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Un Pâtre, à ses brebis trouvant quelque méconte "2, Voulut à toute force attraper le larron.

Il s'en va près d'un antre, et tend à l'environ 15 Des lacs à prendre loups, soupçonnant cette engeance. « Avant que partir" de ces lieux,

Si tu fais, disoit-il, ô monarque des Dieux,

Que le drôle à ces lacs se prenne en ma présence,
Et que je goûte ce plaisir,

Parmi vingt veaux je veux choisir

Le plus gras, et t'en faire offrande. »

A ces mots, sort de l'antre un Lion grand et fort;

Le Pâtre se tapit, et dit, à demi mort :

«

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15

Que l'homme ne sait guère, hélas! ce qu'il demande 15 ! Pour trouver le larron qui détruit mon troupeau

Et le voir en ces lacs pris avant que je parte,

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Ò monarque des Dieux, je t'ai promis un veau :

Je te promets un bœuf si tu fais qu'il s'écarte 16. »

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12. Telle est l'orthographe des anciennes éditions; nous la conservons à la rime.

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On se cache, on tremble à l'environ.

(Livre II, fable 1x, vers 16.)

14. Littré, à l'article AVANT, 8°, donne de nombreux exemples du tour avant que, devant 'infinitif, équivalant à avant que de. Dans la fable vi du livre VII, vers 26, nous trouverons : « Avant que de partir. » Devant que est construit également sans de, au vers 8 de la fable xvi du livre VI.

15. Faërne place à la fin de la fable, comme morale (vers 13 et 14), ce que la Fontaine met ici dans la bouche du Pâtre :

16.

Humana mens, ignara sortis abditæ,
Nocitura sæpe pro salubribus petit.

Tibique, inquit, hædum voveram, alme Juppiter,
Si repperissem furem: opimum nunc lovem

Polliceor, ejus si manus evasero.

(FAËRNE, vers 10-12.)

Dans les fables grecques (Babrius excepté) et dans celle de Faërne, le Bouvier demande, non pas à prendre, mais seulement à trouver son voleur; Hégémon, qui leur a emprunté son récit, l'a

C'est ainsi que l'a dit le principal auteur :

17 Passons à son imitateur 1.

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rendu plus frappant, et il a ajouté à la dernière invocation un trait naif et plaisant : l'abandon de l'agneau au terrible larron, qui déjà s'en repait. Le Pasteur, dit-il, se mettant, peu après son premier vou, à la recherche de l'agneau dérobé,

Trouva sur un cousteau penchant
Le Lyon à gueule bée,
Qui le tenant le devoroit,
Et en fureur le regardoit;
Dont effrayé, et en sueur,

Les mains au ciel vint estendre,
Disant : «Ò Iupiter Seigneur,

:(

Promis t'avois un Veau tendre....
Mais maintenant ie te promets
De t'offrir Boeuf et Genisse,
Si de ta bonté tu permets
Que sain sauver ie me puisse
De ce cruel Lyon (mais beau!);

Et si luy donne mon Aigneau,»

17. « Cette fable et la suivante semblent être la même et n'offrir qu'une seule moralité. Il y a cependant des différences à observer. Dans la première, c'est un paysan qu'on ne peut accuser que d'imprudence, quand il suppose que sa brebis n'a pu être mangée que par un loup. Il se croit assez fort pour combattre cet animal, et trouve à décompter quand il voit qu'il a affaire à un lion. Il n'en est pas de même de la fable suivante. Celui qui en est le héros sait trèsbien qu'il va combattre un lion, et cependant il est saisi de frayeur quand il voit le lion paraître. C'est un fanfaron, qui l'est, pour ainsi dire, de bonne foi et en se trompant lui-même. Il convenait, ce me semble, que la Fontaine exprimât cette différence, et donnât deux moralités diverses. Le paysan n'est nullement ridicule, et le chasseur l'est beaucoup. Je crois que la morale du premier apologue aurait pu être : « Connaissez bien la nature du péril dans a lequel vous allez vous engager; » et la morale du second: «< Con« naissez-vous vous-même, ne soyez pas votre dupe, et ne vous en « rapportez pas au faux instinct d'un courage qui n'est qu'un pre<mier mouvement. » (CHAMFORT.)

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FABLE II.-Ésope, fab. 175, Astλòç Kuvnyòs xal Apuoτóμos (Coray, Babrius, fab. 92, Κυνηγός δειλός. p. 108). Gabrias (Ignatius Magister), quatrain 36, Περὶ δειλοῦ Κυνηγοῦ καὶ Ποιμένος (Coray, même page 108).

Mythologia sopica Neveleti, p. 234, p. 375.

