Page images
PDF
EPUB

quatre villes sur le fonds des lanternes, après avoir subi les réductions dont nous avons parlé, était devenue complètement insuffisante pour couvrir les frais d'éclairage. Elle n'était, d'ailleurs, payée que très irrégulièrement par le Domaine. Aussi la ville de Rennes, à qui la présence du Parlement et de fréquentes tenues d'États imposent de plus lourds sacrifices qu'à toute autre communauté, est la seule qui reste éclairée la nuit, au moins pendant les saisons où les nuits sont longues. Dès l'année 1701, la communauté de Brest obtient du Conseil d'État l'autorisation de consacrer à la construction de ses casernes la rente destinée à son éclairage (1). Les villes de Nantes et de Saint-Malo réduisent leurs dépenses d'éclairage à chaque réduction que subit la rente qui leur est assignée sur le fonds des lanternes. A Nantes, l'éclairage devient si maigre que les gens riches forcés de circuler la nuit dans les rues, reprennent l'antique usage de se faire accompagner par des valets avec des flambeaux (2). A Saint-Malo, l'illumination reste suspendue pendant douze ans, parce que le miseur ne parvient pas à obtenir du Domaine le payement de la rente affecté à ce service (3).

Cependant les officiers en garnison dans la province se plaignent des désordres qu'entraîne l'insuffisance ou le défaut d'éclairage. Devant les communautés se présente le sieur Tourtille-Sangrain, entrepreneur hardi qui a transformé le mode d'éclairage de la ville de Paris. Aux lanternes et aux chandelles il a substitué des réverbères à deux et à trois becs, dont l'huile ne coûte pas plus que les antiques chandelles et donne beaucoup plus de lumière. Déjà la plupart des grandes villes du royaume ont adopté son système et se félicitent de ce changement. L'intendant Caze de la Bove recommande chaudement les propositions de Tourtille-Sangrain aux communautés de son département. Dès l'année 1776, celle de Rennes conclut un traité avec lui et rem

(1) Arch. d'Ille-et-Vilaine, C. 586. - (3) Arch. d'Ille-et-Vilaine, C. 445.

(2) Arch. de Nantes, BB. 74, fo 155 r.

place ses 144 lanternes par 196 réverbères pourvus de 462 becs (1). Celle de Nantes entre aussitôt dans la même voie (2). Elle décide même en 1785 que son illumination durera 8 mois au lieu de 6, « c'est-à-dire que l'allumage commencera le 1er du mois de septembre de chaque année et finira à la fin du mois d'avril de l'année suivante, parce que, dans le cours des derniers mois, il y a des nuits très longues et très obscures, qui obligent plusieurs habitants de rentrer chez eux dès la chute jour, pour ne pas s'exposer à être attaqués ou insultés (3). » L'illumination de Nantes comprend 316 lanternes et 725 becs (4).

La communauté de Brest, dont les finances sont particulièrement obérées, n'ose tout d'abord traiter avec Sangrain. Elle fait appel à la générosité des corporations religieuses et des habitants aisés et en obtient 36 réverbères, dont elle prend l'entretien à sa charge (5). Mais ces réverbères sont lourds, incommodes, mal construits. La ville est forcée de recourir au ministère de Sangrain, qui lui fournit 189 réverbères avec 466 becs (6). La communauté de Saint-Malo se laisse séduire à son tour, non sans résistance (7). Morlaix, en 1783, demande 62 réverbères avec 156 becs (8). Bientôt toutes les villes de la province établissent des réverbères sous leurs halles, sur leurs quais et leurs places publiques. Pendant les trois années qui précèdent la Révolution, il n'est pas de communauté si humble qui n'établisse, pendant les longues nuits d'hiver, une illumination rudimentaire. Celles mêmes qui ont des phares à entretenir en confient l'éclairage à Sangrain, qui se charge ainsi du phare du cap Fréhel pour la communauté de Saint-Malo (9), et du phare de l'île de Batz pour la communauté de Morlaix (10).

