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FABLE XIV.

LE LION MALADE ET LE RENARD.

Ésope, fab. 137, Λέων καὶ ̓Αλώπηξ, Λέων νοσῶν καὶ θηρία (Coray, p. 78 et 79, p. 336, sous quatre formes). — Babrius, fab. 103, Λέων νοσῶν καὶ θηρία. Aphthonius, fab. 8, Fabula Leonis, hortans

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ut virtus præponatur malitiæ. fab. 30, Leo senex et Vulpes. Leone et Vulpe,

Appendix fabularum æsopiarum,

Romulus, livre IV, fab. 12, de

– Faërne, fab. 74, Leo et Vulpes. Gilberti Cognati Narrationum sylva, p. 21, de Vulpe et Leone ægrotante. — Marie de France, fab. 68, dou Lion malade et dou Goupil, emblème 54, Deffiance non moins utile que prudence.

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Corrozet,

Haudent,

Ire partie, fab. 154, d'un Lyon et d'un Regnard. — Hégémon, fab. 9, du Lyon et du Regnard. Dans le recueil de Daniel de la Feuille (Amsterdam, 1694), 1re partie, p. 33, se trouve une fable, mais très-médiocre, sur le même sujet, intitulée du Léopard et du Renard. Mythologia sopica Neveleti, p. 199, p. 327.

Ce sujet, dont il existe des versions nombreuses et très-diverses, remonte à une assez haute antiquité. Les Grecs et les Latins, comme on le verra plus loin (note 4), y faisaient proverbialement allusion. On peut voir aux pages 3 et 5 du Choix de fables de Vartan, publié par Saint-Martin en 1825, comment l'auteur arménien, qui écrivait au treizième siècle, a modifié à la fois l'action et la moralité. Il ajoute un personnage, la Chèvre, servant de portier au Lion; il remplace le Renard par le Cochon; puis sa conclusion, assez inattendue, est que le Lion est la mort; la caverne, le tombeau; « et nous, dit-il, insensés qui ne sommes pas plus que le Cochon, nous savons que ceux qui meurent ne ressuscitent pas, et nous amassons continuellement. » Dans l'Inde, où nous trouvons la même fable, c'est le Chacal qui prend la place du Renard, et la différence de l'action est encore plus marquée : voyez le Pantschatantra de M. Benfey, tome I, p. 381 et 382, et tome II, livre III, conte xiv, p. 268 et 269. — M. Liotard nous apprend, p. 28 de sa brochure déjà citée (au tome I, p. 154 et p. 335), que le Lion malade et le Renard est, parmi les fables traitées par la Fontaine, une

des trois que l'on rencontre dans le Réveille-matin des François et de leurs voisins, livre de dialogues satiriques publié en 1574, sous le nom d'Eusèbe Philadelphe, mais attribué à Théodore de Bèze.

De par le roi des animaux,

Qui dans son antre étoit malade,
Fut fait savoir à ses vassaux
Que chaque espèce en ambassade
Envoyât gens le visiter,
Sous promesse de bien traiter
Les députés, eux et leur suite,
Foi de Lion, très-bien écrite,
Bon passe-port contre la dent,
Contre la griffe tout autant 1.
L'édit du Prince s'exécute :
De chaque espèce on lui députe.
Les Renards gardant la maison,
Un d'eux en dit cette raison3:

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1. « J'ai déjà observé que ces formules prises dans la société des hommes et transportées dans celle des bêtes ont le double mérite d'être plaisantes et de nous rappeler sans cesse que c'est de nous qu'il s'agit dans les fables. » (CHAMFORT.) — « La fable, dit M. Taine (p. 89), imite à l'occasion le style de la chancellerie et le vieux langage officiel, copie les passe-ports..., parle de défrayer

Les députés, eux et leur suite.

Il est vrai que le passe-port ne les protégera guère, et que vives, au lieu de manger le souper, le fourniront. >>

les con

2. Gardent, au lieu de gardant, dans les éditions de 1688 et de 1708. 3. Dans les fables grecques et latines, l'action a un tour plus vif. Le Renard approche de l'antre; un dialogue s'établit entre lui et le Lion, et c'est au Lion même qu'il dit la bonne raison qu'il a de ne pas entrer. Un joli trait de ce dialogue, dans Babrius, est l'appel que le Lion fait à la petite vanité du conteur, du causeur :

Δεύρο, γλυκεῖα, και με ποικίλοις μύθοις

Παρηγόρησον ἐγγὺς ὄντα τῆς μοίρης.

4. Platon, dans le 1er Alcibiade (chapitre xvIII), emploie comme

Par ceux qui s'en vont faire au malade leur cour,
Tous, sans exception, regardent sa tanière;

un proverbe, et sans rien qui sente la leçon morale, le mot du Renard. « Depuis peu, dit Socrate, l'argent de toute la Grèce, et souvent même celui de l'étranger, entre dans Lacédémone, et n'en sort jamais. Véritablement, comme dit le Renard au Lion, dans Ésope, je vois fort bien les traces de l'argent qui entre à Lacédémone, mais je n'en vois point de l'argent qui en sort. » (Traduction de V. Cousin, tome V, p. 82.) C'est par une allusion semblable que la Fontaine lui-même a dit des greffes où la justice ordonnait certains dépôts:

Le greffe tient bon

Quand une fois il est saisi des choses;

C'est proprement la caverne au Lion :

Rien n'en revient; là les mains ne sont closes

Pour recevoir; mais pour rendre, trop bien :

Fin celui-là qui n'y laisse du sien.

(L'Oraison de saint Julien, conte v du livre II, vers 341-346.)

