négoce; plusieurs bouquins poudreux portent sur leur premier feuillet sa signature autographe, large et bien dessinée, signature d'un homme fait, à l'esprit net et au caractère ferme. Il s'assimilait par une analyse critique tout le meilleur des renseignements fournis par ces livres et ces papiers, se tenait au courant des modifications qui se produisaient dans la législation et les habitudes commerciales, acquérait surtout une connaissance approfondie des questions d'avaries et d'assurances maritimes. C'est ainsi qu'il put composer un travail << d'observations sur un mémoire dressé en 1716 par feu M. Claude Thiercelin concernant l'ordonnance de la marine du mois d'août 1681, dédié et envoyé en 1717 à Nossgrs. du Conseil royal de la marine, et rédiger une « explication et application d'un article de l'ordonnance de la marine, relatif aux contrats à la grosse 2. >

En 1740, le sieur Jacques Le Clerc, de la Rochelle, écrit le 29 mars au Nantais Pierre Belloc: «... Nos négociants et la chambre de commerce de cette ville me sollicitent de vouloir me charger du règlement général des avaries qui surviennent aux vaisseaux pendant leurs voyages..., ce que je n'ai pas encore voulu faire sans savoir, au préalable, » par qui, à quelles conditions et comment sont réglées à Nantes ces affaires-là. « La navigation augmente considérablement dans cette ville, ce qui occa

1. Chambre de commerce de Nantes, liasse A, dossier no 1.

2. Idem, liasse n° 18, dossier n° 4.

sionne plus d'avaries, et personne ne veut plus les régler. On connaît la nécessité qu'il y a d'avoir une personne qui veuille s'en charger 1. » Le Clerc ne tarda pas à recevoir une longue lettre explicative de V. lui-même : Vers le commencement de ce siècle et jusqu'en 1719, dit l'écrivain, M. Gellée, de l'amirauté de Nantes, puis MM. Thiercelin et Robin, négociants, consentaient à régler les questions d'avaries, sans en retirer de profit aucun. «En 1719, M. Thiercelin voulant travailler à certain règlement des avaries du navire d'un négociant dont je tenais les livres, ce négociant m'envoya lui aider à en faire les nombreux calculs. La manière dont j'exécutai ce travail fit concevoir à M. Thiercelin l'idée de me proposer de dresser à l'avenir tous ces règlements. » Lui et MM. Robin et Gellée « me dirent qu'en ajoutant au montant de l'avarie une somme modique pour mes honoraires, je tirerais une utilité réelle d'un travail qui leur était fort à charge et dont ils seraient charmés de se décharger sur moi; que pour y réussir avec applaudissement je devais beaucoup étudier l'ordonnance de la marine et les us et coutumes de la mer, et qu'enfin ils me donneraient les minutes qu'ils avaient gardées d'un grand nombre de ces règlements et y ajouteraient dans toutes les occasions tous les éclaircissements qui me seraient nécessaires. »

<... J'ai toujours observé d'ajouter à la perte principale une somme modique pour mes honoraires et cent fois on m'a reproché que je la mettais trop modique et jamais que j'eusse trop mis pour mes peines. » Je compte « à peu près 6 1. par chaque jour de travail. »

Je n'ai pas le monopole de ces règlements; quelques personnes ont continué à en faire, depuis que je m'en occupe 2.

Mais la presque totalité des avaries étaient réglées à Nantes par V., au jugement duquel on n'hésitait pas à s'en remettre d'avance (par acte dûment signé des intéressés) et c'était lui que

1. Ubi supra, liasse B, dossier no 3.

2. lbid.

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