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a juré ma perte. Pour parvenir à ce but il a débité mille calomnies » à M. Brissard. M. Orry a voulu savoir de M. de Viarme << s'il était vrai qu'au moyen d'une immense collection que j'avais faite d'édits, déclarations et arrêts, je ne travaillais jour et nuit qu'à imaginer les moyens d'anéantir tous les droits du roi. Il m'est revenu du bureau des fermes, que le directeur, que je ne crois pas trop de mes amis, m'avait cependant rendu justice et que la calomnie n'eut alors aucun effet.

» Ce coup manqué a davantage irrité M. Desrochettes. Il s'est porté délateur contre moi dans une sorte de placet qu'il a fait présenter depuis quelques jours à M. le Contrôleur général. Il lui a exposé que les juge et consuls de Nantes se sont arrogé de leur propre autorité le droit de lever 4 s. pour livre de toutes les marchandises qui arrivent à Nantes, ce qui peut monter chaque année à une somme de 10,000 1.; qu'ils emploient cet argent

à

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payer les appointements du nommé Vigneu, leur secrétaire, et le surplus à frayer à une infinité de procès qu'ils intentent tous les jours à tort et à travers, sans droit et sans raison, par les pernicieux conseils de cet homme; que tout le monde crie contre cette nouveauté, mais sans oser s'en plaindre, les uns dans la crainte du ressentiment des consuls; les autres dans l'espérance d'en profiter à leur tour lorsqu'ils seront consuls; que pour constater la vérité de ce fait il n'y a qu'à tomber tout d'un coup chez moi et qu'infailliblement mes papiers donneront toutes les conaissances dont on aura besoin à ce sujet, mais qu'il faut tenir la chose très secrète jusqu'au moment de l'exécution.

» M. du Rocher fit hier chez moi cette descente à l'improviste. Il me fit lecture du tout; et moi, sur-le-champ, j'envoyais chercher MM. les juge et consuls, ne pouvant répondre par moi-même comme étant au fait [au service] d'autrui. Ils... firent voir à M. du Rocher des résultats d'assemblées signés de plusieurs centaines 1 de négociants qui se sont imposé eux-mêmes les droits

1. Ceci est hyperbolique la délibération qui porte le plus de signatures est celle du 10 septembre 1732, elle en porte 129, mais il faut dire que ce sont celles de tous les principaux négociants.

en question, (mais) dont la recette ne va qu'au tiers de ce qu'on avance que je reçois 1.

» Il est bon de remarquer que ce paiement est toujours libre, et qu'on payait d'abord sur toutes sortes de marchandises, mais à présent on ne paie plus que sur celles de l'Amérique 2. Plusieurs même se dispensent de payer sur ces dernières.

> ... Toutes les autres Chambres de commerce lèvent un pareil droit, à la différence qu'il est plus fort et que personne ne s'en peut exempter... Plus de la moitié [de la recette des Nouvelles avaries] a été employée dernièrement à faire une chaussée à Paimbœuf et à y placer, après l'agrément de Mgr le comte de Maurepas, quinze grosses ancres de fer pour y servir de corps morts à amarrer les vaisseaux qui ont perdu leurs câbles et ancres ou qui en ont besoin par quelque autre cause.

> De ma part, je crois bien mériter les modiques appointements qu'on me donne, par les services que je continue de rendre au commerce et même par ceux que, dans les occasions, vous savez que j'ai rendus à la Communauté.

...Vous savez que je n'ai pas les moyens de vivre sans recevoir ces appointements-là 3. »

Voici les passages saillants de la déclaration faite à du Rocher, le 20 mars, par les juge et consuls : « ... Au commencement de la quatrième année [du secrétariat de Vigneu], les mêmes négociants, plus contents de jour en jour des services généraux et particuliers que leur rendait le secrétaire du commerce, crurent

1. Vigneu exagère la modicité de la recette des « Nouvelles avaries » : elle varia de 3,600 à 5,000 1.

2. Exagéré. On paya jusqu'à la fin sur le tout (mais beaucoup s'en dispensaient). 3. Chambre de commerce de Nantes, liasse n° 27, dossier no 7. Vigneu avait d'abord écrit ces lignes, dans son brouillon : « Le sieur Thoret, ci-devant commis chez Mme Montaudouin, s'étant trouvé vendredi dernier à la subdélégation dans le moment que les lettres y furent apportées de la poste, fit en sorte de lire à l'insu du commis de M. du Rocher (qui n'est pas à Nantes) la copie de cette délation et de la lettre de M. l'Intendant... Sur-le-champ Thoret quitta le commis, et vint à la Bourse, où il rendit compte à M. Lory... actuellement consul, et à moi... » Mais après réflexion, Vigneu, prudemment, biffa ce passage d'où il résulte qu'il savait à l'avance la démarche qu'allait faire du Rocher.

qu'il convenait à leurs propres intérêts non seulement d'augmenter de quelque chose les appointements du sieur Vigneu, mais encore de lui payer un commis pour le soulager 1.

» Qu'à la vérité la communauté de Nantes, n'ayant pas voulu souffrir qu'ils achetassent une place et fissent bâtir un hôtel de la Bourse à leurs frais, leur avait fourni le tout sur le fonds des octrois, mais qu'il restait à pourvoir aux frais des affaires survenantes...