Nous voyons dans les fragments 2-4 du livre XXX de Lucile, qu'il s'est aussi souvenu de cette fable du Renard et du Lion (Leonem ægrotum ac lassum), mais nous ne savons pas quelle application il a pu faire du récit, qui sans doute était complet dans sa satire :

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Deducta tunc voce Leo: « Cur tu ipsa venire

Non vis huc ?...

Quid sibi vult, quare fit ut intro versus et ad te
Spectent atque ferant vestigia se omnia prorsus ? »

- Horace, en rapportant la réponse du Renard, étend allégoriquement le sens de la fable: il ne se laissera pas attirer au fond de cette caverne du vice ou de la folie, où se précipite le sot troupeau :

Quod si me populus romanus forte roget cur
Non, ut porticibus, sic judiciis fruar isdem,
Nec sequar aut fugiam quæ diligit ipse vel odit,
Olim quod Vulpes ægroto cauta Leoni
Respondit referam : « Quia me vestigia terrent
Omnia te adversum spectantia, nulla retrorsum. »
(Epitre 1 du livre I, vers 70-75.)

Une allusion célèbre est celle qu'on met dans la bouche de Rodolphe de Habsbourg. Déclarant son intention de ne pas intervenir en Italie, où, depuis Othon le Grand, ses prédécesseurs avaient vu

Pas un ne marque de retour" :
Cela nous met en méfiance.
Que Sa Majesté nous dispense :
Grand merci de son passe-port;
Je le crois bon; mais dans cet antre
Je vois fort bien comme l'on entre,

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Et ne vois pas comme on en sort 7. »

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se fondre tant d'armées impériales: « C'est, dit-il, la caverne du Lion, où l'on entre, mais d'où l'on ne revient pas". »

5. « Peut-être, dit Chamfort, était-il d'un goût plus sévère de s'arrêter là et de ne pas ajouter les vers suivants, qui n'enchérissent en rien sur la pensée. Cependant on a retenu les trois derniers vers de cet apologue, et c'est ce qui justifie la Fontaine. » Il n'est nul besoin, croyons-nous, de justification; est-il nécessaire que toute addition enchérisse? Ici, comme en maint endroit, on peut dire hardiment, ce nous semble, qu'il est bon que le goût de l'auteur n'ait pas été d'accord avec celui de son trop fin critique.

6. Les anciennes éditions écrivent en un seul mot granmercy ou grammercy: voyez tome I, p. 292, note 10.

7. Dans le récit qui vient à la suite de l'emblème de Corrozet, le Renard dit :

J'ay veu entrer une trouppe de bestes....
Je veoy les pas comme elles sont entrées,
Mais non les pas comme sont retournées;

et dans le quatrain LV de Benserade :

De ceux qui s'en vont là, dit-il, je vois les pas,
Et ne vois point les pas de ceux qui s'en reviennent.

• L'Allemand Fischart, dans sa traduction libre du Gargantua (édition de 1582, chapitre Xxxvii répondant au xxxшo de Rabelais, à la délibération de Pierochole), cite cette réponse de Rodolphe et un avertissement donné, de la même manière, par le fou de Léopold d'Autriche, au conseil de guerre préparant un plan de campagne contre la Suisse. D'après un passage des Annales en latin de Gérard de Roo (Halae Magdeburgicae, 1709), cité dans l'Histoire de la maison d'Autriche par William Coxe, traduction française, 1809, tome 1, p. 86, Rodolphe aurait raconté toute la fable, et Gilbert Cousin (Cognatus) dit de lui, dans sa Narrationum sylva (1567), à la page citée dans la notice (plus haut, p. 44): Solitus est.... hanc Esopi fabulam recitare.

FABLE XV.

L'OISELEUR, L'AUTOUR, ET L'ALOUETTE.

Le

Abstemius, fab. 3, de Accipitre Columbam insequente. - Haudent, 2o partie, fab. 64, d'un Espreuier, d'une Colombe et d'un Oyseleur. Verdizotti, fab. 86, dello Sparviero che seguiva una Colomba. Noble, fab. 54 (tome I), du Faucon et de la Colombe. Le piége. (II s'est répété dans son conte 87, qui a pour titre de l'Émerillon et de l'Oiseleur. Le voleur pris.)

Mythologia sopica Neveleti, p. 537.

C'est au très-court récit d'Abstemius, terminé, comme le sien, par le mot sans réplique de l'Oiseleur à l'Autour, que la Fontaine paraît avoir emprunté sa fable : l'Épervier, poursuivant la Colombe jusque dans une ferme, y est pris par un villageois. Ce sujet a été traité, antérieurement à Abstemius, dans l'Ysopet 1; il s'y trouve d'abord développé en distiques latins par un vieil anonyme, puis amplifié encore par l'auteur français; le modèle et l'imitation, également curieux, ont été publiés par Robert (tome II, p. 40-47) : de Niso et Columba, « de l'Esprevier et du Coulon ». Les deux acteurs principaux s'y répandent en discours de la plus naïve invention. La Colombe, demandant grâce à l'Épervier, lui rappelle l'arche de Noé, où elle fut en sa compaignie, et où elle rapporta le rameau; elle lui rappelle aussi et le Saint-Esprit qui lui a pris sa forme, et Notre-Dame qui a été nommée par son beau nom. Puis elle essaye des promesses; elle lui en fait une odieuse :

Spondeo de pullis munus habere meis.

Un te promet de mes pijons,

Après l'hiuer, quand vient li jons (le jeune, le petit).

Elle finit par lui faire peur du roi des oiseaux, au tribunal duque ne manquera pas de l'appeler son maitre le curé, qui depuis longtemps a fait amitié avec ce grand juge et l'a gagné par ses présents. L'Épervier, qui a aussi appris à l'école mainte maxime et connaît sainte page, n'est pas à court d'arguments :

Le bien que Dieu m'a enuoié

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