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LIVRE SEPTIÈME.

AVERTISSEMENT.

Voici un second recueil de fables que je présente au public. J'ai jugé à propos de donner à la plupart de celles-ci un air et un tour un peu différent de celui que j'ai donné aux premières, tant à cause de la différence des sujets, que pour remplir de plus de variété mon

1. Cet Avertissement fut placé par la Fontaine en tête du tome III du nouveau recueil de fables qu'il publia en 1678 et 1679, et dont les tomes I et II étaient la réimpression de son premier recueil, donné en 1668 (1 vol. in-4o), déjà réimprimé cette même année (2 vol. in-12), et formant la première et la seconde partie. La nouvelle publication se divisait, comme l'ancienne, en deux parties, à savoir: la troisième (1678), contenant deux livres; la quatrième (1679), trois. Ces cinq livres, qui portaient, sans que, dans le numérotage, il fût tenu compte des six livres antérieurs, de nouveaux numéros 1, 2, 3, 4 et 5, répondent, à quelques différences près, que nous indiquerons en leur lieu, aux livres VII, VIII, IX, X et XI des éditions modernes. L'étrangeté de division résultant de ces chiffres fut accrue encore par l'addition, en 1694, du livre XII. Voyez, à ce sujet, la Notice bibliographique, et l'extrait de la préface de Walckenaer cité dans notre Avertissement du tome I [p. I et Iv].

2. Un nouveau recueil. (1729.)

Il n'est pas dans l'édition de 1708.

Il est parlé, dans quelques notes des cinq premiers livres, d'où cette mention a passé dans l'Avertissement de notre tome I, d'une réimpression de 1669, mais un nouvel examen nous a fait reconnaître que Brunet a eu raison de se borner à dire que quelques exemplaires du tome I portent la date de 1669, d'où l'on peut conclure qu'il y a eu seulement réimpression de titre pour un certain nombre des tomes Iers.

ouvrage. Les traits familiers que j'ai semés avec assez d'abondance dans les deux autres Parties convenoient bien mieux aux inventions d'Ésope qu'à ces dernières3, où j'en use plus sobrement pour ne pas tomber en des répétitions; car le nombre de ces traits n'est pas infini. Il a donc fallu que j'aie cherché d'autres enrichissements, et étendu davantage les circonstances de ces récits, qui d'ailleurs me sembloient le demander de la sorte pour peu que le lecteur y prenne garde, il le reconnoîtra lui-même; ainsi je ne tiens pas qu'il soit nécessaire d'en étaler ici les raisons', non plus que de

3. Dans la première Partie.... qu'à cette dernière. (1682, 1729.) 4. Les critiques, ainsi avertis par le poëte lui-même, n'ont pas manqué de chercher en quoi ce nouveau recueil différait de l'ancien; il en est résulté des jugements fort divers, les uns préférant le tour simple et « les traits familiers » des premières fables imitées généralement d'Ésope et de l'antiquité, les autres plaçant fort audessus les nouvelles, où ils trouvent, en général, un ton plus élevé, une plus grande portée philosophique; d'autres encore accusant notre poëte de conter un peu longuement dans ses derniers apologues, et trop disposés à y voir la faiblesse de l'âge, sans avoir soin peut-être de distinguer entre deux recueils fort différents et publiés à un assez long intervalle l'un de l'autre, celui de 16781679, auquel seul s'applique cet Avertissement, et celui de 1694, qui contenait le douzième et dernier livre des fables. Il en est enfin qui, dans leur admiration, n'ont jamais pu faire de différence, et parmi eux Maucroix, le confident le plus cher du poëte. « Vous me demandez, écrit-il, le 30 mars 1704, au Père ***, de la Compagnie de Jésus a, ce que veut dire M. de la Fontaine dans la Préface du second recueil de ses fables, lorsqu'il dit qu'il a donné à plusieurs de ces dernières fables un air et un tour un peu différent de celui qu'il avoit donné aux premières. Voulez-vous que je vous parle franchement? Je le sais aussi peu que vous, et je me suis fait plusieurs fois cette question à moi-même, avant que vous me l'eussiez faite. Pour moi je trouve qu'il n'y a nulle différence, et

a D'Olivet peut-être, le premier éditeur de cette lettre, qui fut, pendant quelque temps (jusqu'en 1713), membre de la société de Jésus: voyez Maucroix, sa vie et ses ouvrages, par M. Louis Paris, en tête du tome I des OEuvres diverses de Maucroix, p. ccxxv et CCXXVI.

