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A

MADAME DE MONTESPAN'.

L'apologue est un don qui vient des Immortels;
Ou si c'est un présent des hommes,

Quiconque nous l'a fait mérite des autels

:

Nous devons, tous tant que nous sommes,
Ériger en divinité3

1. Françoise-Athénaïs, fille de Gabriel de Rochechouart, marquis, puis duc de Mortemart, mort en 1675 gouverneur de Paris, était née en 1641. Mariée, en 1663, au marquis de Montespan, d'une illustre famille de Gascogne, puis devenue dame du palais de la Reine, elle avait supplanté, dès 1668, Mlle de la Vallière dans le cœur du Roi. Cette liaison dura jusqu'en 1683, à travers bien des orages. On sait comment Bossuet crut plusieurs fois l'avoir rompue, notamment en 1675, et comment la passion du Roi et les pleurs de la marquise trompèrent les espérances de l'éloquent prélat. En 1678, époque où la Fontaine lui adresse cette dédicace, Mme de Montespan était toute-puissante. Cette longue puissance, elle la dut autant à son esprit qu'à sa beauté : l'esprit des Mortemart était une expression passée en proverbe à la cour, et dont la marquise partageait l'honneur avec son frère, le duc de Vivonne, et ses sœurs, la marquise de Thianges et l'abbesse de Fontevrault. Aussi elle aimait et recherchait la société des gens de lettres; elle protégea particulièrement Boileau et la Fontaine. Retirée de la cour en 1686, après le triomphe définitif de Mme de Maintenon, elle mourut le 28 mai 1707, à l'âge de soixante-six ans. Voyez, dans ce second recueil, la fable 11 du livre XI, adressée au jeune fils de Mme de Montespan, le duc du Maine.

2. Voyez ci-dessus, p. 82, note 8, la fin de la citation de Philostrate.

3. Boileau avait déjà plusieurs fois employé de la sorte, avec un nom de personne pour régime, ce verbe ériger, par exemple dans son épître V (1674), vers 87 :

L'argent en honnête homme érige un scélérat.

Le Sage par qui fut ce bel art inventé*.

C'est proprement un charme : il rend l'âme attentive,
Ou plutôt il la tient captive,
Nous attachant à des récits

Qui mènent à son gré les cœurs et les esprits.
Ô vous qui l'imitez", Olympe, si ma Muse

A quelquefois pris place à la table des Dieux",
Sur ses dons aujourd'hui daignez porter les yeux;
Favorisez les jeux où mon esprit s'amuse.

Le temps, qui détruit tout, respectant votre appui,
Me laissera franchir les ans dans cet ouvrage :
Tout auteur qui voudra vivre encore après lui
Doit s'acquérir votre suffrage".

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4. Comparez un passage de la Préface de la Fontaine, tome I, p. 15 et 16. Parlant d'un tout autre sage, il dira plus loin (fin du livre IX, Discours à Mme de la Sablière, vers 54):

Descartes, ce mortel dont on eût fait un dieu

Chez les païens, et qui tient le milieu

Entre l'homme et l'esprit....

5. Vous qui exercez même pouvoir sur les cœurs et les esprits, vous dont les paroles ont ce charme qui captive. Dans la traduction latine de cette épître qu'a faite ou corrigée Fénelon ", ce passage est ainsi rendu : 0 Olympa, fabulæ similis. — Le nom d'Olympe donné à Mme de Montespan est simplement une fantaisie poétique de notre auteur. Nous ne voyons pas que c'ait été une de ces désignations ayant cours, comme il y en avait au temps des Précieuses, parmi les écrivains et dans le monde poli.

6. Si la Muse qui m'inspire est vraiment une de celles qui font entendre leur voix aux banquets des Dieux, comme Homère nous les représente au chant I de l'Iliade, vers 604. N'y aurait-il point là, en même temps, quelque intention de flatterie, quelque allusion à l'accueil fait par d'autres dieux aux dons de sa Muse, à la dédicace de son premier recueil agréée par le Roi pour le Dauphin? 7. Voyez ce qui est dit ci-dessus, dans la note 1, de l'esprit de la marquise.

a Édition Lebel, 1823, tome XIX, p. 479, Fontanus ad Dominam Montespanam: voyez ci-après, p. 86, fin de la note 10.

C'est de vous que mes vers attendent tout leur prix : Il n'est beauté dans nos écrits

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Dont vous ne connoissiez jusques aux moindres traces.
Eh! qui connoît que vous les beautés et les grâces?
Paroles et regards, tout est charme' dans vous.

Ma Muse, en un sujet si doux,
Voudroit s'étendre davantage;

Mais il faut réserver à d'autres cet emploi;

Et d'un plus grand maître que moi

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Votre louange est le partage 1o.