De Gabrias, qu'il nomme (p. 3, note 8) comme son guide, pour cette seconde fable, la Fontaine emprunte le personnage du Chasseur, le Berger, le Lion, et l'idée, non la forme de la morale. Dans les diverses fables grecques (Ésope, Babrius, Gabrias), le Chasseur demande à un Bûcheron, ou à un Berger, de lui montrer les traces du Lion, et quand on lui répond qu'on va lui montrer le Lion luimême, il s'écrie, tout tremblant, qu'il n'a demandé à voir que les traces. De là le proverbe : « Tu cherches les traces du Lion, » tou Λέοντος ἴχνη ζητεῖς, Leonis vestigia quæris.

Un fanfaron, amateur de la chasse,
Venant de perdre un chien de bonne race,
Qu'il soupçonnoit dans le corps d'un Lion,
Vit un berger : « Enseigne-moi, de grâce,
De mon voleur, lui dit-il, la maison,
Que de ce pas je me fasse raison. »>
Le Berger dit : « C'est vers cette montagne.
En lui payant de tribut un mouton
Par chaque mois, j'erre dans la campagne
Comme il me plaît, et je suis en repos. »
Dans le moment qu'ils tenoient ces propos,
Le Lion sort, et vient d'un pas agile.
Le fanfaron aussitôt d'esquiver1 :

«

Ô Jupiter, montre-moi quelque asile,
S'écria-t-il, qui me puisse sauver! »

1. J'esquive doucement et m'en vais à grands pas.

(REGNIER, satire vIII, vers 219.)

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15

La Fontaine lui-même avait déjà employé neutralement (fable vi du livre IV, vers 55) ce verbe habituellement réfléchi :

Les petits, en toute affaire,
Esquivent fort aisément;

La vraie épreuve de courage'

N'est que dans le danger que l'on touche du doigt: Tel le cherchoit, dit-il, qui, changeant de langage, S'enfuit aussitôt qu'il le voit3.

et Boileau, dans la satire vi, vers 67 :

Je saute vingt ruisseaux, j'esquive, je me pousse.

2. Dans les deux éditions de 1668, in-4o et in-12, copiées par celles de 1679 (Amsterdam), de 1682 et de 1729, on lit: du courage. Les deux textes de 1678, reproduits par ceux de la Haye, 1688, et de Londres, 1708, portent : de courage.

3. C'est ce que dit énergiquement Lucrèce (livre III, vers 55-58) :

.... In dubiis hominem spectare periclis

Convenit, advorsisque in rebus noscere quid sit :
Nam vera voces tum demum pectore ab imo
Eliciuntur; et eripitur persona, manet res.

FABLE III.

PHÉBUS1 ET BORÉE.

Ésope, fab. 306, Ηλιος καὶ Βοῤῥᾶς, Ἥλιος, Βοῤῥᾶς καὶ Ἄνθρωπος (Coray, p. 200-202, sous quatre formes). — Babrius, fab. 18, Bopέaç καὶ Ἥλιος. - Avianus, fab. 4, Boreas et Sol; voyez aussi le Novus Avianus et le Novus Avianus vindobonensis (édition d'Éd. du Méril, p. 265 et 266, et p. 269 et 270). Dans ces fables latines, et dans la fable i d'Y'sopet-Avionnet citée par Robert (tome II, p. 6 et 7), le cadre est différent : c'est devant Jupiter ou devant les Dieux que la lutte s'engage entre Borée ou le Vent de bise et le Soleil. Haudent, 1re partie, fab. 185, du Soleil et d'Aquilon. Verdizotti, fab. 18, del Sole e Borea.

Mythologia sopica Neveleti, p. 456.

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Athénée a recueilli (S LXXXII du livre XIII) une épigramme de Sophocle contre Euripide où il y a une allusion évidente à la fable du Soleil et Borée. Plutarque a traité ce sujet dans les Préceptes conjugaux, S XII. Il fait une ingénieuse application de l'allégorie à la conduite des maris envers leurs femmes : ils les guériront plus aisément du luxe et des vaines dépenses, réussiront mieux à leur faire ôter leurs belles robes par la douce persuasion que par la violence. Hégémon a cousu cette moralité conjugale à sa fable 6, intitulée du Soleil et de la Bise. L'emblème 27 de Corrozet commence par ce quatrain, qui résume la fable:

Contre la froidure du vent

L'homme se tient clos et se serre;
Mais le soleil le plus souuent

Luy fait mettre sa robbe à terre.

« Voici une des meilleures fables. L'auteur y est poëte et grand poëte, c'est-à-dire grand peintre, comme sans dessein et en suivant le mouvement de son sujet. Les descriptions agréables et brillantes y sont nécessaires au récit du fait. Observons.... ce vers imitatif : Siffle, souffle, tempête....

N'oublions pas surtout ce trait qui donne tant à penser:

....

Fait périr maint bateau,

Le tout au sujet d'un manteau;

1. Phœbus, dans les éditions originales.

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