dire où j'ai puisé ces derniers sujets. Seulement je dirai, par reconnoissance, que j'en dois la plus grande partie à Pilpay, sage Indien. Son livre a été traduit en toutes les langues'. Les gens du pays le croient fort

je crois que notre ami n'a pas trop pesé ses paroles en cette occasion.» (MAUCROIX, OEuvres diverses, publiées par M. Louis Paris, 1854, tome II, p. 232 et 233.)

5. Il est fâcheux que la Fontaine se soit imposé cette réserve : il eût été curieux et intéressant de savoir par lui-même à quelles sources il a puisé ses sujets; il eût épargné aux commentateurs bien des recherches et des incertitudes.

6. La Fontaine fait certainement allusion dans ce passage au petit volume (de 286 pages) intitulé : Livre des lumières, ou la Conduite des roys, composé par le sage Pilpay Indien, traduit en françois par David Sahid d'Ispahan, ville capitale de Perse. A Paris, chez Siméon Piget, rue Saint-Jacques, à la Fontaine, 1644, petit in-8°. C'était, comme le dit Loiseleur Deslongchamps, la première version, faite directement d'après une langue orientale, qui eût paru en France, des Apologues de Bidpaï. « Le Livre des lumières de David Sahid est la traduction abrégée des quatre premiers livres de l'Anwari-Sohaili (« Lumières canopiques »), c'est-à-dire de la version persane (datant de la fin du quinzième siècle) du Livre de Calila et Dimna.... M. de Sacy.... pense que l'orientaliste Gaulmin a eu beaucoup de part à cette publication. »

7. Loiseleur Deslongchamps résume ainsi (p. 78 et 79) son « examen des diverses métamorphoses que le livre attribué à Bidpaï a subies » : « Nous avons vu comment ce recueil d'apologues avait été traduit du sanscrit en pehlevi ou persan ancien, dans le sixième siècle de notre ère; puis, dans le huitième, du pehlevi en arabe, de l'arabe en persan moderne quatre siècles plus tard, de l'arabe en

En 1698, il parut chez Barbin, sans nom de traducteur, avec un titre qui reproduit la seconde moitié de celui-ci, une autre version due à Antoine Galland : les Fables de Pilpay, philosophe indien, ou la Conduite des Rois.

Essai sur les fables indiennes, p. 23-24 et note I de la page 24.

* Le Livre de Calila et Dimna, dont l'original est attribué par les Arabes à Bidpai, date du huitième siècle de notre ère. C'était, pour la plus grande partie, la reproduction en arabe de la version pehlevie, faite en Perse au sixième siècle, d'un recueil de fables et contes indiens (voyez la note 7). Le Pantschatantra est sorti, dans l'Inde, de ce même recueil dont a été formé le livre arabe de Calila et Dimna.

J. DE LA FONTAINE, II

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ancien, et original à l'égard d'Ésope, si ce n'est Èsope lui-même sous le nom du sage Locman. Quelques autres m'ont fourni des sujets assez heureux. Enfin

grec à la fin du onzième siècle, et en hébreu peut-être vers le même temps; de l'hébreu en latin dans la seconde moitié du treizième siècle, et du latin dans plusieurs des principales langues de l'Europe. >>