Vigneu réussit déjà si parfaitement à régler les assurances et les avaries, « que les assureurs hollandais, anglais et français se soumettent journellement aux nombreux règlements qu'il fait sur ces matières et paient tous, à la vue de sa signature, sans jamais y apporter la moindre contradiction ni retardement (chose incroyable, si l'expérience ne le faisait voir), les sommes considérables auxquelles il les condamne sans les entendre et sans aucune convention préalable de s'en rapporter à ses décisions. » Au moyen du commis qu'on lui a donné, il pourra «< continuer ses arbitrages et mettre d'autant plus tôt en lumière les commentaires qu'il promet sur l'ordonnance de la marine, et des instructions suffisantes pour qu'on puisse, après lui, faire ces sortes de règlements avec le même succès.

» C'est lui qui a formé le premier projet du règlement... sur le délestage, sans lequel le port de Paimbœuf n'aurait pas tardé à devenir inutile par le comblement de la rivière vers son embouchure.

» Il a continué et continue tous les jours à rendre ses services au Commerce ainsi qu'à la Communauté de Nantes, pour laquelle il a fait divers écrits d'avocat qui l'ont empêchée de succomber dans des procès que les maires et échevins de ces temps-là ont dit publiquement qu'ils auraient perdu sans son secours, parce qu'il

1. Il y a là une erreur : au commencement de la quatrième année, on accorda seulement à Vigneu 300 1. en sus pour un commis de son choix (Conventions et comptes, fo 5); en 1736, le 6 août, une nouvelle délibération lui accorda 2,000 1. au lieu de 1,500, et 500 1. pour son commis (Même registre).

s'agissait de droits de pancartes et de matières excédant les connaissances ordinaires des avocats. Leur reconnaissance ne se borna point là: ils sollicitèrent et obtinrent pour lui une récompense, et des exemptions, pour le reste de ses jours, de guet, garde et logement des gens de guerre.

> Feu M. le maréchal d'Estrées et M. l'Intendant envoyèrent à la ville ces exemptions et une ordonnance pour toucher une gratification plus honorable qu'importante.

Au surplus, le sieur Vigneu, qui a été pendant bien des années administrateur et trésorier de l'hôpital général de Nantes, tient un grand ordre dans la recette et les dépenses des deniers qui lui sont confiés.

> Les juge et consuls représentent aussi que c'est au moyen des écrits de Vigneu que le commerce nantais a gagné ses procès contre les gabarriers, les arrimeurs, les portefaix, et les fermiers du droit de minage 1. »

Le lendemain du jour auquel les négociants lui avaient fait cette déclaration, du Rocher représentait à l'intendant que, bien loin de faire lever par Vigneu un droit de 4 s. pour livre, les commerçants nantais s'étaient librement imposé des droits facultatifs dans la proportion de

2 sols par millier pesant de sucre brut,

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Et le subdélégué rappelait à M. de Viarme tout ce qui s'était passé entre les commerçants et Vigneu à propos de cette imposition utile, cherchant à prouver qu'elle n'était pas tant illégale qu'on avait voulu le faire croire 2.

1. Chambre de commerce de Nantes, ubi supra.

2. Archives de la Loire-Inférieure, C. 395 (liasse), lettres du subdélégué à l'intendant et de ce dernier au contrôleur général des finances. Ces commerçants, disent le subdélégué et l'intendant, « se sont crus suffisamment autorisés à faire cette modique levée sur eux-mêmes par l'édit de novembre 1566, qui permet à ceux de Rouen de faire levée de deniers tant pour l'achat d'une place et lieu de juridiction que pour autres affaires survenantes,

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et

Sentant toutefois la nécessité de ménager la susceptibilité d'un pouvoir central jaloux de son autorité, ombrageux en présence des moindres tentatives d'indépendance, du Rocher, un mois plus tard, écrivait à son chef:

Il est nécessaire, je crois, que le commerce nantais soit régulièrement autorisé à lever la taxe qu'il s'est imposée. Comment faire pour l'obtenir?« Il serait tout simple que les négociants demandassent une Chambre de commerce. » L'autorisation de lever une taxe suivrait tout naturellement l'établissement de cette Chambre. « Cet établissement leur serait d'autant plus facilement accordé » qu'il leur a été promis en 1701 << et qu'ils ont, dans l'hôtel de la Bourse, toutes les commodités qu'ils peuvent souhaiter pour l'y tenir avec décence; mais c'est là précisément ce qu'ils appréhendent, quoiqu'ils l'aient demandé en 1725, parce que l'établissement d'une Chambre les mettrait dans la nécessité de vous communiquer leurs délibérations et qu'ils ne pourraient adresser directement leurs mémoires au ministre. Vous savez, Monseigneur, combien ils sont, sur cela, jaloux de leur liberté... Comme vous venez à Nantes, si... vous avez assez de bonté pour eux pour chercher à leur rendre service, vous serez à lieu, dans les entretiens que vous aurez avec eux, de leur faire entendre quels sont leurs véritables intérêts... après quoi ils ne pourront s'en prendre qu'à eux s'ils n'obtiennent pas ce qu'ils désirent 1. »

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En cette occasion comme en tant d'autres, l'intendant prit fait et cause pour ses administrés. Sa lettre à Orry, contrôleur général des finances, est presque la reproduction mot à mot de celle que lui avait écrite son subdélégué, en date du 21 mars, et, pour terminer, le résumé de sa dépêche du 23 avril. Il conclut

par l'article 1er du titre XII de l'ordonnance du mois de mars 1673, servant de règlement pour le commerce, lequel déclare commun pour tous les sièges des juge et consuls l'édit de leur établissement à Paris et tous autres édits et déclarations touchant la juridiction consulaire. »

1. Chambre de commerce de Nantes, ubi supra; lettre du 23 avril.

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