En résumant les travaux accomplis par les villes de Bretagne

[merged small][ocr errors][merged small][merged small][ocr errors]

au XVIIIe siècle, nous trouvons d'abord des mesures d'assainissement qui ont pour but de détruire les foyers d'infection, causes de tant d'épidémies avant la Révolution; des efforts énergiques pour amener dans les rues des eaux potables, pour prévenir et combattre les incendies; des travaux d'embellissement, tels que l'élargissement des rues, .le rétablissement des pavés et des banlieues, la construction des places, des promenades, de nombreux édifices et monuments publics, l'amélioration des ports, des quais et des canaux. A ces transformations matérielles il faut ajouter les précautions prises pour assurer l'ordre intérieur, pour organiser la police municipale, surveiller les métiers, les marchés, empêcher les monopoles; enfin l'établissement de l'illumination publique. Il y a là une série de progrès évidents accomplis par les communautés tantôt spontanément, tantôt grâce à l'initiative intelligente et vigoureuse des intendants, progrès d'autant plus remarquables que toutes les villes étaient entravées dans leurs efforts par la détresse de leurs finances.

(A suivre).

MÉMOIRES

DE

GUILLAUME-MARIE ANGENARD

(1790-1833)

Publiés par D. DELAUNAY

SON ARRIÈRE-NEVEU

Les histoires les plus fidèles, dit Descartes, si elles ne changent ni n'augmentent la valeur des choses pour les rendre plus dignes d'être lues, en omettent au moins presque toujours les plus basses et moins illustres circonstances, d'où vient que le reste ne paraît pas tel qu'il est. » L'histoire, avec le caractère éminemment scientifique qu'elle a pris au XIXe siècle, échappe de plus en plus à cette critique du grand philosophe. On a compris de nos jours que, pour donner une notion juste d'une époque, il ne suffisait pas de mettre en pleine lumière les personnages qui ont joué les premiers rôles sur la scène du monde. On n'a rien négligé pour ressaisir à la fois les détails de la vie quotidienne et familière, qui forment comme le milieu matériel, et les personnages secondaires ou même insignifiants, qui forment comme le milieu intellectuel et moral duquel les grandes figures se détachent tout en y tenant par des points nombreux. C'est un document de ce genre qui nous est fourni par les Mémoires du brave marin Angenard.

Tandis

que nos armées de terre soutenaient sur tous les champs

de bataille de l'Europe cette lutte dont la grandeur suffit pour recommander à l'attention tous ceux qui y ont été mêlés, fussent-ils à un rang subalterne comme le capitaine Coignet, l'état de notre marine réduite à l'impuissance par des désastres irréparables ne permettait plus que des équipées héroïques, sans portée, sinon sans gloire. Irriter l'Angleterre en la bravant sur cet empire des mers où elle n'avait plus de rival à craindre, inquiéter son commerce par les pertes qu'on lui faisait subir, détourner d'un autre emploi une partie de ses forces en l'obligeant à maintenir sur toutes les routes maritimes une police sans cesse déjouée par nos rôdeurs, enfin établir au prix de mille dangers quelques communications entre la France et les débris de ses colonies, là devait se borner l'ambition de nos corsaires à l'époque de la Révolution et de l'Empire. Sans doute, leur rôle semble bien modeste quand on le compare à celui de leurs frères des armées de terre. Cependant il n'est pas sans intérêt de constater en lisant les campagnes de Surcouf, ou même d'un personnage de moindre importance, comme Angenard, que, malgré l'impuissance relative à laquelle elle était condamnée par les circonstances, la génération maritime n'était pas inférieure à la génération militaire. Angenard n'est qu'un individu de l'espèce des corsaires, alors fort nombreuse, et qui a son expression la plus complète dans Robert Surcouf; seul parmi ses congénères, celui-ci, par la hardiesse, la grandeur, le succès presque constant de ses entreprises, s'est élevé jusqu'à la gloire. Nous trouverons dans son lieutenant Angenard les mêmes qualités, mais avec moins d'éclat. Le rapprochement entre ces deux hommes dont nos sentiments personnels ne nous font pas méconnaître l'inégalité, sera un moyen de déterminer un état intellectuel et moral dont notre génération est très éloignée, une contribution à la psychologie du corsaire.

Le premier trait qui nous frappe dans ce caractère, c'est une brillante valeur. Angenard n'est pas de ceux qui se tiennent à leur poste par devoir la mêlée sanglante exerce sur lui une

« PreviousContinue »