8. L'auteur de la traduction française du Livre des lumières semble n'avoir rien dit, dans son avis au Lecteur, qui ait pu induire la Fontaine à confondre en un seul, comme il parait tenté de le faire ici, les deux personnages (devenus de notre temps si problématiques) de Bidpaï et de Locman. En revanche, il affirme bien nettement que ce sont les fabulistes orientaux qui sont originaux à l'égard des Grecs, et insinue que c'est Locman qu'il faut chercher sous le nom d'Ésope. « Locman, dit-il dans des phrases quelque peu embarrassées, a vécu le plus ancien de tous (parmi les Égyptiens et les Nubiens), puisque Mirkond, en son premier volume, le met du temps de David. Les Arabes ont un gros livre de ses apologues, qui est en grande réputation parmi eux, l'auteur ayant été loué par leur faux prophète". Les Grecs ont suivi les Orientaux; je dis suivi, puisque eux-mêmes confessent avoir appris cette sorte d'érudition d'Ésope, qui était Levantin, et duquel la vie est écrite par le moine Planude est la même (c'est la même vie, la méme histoire) que celle de Locman, jusque-là que les curieux admireront que le présent que Mercure fait de la fable à Ésope dans Philostrate, les anges le font à Locman de la sagesse dans Mirkond. »

9. Par exemple, comme on le verra dans les notices des fables, Guillaume Haudent, Guillaume Gueroult, les Apologi Phædrii de Jacques Regnier, les Nouvelles de Bonaventure des Périers, etc.

a Dans la xxxI® sourate du Coran. Mais, quel que soit le Locman dont a voulu parler le livre sacré, il est généralement reconnu que le recueil de fables arabes mises sous le même nom de Locman est postérieur au premier siècle de l'hégire, et ne contient guère que des traductions ou imitations des fables ésopiques.

Le texte du passage cité porte, évidemment par erreur, « le présent.... de la fable d'Ésope », au lieu de : « le présent........ de la fable à Ésope ».

Dans le chapitre xv du livre V de la Vie d'Apollonius de Tyane : voyez notre tome I, p. 15, note, et comparez un passage de la Vie d'Ésope par Planude, même tome, p. 32.

j'ai tàché de mettre en ces deux dernières Parties 1o toute la diversité dont j'étois capable ".

Il s'est glissé quelques fautes dans l'impression; j'en ai fait faire un Errata"; mais ce sont de légers remèdes pour un défaut considérable. Si on veut avoir quelque plaisir de la lecture de cet ouvrage, il faut que chacun fasse corriger ces fautes à la main dans son exemplaire, ainsi qu'elles sont marquées par chaque Errata, aussi bien pour les deux premières Parties que pour les dernières 13.

10. En ces dernières Parties. (1688.)- En cette dernière Partie. (1682, 1729.)

11. Ici finit l'Avertissement dans les éditions de 1682, 88, 1729. 12. Ceci prouve que la Fontaine mettait un soin minutieux à la publication de ses œuvres, et donne par conséquent une grande valeur aux éditions qui en ont été faites sous ses yeux, surtout à celle de 1678-1679, à laquelle s'applique cet Avertissement. Outre les Errata, les exemplaires des quatre volumes de 1678-79 contiennent de nombreux cartons; ce sont soit des feuillets réimprimés, soit des corrections faites sous presse pendant le tirage : voyez le Catalogue de la vente Rochebilière, Paris, A. Claudin, 1882, p. 90-95.

13. Un premier Errata, se rapportant à la troisième partie (ou tome III des deux recueils réunis, ou tome I du second recueil), se lit à la suite même de cet Avertissement. Le même volume (contenant la troisième partie) a, dans l'exemplaire de la bibliothèque Cousin, à la fin, sur un feuillet non numéroté, un second Errata, lequel concerne les deux premières parties (ou tomes I et II du premier recueil), et a pu être publié comme annexe à la troisième. Enfin, après la table du dernier volume (ou quatrième partie, 1679), se trouve un dernier Errata pour ce volume. Il va sans dire que nous avons corrigé toutes les fautes sur lesquelles l'attention était dès lors appelée.

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