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On sait assez que le Destin

Adresse là les gens quand il veut qu'on enrage':
Dieu nous préserve du voyage"!

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Pour venir au Chartier embourbé dans ces lieux,
Le voilà qui déteste et jure de son mieux,

Pestant, en sa fureur extrême,

Tantôt contre les trous, puis contre ses chevaux,
Contre son char, contre lui-même.

Il invoque à la fin le dieu dont les travaux
Sont si célèbres dans le monde :
Hercule, lui dit-il, aide-moi. Si ton dos

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4. Ceci peut s'entendre naturellement de l'état des routes, qui ne devaient pas être fort praticables dans cette partie de la Bretagne, coupée de bois, de landes, de fossés. Il se pourrait aussi qu'il y eût dans ces vers une allusion d'un autre genre. « Quimper, dit une note manuscrite de Walckenaer, était un lieu d'exil. C'est là que le P. Caussin, confesseur de Louis XIII, fut exilé, parce qu'il s'était mêlé d'intrigues contre Richelieu. >> Dans sa fable du livre VIII, intitulée les Deux exilés, le duc de Nivernais rappelle ces vers de la Fontaine :

Chacun sait que la Sibérie
Est un pays froid et lointain,
Où règne encor la barbarie :
C'est pis que Quimper-Corentin,
Et c'est bien là que le Destin

Conduit les gens quand il veut qu'on enrage.

(Fables de Mancini-Nivernois, publiées par l'auteur, 1796, tome II, P. 41.)

5. Voyez dans les Poésies de Brizeux sa réponse à ces vers de la Fontaine, intitulée: En passant à Kemper.

6. La Fontaine n'a pas écrit chartier par licence, comme on l'a dit, mais parce qu'il en avait le droit de par l'Académie, dont le Dictionnaire, dans ses trois premières éditions (1694, 1718, 1740), admet également la forme actuelle charretier et chartier. Chartier est la seule orthographe de Nicot (1610), de Richelet (1680) et de Furetière (1690). — Il y a de même au livre VIII, fable XII, vers 5, charton pour charreton.

7. Du latin detestari, jurer avec imprécation. Le mot est expliqué par celui qui le suit. Notre auteur l'emploie absolument,

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Sa prière étant faite, il entend dans la nue
Une voix qui lui parle ainsi o :

;

« Hercule veut qu'on se remue1o
Puis il aide les gens. Regarde d'où provient
L'achoppement qui te retient";
Ôte d'autour de chaque roue

Ce malheureux mortier, cette maudite boue

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comme ici, dans le conte du Faucon (vo de la IIIa partie), vers 121:

Il.... pleure et mène une vie

A faire gens de bon cœur détester;

et on lit dans une poésie attribuée à Corneille (tome X, p. 161):

L'un en gémit, l'autre en déteste;
Et ce que font les plus contents,
C'est de pester contre la peste.

D'Aubigné (Histoire universelle, tome II, p. 363, édition de 1616) donne au verbe le même régime que Corneille et la Fontaine (vers 11 et 12) à pestant: « Cettui-ci, détestant contre ses compa

gnons.... >>

8. Hercule, comme on sait, avait un instant pris la place d'Atlas, condamné par Jupiter à porter le ciel sur son dos. L'expression de la Fontaine serait donc inexacte, si, comme dans la fable xvi du livre I, elle devait indiquer le globe de la terre; mais, nous l'avons dit (tome I, p. 107, note 5), elle a été aussi employée pour désigner la voûte céleste.

9.

Or une voix ouït en l'air
Qui lui dit....

(HAUDENT.)

10. « Vers charmant, qui méritait de devenir proverbe, comme l'est devenu le dernier vers (de la fable). » (CHAMFORT.) Il semble bien avoir été inspiré par la jolie morale qui termine le petit conte grec du Naufragé (Nzuzyó;), inséré dans le recueil ésopique (Coray, p. 162, Nevelet, p. 289), et que nous avons mentionné plus haut : Ev Alŋva xai ysîpa zívat : « Avec Minerve, même aidé par Minerve, remue encore la main, mets-y la main. »

11. L'obstacle contre lequel tu heurtes.

Qui jusqu'à l'essieu les enduit 12;

Prends ton pic et me romps ce caillou qui te nuit;
Comble-moi cette ornière. As-tu fait 13?-Oui, dit l'homme.
- Or bien je vas t'aider, dit la voix. Prends ton fouet.
-Je l'ai pris. Qu'est ceci? mon char marche à souhait :
Hercule en soit loué1! » Lors la voix : « Tu vois
Tes chevaux aisément se sont tirés de là.

Aide-toi, le Ciel t'aidera 15. »

comme

12. Babrius (dans la prose de l'Ésope, où la Fontaine a pu le lire, ses mots sont à peine dérangés) fait parler Hercule de ce même ton, mais bien plus brièvement. Les paroles du Dieu sont chez Avianus d'une molle élégance; dans Faërne, sauf ce bon avis:

Stimulo boves, humerisque promove plaustrum,

il n'y a qu'une vague exhortation d'agir. La description de l'achoppement est, chez l'un et l'autre, au commencement du récit :

Hærentem luteo sub gurgite Rusticus axem
Liquerat.

Via in lutosa prægrave hæserat plaustrum,

Mersis adusque axem rotis.

(AVIANUS.)

(FAERNE.)

