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battre à la porte de son cœur, sait bien qu'il n'est le maître ni de discuter, ni de lui faire sa part, ni de tricher, ni de mentir. Ils s'aimaient ; ils se le dirent.

Mais étranger aux bruits de Londres et ignorant tout de celle à qui il avait été présenté dans une maison par hasard et à qui il avait obtenu de faire visite par courtoisie et comme un jeune étranger qu'il était, sans importance et désireux de nouer des relations, le chevalier n'osait rien que de soupirer, d'embrasser une main qu'on lui abandonnait, une bouche qui ne se refusait pas. Mrs Bover, la mère, était morte six mois avant, et il pouvait voir la jeune fille seule chez elle chaque jour. Il dit un soir qu'il n'osait penser au mariage dans la position incertaine où il était, ses biens retenus en France par les révolutionnaires et lui-même vivant médiocrement à Londres des revenus d'une petite affaire de Hollande dans laquelle son père avait jadis pris des parts.

Miss Bover l'arrêta. La confiance du chevalier lui faisait un devoir de lui dévoiler une faiblesse qu'elle avait eue jadis, dit-elle en rougissant, pour un homme qui s'était montré indigne depuis et dont elle voulait taire le nom. Les femmes, er pareil cas, n'avouent jamais qu'un amant : à quoi bon dégoûter et faire souffrir inutilement ?

Car le chevalier souffrit longtemps de cet aveu, dont Miss Bover eût pu presque se passer. N'est-ce pas ce maraud de Casanova, en effet, qui a dit qu'un homme poli n'interroge jamais une jeune fille qui se donne, en mariage ou autrement, même s'il a des soupçons ?

Elle fut à lui. S'aimant comme ils s'aimaient, ils vécurent l'un près de l'autre sans se quitter, et sans

trouver jamais la paix, ni le repos, ni la considération que donne le mariage à ceux qui savent s'en accommoder. Le chevalier avait parfois de ces élancements âcres de la jalousie dans lesquels il semble que le monde entier vient de mentir au cœur honnête qui s'est fié à lui. Miss Bover soupirait, jamais sûre, craignant que son amant ne la quittât, et regrettant ses faiblesses passées, qui lui semblaient, avec le temps, n'avoir été que des minutes sans saveur. Prudents tous deux, et craignant de se blesser, s'aimant d'ailleurs chaque jour comme au premier, ils ne faisaient nulle allusion à ce qui les séparait, dans le fond de leur cœur. Mais avec sur eux comme une vague menace, un nuage constant, une contrariété qu'ils ne s'expliquaient qu'à demi et qui les fit toujours malheureux sous l'apparence de l'amour partagé. Ainsi, souvent, dans ce monde contrarié où les sentiments ne semblent nous avoir été donnés que pour n'être jamais parfaits et purs, deux êtres faits pour s'accorder et pour jouir, paisibles, des heures de leur vie, cherchent dans leur imagination mille chimères et chassent loin d'eux le calme, la satisfaction et la paix.

Il mourut qu'elle avait quarante ans. Elle traîna encore deux années, puis, un soir, s'évanouit dans sa chambre, à la campagne. Une brève agonie l'enleva en quelques minutes. Le médecin de campagne et le coroner n'ordonnèrent pas d'enquête. Un soupçon plana, cependant, à Londres, qu'elle s'était empoisonnée, ne pouvant supporter ni de vieillir, ni de vivre seule, elle pour qui l'amour avait tout été.

Louis THOMAS.

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Conférence pour les auditeurs de la T. S. F., le 18 février 1925, à la station de l'École supérieure des Postes, Télégraphes et Téléphones.

E suis à peu près sûr que le nom de l'auteur dont je vais avoir l'honneur de parler est familier à la plupart des personnes qui veulent bien m'écouter.

Non pas que rien ait jamais été fait pour l'imposer violemment à leur attention: ni publicité tapageuse, ni réclames sensationnelles n'ont jamais soutenu, lors de leur apparition, les ouvrages de M. Montfort et ne leur ont permis d'usurper la réputation.

