Page images
PDF
EPUB

Il exerce notamment une active propagande pour répandre la culture de la pomme de terre. Elle réussit déjà très bien dans les provinces du Nord et de l'Est. Elle s'acclimate sans peine à BelleIsle, où elle est bien accueillie des Acadiens qui, chassés par les Anglais de leur ancienne patrie, ont reçu un établissement dans cette île. Dans le reste de la province, elle excite des défiances. Les premières fois qu'on en donne aux animaux, en les mêlant à leur posson,» ils les repoussent. «Ils ne jugent de ces racines que par l'odorat et il arrive souvent qu'ils n'en veulent pas manger. Il faut alors les priver de toute autre nourriture, jusqu'à ce que la faim les force de se contenter de celle qu'ils ont d'abord refusée. Ils en jugent alors par le goût et dans la suite il n'est plus nécessaire de les sevrer d'autres aliments. On en a vu qui s'y étaient accoutumés au point de préférer les patates cuites aux fourrages ordinaires (1). » Les paysans sont convaincus qu'il est dangereux de semer des pommes de terre, parce qu'elles envahissent tout et étouffent les autres cultures. Ils les regardent comme un aliment malsain. L'abbé Terray prend le parti d'expédier partout en 1771 un mémoire de la Faculté de médecine de Paris pour combattre tous ces préjugés (2).

Le gouvernement a même soin de faire distribuer gratuitement, à certaines époques, des graines utiles, avec des instructions sur la manière d'en faire usage. C'est ainsi qu'en 1785, on distribue à profusion des graines de turneps, avec un mémoire indiquant l'emploi de cette plante et les meilleurs procédés à suivre pour nourrir le bétail pendant l'hiver. La graine et le mémoire qui l'accompagne sont envoyés aux recteurs, chargés d'en faire la répartition. Le mémoire est, d'ailleurs, parfaitement inutile, attendu que, la plupart des paysans ne savent pas lire. Quant à la graine, dit le comte de Sérent, « elle ne sera avantageuse que par l'abus qu'on en a fait. La plus grande partie a été distribuée à des gens qui n'avoient pas de boeufs à leur

(1) Corps d'observations, 1760, 105. (2) Arch. d'Ille-et-Vilaine, C. 81.

disposition. Ils l'ont vendue et, par ce moyen, quelques-uns en tireront parti (1). >

Le gouvernement est rarement heureux dans ses essais d'acclimatation. A un certain moment, il cherche à introduire partout la culture du riz. Pour plus de sûreté, on accorde au sieur Noël Chavillot un privilège exclusif pour toute l'étendue du royaume (2). Le riz est un aliment précieux, que l'administration répand fort à propos dans les provinces où la récolte a été insuffisante. Mais les rizières ne peuvent réussir ni sous tous les climats ni dans tous les terrains. Elles exigent beaucoup de chaleur et un système d'irrigation savante qui n'est point possible dans toutes les contrées. Aussi cette tentative échoue piteusement et la commission de Chavillot est révoquée (3).

Vers la même époque règne le goût des arbres fruitiers, particulièrement des noyers. En quelques années, les noyers deviennent à la mode. La mode pénètre même en Bretagne. Les agronomes se prennent d'une passion subite pour les noix. Pendant longtemps « ils avoient regardé la noix comme une branche de fruiterie qui ne paraissoit pas devoir former un grand objet. » Ils s'aperçoivent brusquement de leur erreur. Ils se persuadent tout à coup qu'il se consomme une quantité prodigieuse de noix dans les foires et les pardons; qu'il entre chaque année pour 8 ou 900,000 francs de noix dans le port de Nantes. Aussitôt, c'est à qui plantera des noyers; on veut en couvrir les landes de la province. La Chalotais en fait planter 6,000 dans sa terre de Vern, où précédemment on en comptait à peine six. La Société d'agriculture engage les seigneurs à suivre ce généreux exemple. Elle énumère avec enthousiasme les profits que procure la culture des noix. « On en confit une partie. A la proximité des villes, il s'en consomme beaucoup en cerneaux. Les noix fraîches qu'on mange en automne, celles qu'on conserve pour le temps du carême, enfin celles qu'on vend dans les foires et les assemblées

(1) Arch. d'Ille-et-Vilaine, C. 1229. · (2) Ibid., C. 43. — (3) Ibid., C. 44.

de la basse Bretagne, sont un objet immense. L'huile qu'on retire des noix sert à la peinture, à brûler et même à plusieurs autres usages. Le brou des noix, les racines et les feuilles sont employés par les teinturiers; et le brou ou l'écorce verte, pourrie dans l'eau, forme une teinture dont se servent les menuisiers pour donner au bois blanc la couleur du bois du noyer. Enfin, lorsque l'arbre est coupé, il se vend bien, parce que le noyer est sans contredit un des meilleurs bois d'Europe pour la menuiserie. Tout doit donc inviter à le cultiver (1). »

Le gouvernement avait partagé cet engouement pour les noyers. On en avait inondé une grande pépinière fondée à Tours. On finit par s'apercevoir que les noyers l'envahissaient tout entière aux dépens des autres essences. Pour dégager la pépinière et déblayer le terrain, le contrôleur général imagina de faire des largesses en Bretagne et de donner gratuitement des noyers à quiconque prendrait la peine d'en demander. Les offres de l'administration ne séduisirent personne. Le sieur Tourneux, sous la direction duquel les noyers s'étaient multipliés à Tours, proposa de fonder à Rennes une pépinière variée. Mais il lui fallait des fonds. Il n'en put obtenir ni du contrôleur général ni des États provinciaux (2).