La voix donne aussi quelques conseils tout pratiques chez Haudent :

.... Tes cheuaulx fouette

En les contraignant à aller,
Et vertueusement te iecte
A l'un des boutz de ta charette
En la deboutant pour partir.

13. « Remarquons, dit Chamfort, la vivacité du dialogue entre le Charretier et la voix d'Hercule. »

14. La Fontaine est le seul qui ait achevé la scène et montré ainsi le char dégagé et repartant.

15. Aidez-vous seulement, et Dieu vous aidera.

(REGNIER, satire XIII, vers 112.)

Præsentesque adhibe, quum facis ipse, Deos.

(AVIANUS, dernier vers.)

C'est la pensée que développe énergiquement Caton dans son discours sur les conjurés voyez Salluste, Catilina, chapitre LII, et Rabelais, qui le traduit, au chapitre xxIII du quart livre (tome II, p. 353).

FABLE XIX.

LE CHARLATAN.

Poggii Facetiæ, Facetum Hominis dictum Asinum erudire promittentis (Poggi.... Opera, Bâle, 1538, in-fol., p. 485 et 486). - Abstemius, fab. 133, de Grammatico docente Asinum. Bonaventure des Périers, nouvelle LXXXVIII, d'un Singe qu'avoit un abbé, qu'un Italien entreprint de faire parler.—Democritus ridens (1655), p. 42, seconde anecdote mise sous la rubrique : Cui tempus, eidem vita suppetit. II s'agit là d'un éléphant, d'un captif (ayant nom Antonius Martinus; il veut racheter sa vie), et du Sultan des Turcs; cette version est celle de Lodovico Guicciardini1 (l'Hore di ricreatione, édition de Venise 15802, p. 50 et 51; dans la traduction de François de Belle-Forest, édition de Lyon, 1578, p. 42 et 43).

Mythologia asopica Neveleti, p. 592.

Cette fable a été reproduite dans le Recueil de poésies chrétiennes et diverses, tome III, p. 358.

C'est dans Abstemius que la Fontaine a pris la matière qu'il s'est proposé d'animer. Chez le Poge, qu'on a indiqué comme l'auteur premier, le récit, plus court et plus sec, ne débute pas d'ailleurs par la même donnée au lieu du Grammairien ou Maitre d'éloquence vantant impudemment sa méthode et se faisant prendre au mot, il parle d'un Tyran qui, ayant bonne envie de confisquer les biens de l'un de ses sujets, le trouve justement coupable de faire un peu trop l'entendu, et imagine de lui donner l'Ane à régenter, avec menace d'une peine grave en cas d'insuccès; alors l'instituteur par force, comme les entrepreneurs des autres contes, demande dix ans pour mener à fin son éducation, se fiant aussi au temps de le tirer d'affaire. Loiseleur Deslongchamps (Essai sur les fables indiennes, p. 174), à propos de la facétie du Poge, et du Charlatan,

1. Neveu de Francesco, l'historien.

2. Cette édition contient une épitre datée de 1567.

3. Les Heures de récréation et après-dínées de Louis Guichardin.... Il y a en tête une épitre datée de 1571.

s'est souvenu de l'histoire d'un Sofi (moine contemplatif) de Bagdad* qui promet au Calife de lui faire voir le prophète Élie. Le pauvre Moine ne fait cette folle promesse que pour s'assurer trois ans de vie heureuse; ce court bon temps passé, il est sauvé, on ne voit pas pour quels mérites, et uniquement sans doute pour le plaisir des lecteurs, par la venue miraculeuse et l'intervention du prophète. C'est peut-être tirer les rapprochements d'un peu loin.

Le monde n'a jamais manqué de charlatans :
Cette science, de tout temps,
Fut en professeurs très-fertile.

Tantót l'un en théâtre" affronte l'Achéron ",
Et l'autre affiche par la ville'
Qu'il est un passe-Cicéron".

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4. Elle a été traduite par Pétis de la Croix dans un petit volume intitulé: Histoire de la Sultane de Perse et des visirs, contes turcs, Amsterdam, 1707, p. 158-164 (Loiseleur Deslongchamps cite une édition de Paris, même année, p. 237).

5. En plein théâtre.

Faut-il sur nos défauts extrêmes

Qu'en théâtre public nous nous jouions nous-mêmes?

(MOLIÈRE, les Fácheux, vers 24 et 25, tome III, p. 37.)

6. Il s'agit ici de ces fameux opérateurs (comme Barry, l'Orviétan, Desiderio de Combes) qui, sur leurs tréteaux, se frappaient à coups d'épée, avalaient des poisons, se faisaient mordre par des vipères, et sans doute aussi de ces discours emphatiques où ils défiaient les maladies et la mort de triompher de leurs remèdes : voyez sur eux et leurs estrades ou théâtres, l'intéressant chapitre qui les concerne dans l'ouvrage de M. Victor Fournel intitulé: Tableau du vieux Paris : les spectacles populaires et les artistes des rues, particulièrement p. 236, 237, 239, 240, 250, 268.

7. On voit par le Roman bourgeois de Furetière que les charlatans, comme les libraires, usaient de ce grand moyen de publicité; il y est question (tome II, p. 46, de l'édition de M. Pierre Jannet) d'une insigne charlatane, et fameuse par ses intrigues et par ses affiches. »

8. Il est assez probable que la Fontaine, par ce mot si heureusement composé par lui, rappelait plus particulièrement à ses contem

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