Olympe, c'est assez qu'à mon dernier ouvrage
Votre nom serve un jour de rempart et d'abri;
Protégez désormais le livre favori

Par qui j'ose espérer une seconde vie ;
Sous vos seuls auspices, ces vers

8. Si ce n'est vous.

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9. Reprise, avec intention bien marquée, du mot du vers 7. 10. Les commentateurs s'accordent à dire que ces mots désignent Louis XIV. Aussi Chamfort trouve-t-il ces deux vers «< bien singuliers; et il ajoute : « Peut-être un autre que la Fontaine n'eût pas osé s'exprimer aussi simplement; mais la bonhomie a bien des droits. » Sans nier que la Fontaine ait pu vouloir ici faire entendre ce que Chamfort trouve qu'il dit sans détour, on peut être d'avis que le passage reste très-naturellement susceptible d'une autre interprétation encore le poëte voudrait dignement célébrer les louanges d'Olympe; mais il n'ose se fier à son génie et prétendre à un emploi qui doit être réservé à d'autres, à de plus grands maitres dans son art. C'est à peu près la pensée qu'il a exprimée ailleurs en l'appliquant aux mensonges de la fable :

Je ne me crois pas si chéri du Parnasse
Que de savoir orner toutes ces fictions.
On peut donner du lustre à leurs inventions :
On le peut, je l'essaie; un plus savant le fasse.

(Livre II, fable 1, vers 5-8.)

La traduction de Fénelon, qui n'était, il est vrai, destinée qu'à son élève, ne laisse soupçonner aucune allusion: At melioribus hæc reservantur ingeniis; nobilioris Muse laus te manet.

Seront jugés, malgré l'envie,
Dignes des yeux de l'univers.

Je ne mérite pas une faveur si grande;

La fable en son nom la demande :

Vous savez quel crédit ce mensonge a sur nous.
S'il procure à mes vers le bonheur de vous plaire,
Je croirai lui devoir un temple pour salaire :
Mais je ne veux bâtir des temples que pour vous".

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11. Comparez Malherbe, Poésies, xiv, vers 55 et 56 (tome I, p. 60) :

Celle à qui dans mes vers, sous le nom de Nérée,
J'allois bâtir un temple éternel en durée....

-La Fontaine, comme le remarque Nodier, « a projeté depuis un autre temple pour Mme de la Sablière (livre XII, fable xv), mais il ne faut pas être si difficile avec les poëtes. »

FABLE I.

LES ANIMAUX MALADES DE LA PESTE.

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de

Pænitentiarius [liber] Lupi, Vulpis et Asini (dans un recueil de Flacius Illyricus, qui a pour titre : Varia doctorum piorumque virorum de corrupto Ecclesiæ statu poemata, Bâle, 1557, p. 199-2141). Hugo de Trimberg, diu Bihte (die Beichte), « la Confession » (dans le Reinhart Fuchs de Grimm, p. 392-396 3). Heinrich Bebel3, Pænitentia Lupi, Vulpis et Asini (imprimé, dit Grimm, pour la première fois, dans sa Margarita facetiarum, Strasbourg, 1509; puis dans les Facetiarum Heinrici Bebelii.... libri tres, Tubingue, 1550, fol. 32 et 33). Robert Holkot, de l'ordre des frères Prêcheurs, super Sapientiam Salomonis, 1489, lectio 187 (fol. R iiij ro, colonnes I et 2). — Barleta, du même ordre, sermon pour la 6o férie de la première semaine du carême (édition de Venise, 1571, fol. 68 vo). Raulin, Itinerarium Paradisi..., Paris, 1524, 1o sermon xiiij sur la Pénitence, et sur la Confession le viija (fol. xL vo; voyez à l'Appendice); 2o sermon xxxj sur la Pénitence, et sur la Satisfaction le vje (fol. lxxxv r°). Philelphi Fabula, 1480 (dans la traduction de Baudoin, fab. 12, du Loup, du Renard, et de l'Ane, édition de 1659, p. 63). Haudent, 2a partie, fab. 60, de la Confession

1. Ainsi indiqué par Jacob Grimm, qui a imprimé ce poëme, p. 397-409 de son Reinhart Fuchs (Berlin, 1834), d'après le texte de Flacius (Mathias Vlacich), et avec quelques variantes et additions, empruntées, dit le savant éditeur (p. CLXXXV), à un manuscrit de la Bibliothèque de Strasbourg (détruit dans l'incendie du bombardement de 1870), où le titre était Asinarius.

2. Haug (Hugo) de Trimberg, maitre d'école à Nuremberg, a inséré cette fable dans son « Coureur », der Renner, recueil en vers allemands (composé de 1280 à 1300, et qui fut très-populaire en Allemagne) de leçons morales, d'histoires, d'allégories et de fables. Le texte de la Confession a été, croyons-nous, imprimé pour la première fois par Grimm en 1833; depuis, le Coureur a été tout entier publié à Nuremberg.

3. Mort en 1517.

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