C'est par eux-mêmes qu'ils se sont imposés à l'attention générale. Et c'est parce qu'ils s'étaient imposés de la sorte qu'un de ces éditeurs avisés qui se proposent de vulgariser les œuvres de mérite, en a choisi plusieurs pour enrichir l'une de ces bibliothèques populaires qui se multiplient si heureusement de nos jours. Les beaux livres qui obtinrent ainsi une très large diffusion portent les titres de La Turque, La Belle Enfant. Il n'y a point de station de chemin de fer, point de petite librairie provinciale ou villageoise, il n'y a point de mercière ayant adjoint à son commerce la vente des livres et du papier à lettre, où l'on ne puisse trouver ces romans remarquables. Et c'est pourquoi j'imagine que tous mes auditeurs, quel que soit l'endroit d'où ils veulent bien m'écouter, ont eu l'occasion de feuilleter avec émotion un de ces deux maîtres-ouvrages de M. Montfort.

Pour mieux faire connaître l'écrivain dont je me propose de parler, je veux tout d'abord vous rappeler, brièvement, ce que sont les deux livres que vous connaissez, puis je vous indiquerai la place qu'ils occupent dans son œuvre et je me trouverai de la sorte naturellement conduit à vous présenter ce que vous en pouvez ignorer. Si réellement vous en ignorez quelques-uns, je vous donnerai peut-être, pour votre plus grand plaisir, l'envie de les connaître.

La Turque et La Belle Enfant, ouvrages extrêmement différents l'un de l'autre, sont actuellement à peu près aux deux extrémités de la carrière de M. Montfort. La Turque est un de ses tout premiers ouvrages. La Belle Enfant est un des derniers qu'il ait publiés. La Turque peint la vie de Paris. La Belle Enfant appartient à ce que l'on pourrait appeler le cycle... la série méditerranéenne de l'auteur, série dans laquelle, j'y songe tout à coup, se trouve un troisième ouvrage que vous connaissez peut-être pour la même raison que les deux autres: La Chanson de Naples qui parut, elle aussi, dans cette bibliothèque Fayard-vous savez ces petits livres illustrés à 19 sous (19 sous d'avant-guerre), qui, dans ces vingt dernières années, rendirent de si grands services aux bonnes lettres.

Paris, la Méditerranée, on pourrait dire que ce sont les deux pôles d'attraction de l'esprit de M. Montfort. Ce citadin-né ne se plaît pas moins sur les rivages ensoleillés du monde antique qu'au sein de l'agitation fébrile où notre civilisation moderne se décompose. C'est là, dans ce..., dans cet..., je ne veux pas dire dans cet enfer, mais dans cette fournaise que M. Montfort a observé la Turque, le misérable personnage dont il a fait une si touchante peinture.

Ne sachant au juste qui m'écoute et craignant peut-être que la description de certaines situations un peu osées puisse choquer certaines oreilles, j'hésite à définir exactement ce qu'est La Turque.

C'est une créature malheureuse et digne de pitié. Ses pareilles sont nombreuses dans la littérature

entière et, depuis la Fantine de Victor Hugo jusqu'à la Sonia de Dostoïe wsky, on pourrait réunir une longue galerie de ces malheureuses victimes de l'égoïsme social.

Celle dont M. Montfort nous a fait le portrait est particulièrement touchante parce qu'elle est spécialement ingénue et simple et les hasards de la vie l'accablent de façon si douloureuse qu'on ne peut se retenir de lui accorder la plus fervente compassion. En outre ce roman est si peu romanesque, mais au contraire si près de la vie, si proche de la réalité, qu'il semble moins une œuvre d'imagination qu'une transcription immédiate de documents authentiques. Cela suffirait seul à donner à un livre son intérêt et son mérite. Mais de plus, les aventures de la Turque nous fournissent l'occasion d'une peinture de certains milieux parisiens aussi curieuse que magistralement faite. On ne saurait représenter, tout ensemble avec plus de perspicacité et de pitié profonde, les façons d'ètre de ce monde ambigu qui se découvre au sein de toutes les grandes capitales et que pour sa part M. Montfort est allé particulièrement observer sur les basses pentes de Montmartre.

La Belle Enfant diffère profondément de cet ouvrage pathétique.

L'héroïne, qui est au centre de ce roman, n'est pas une créature passive et vaincue par avance comme celle que l'on voit au centre de La Turque. C'est au contraire une femme indomptablement énergique, maîtresse d'elle-même et des autres, qui est peinte sous l'éclatante lumière du soleil marseillais.

Elle n'est point, comme sa congénère, soumise à l'amour d'autrui. Esclave de sa seule passion, elle recherche un amour merveilleux pour son propre compte. Mais hélas, elle ne l'atteint pas, et c'est la tragédie de sa vie.

Son indomptable passion suscite autour d'ellc

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