Un des grands défauts du gouvernement est de vouloir faire le bonheur des paysans malgré eux. On les croit incapables de se conduire et de comprendre leurs intérêts. On se croit obligé de les tenir en tutelle. En 1731, on s'imagine que la culture des céréales perd du terrain; que la vigne envahit les terres à blé. Aussitôt paraît un arrêt du Conseil qui défend toute nouvelle plantation de vignes dans le royaume et qui interdit même le rétablissement des vignes abandonnées. Aucun propriétaire ne peut dès lors planter une vigne avant d'avoir démontré par une longue et minutieuse enquête, que le terrain qu'il a choisi est ingrat et impropre à toute autre culture (3).

(1) Corps d'observations, 1760, 243. (3) Ibid., C. 2457.

· (2) Arch. d'Ille-et-Vilaine, C. 43.

La plupart des mesures prises par le gouvernement sont désastreuses. Nous avons déjà vu quelle importance a, dans la partie septentrionale de la province, la culture du chanvre et du lin. Pour l'encourager, l'administration de la marine lui assure l'approvisionnement du port de Brest. Cependant, elle ne veut pas être à la merci des possesseurs de chènevières, ni subir leurs exigences. Chaque année, après avoir fixé la quantité de chanvre qu'elle se propose d'acheter, elle en arrête le prix, qu'elle s'applique à rendre rémunérateur pour les paysans et avantageux pour l'État. En attendant que l'arsenal de Brest ait complété son approvisionnement, toute exportation de chanvre est interdite. Les paysans ne trouvent pas du tout leur compte à ce régime, qui provoque des tentatives de révolte en plusieurs cantons (1). Ils essayent d'exporter clandestinement du chanvre en feignant de le transporter à Saint-Malo (2). Pour échapper aux agents du fisc, ils se håtent de faire rouir et de tiller leur récolte, dont ils cachent la filasse (3). Ils finissent, sur bien des points, par abandonner une culture ingrate, qui leur attire une foule de tracasseries mal compensées par un médiocre profit (4). Elle leur devenoit de jour plus infructueuse, ou même de plus en plus onéreuse (5). » Le gouvernement reconnaît trop tard son erreur; quand commence la Révolution, le mal était sans remède; la culture du chanvre avait presque entièrement disparu de la province.

Une autre mesure déplorable est celle qui interdit l'exportation des grains. Elle a des conséquences désastreuses que signalent de bonne heure les véritables amis de l'agriculture et les négociants intelligents. Le subdélégué de Nantes, Gellée de Prémion, les met en lumière avec une rare sagacité dans un Mémoire rédigé en 1761 (6). Cette mesure décourage les agriculteurs, qui ne peuvent jamais compter sur l'avenir ni régler leur production sur le nombre probable des consommateurs. Elle amène des variations

(1) Arch. d'Ille-et-Vilaine, Ibid., C. 39.

(2) Ibid., C. 41.

— (4) Ibid., C. 84. (5) Corps d'observations, 1757, 137. et-Vilaine, C. 69.

[blocks in formation]

continuelles dans le prix des céréales, parce qu'elle rend impossible le commerce des grains. Elle suscite tantôt de brusques dépréciations, qui ruinent le paysan, tantôt des enchérissements imprévus qui accablent le consommateur. Ces inconvénients sont tellement sensibles, tellement évidents, que l'administration finit par s'émouvoir. Un arrêt du Conseil, en 1739, autorise la libre circulation des grains de province à province, mais en prenant une foule de précautions dérisoires contre les manoeuvres imaginaires des accapareurs, en imposant aux marchands de grains mille formalités extravagantes, propos seulement à les dégoûter d'un pareil commerce. Le gouvernement autorise l'exportation à l'étranger quand la récolte est bonne; il interdit l'exportation et autorise l'importation, quand elle est insuffisante. Ces défenses et ces autorisations sont également impuissantes, parce que l'instabilité des règlements empêche le commerce des céréales. En 1764, on essaye un instant d'établir la liberté absolue du commerce des grains, sans oser persister dans cette voie.

[ocr errors]

Le gouvernement, en effet, n'ose braver les préjugés populaires. «La crainte de manquer de grains, disent en 1760 les membres de la Société d'agriculture, est l'argument unique des personnes qui croient l'exportation périlleuse. Cette crainte est née dans les villes, où l'on est plus occupé de l'intérêt de fournir à la consommation quotidienne, que de porter la force et l'activité dans les campagnes qui fournissent à cette consommation. Plus les villes sont étendues et peuplées, plus la crainte augmente (1). » Elle n'est point particulière aux villes; elle atteint même les campagnes. Dans les bourgs où règne une petite industrie, où habitent, par conséquent, des journaliers qui ne possèdent aucun fonds de terre, dès que des marchands étrangers à la province ou même au canton viennent acheter du grain, la population. s'émeut, croit qu'on veut l'affamer et souvent se mutine. Il éclate, en 1756, des émeutes à Fougères et à Uzel contre les marchands.

(1) Corps d'observations, 1760, 169.

« PreviousContinue »