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Que diroit ce dernier sur ces exemples-ci ?
Ce que j'ai déjà dit 67: qu'aux bêtes la nature
Peut par les seuls ressorts opérer tout ceci;

Que la mémoire est corporelle 68;

Et que, pour en venir aux exemples divers
Que j'ai mis en jour dans ces vers,
L'animal n'a besoin que d'elle.

L'objet, lorsqu'il revient, va dans son magasin
Chercher, par le même chemin,
L'image auparavant tracée,

Qui sur les mêmes pas revient pareillement,
Sans le secours de la pensée,

Causer un même événement 69
Nous agissons tout autrement :
La volonté nous détermine,

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Non l'objet, ni l'instinct. Je parle, je chemine :
Je sens en moi certain agent;
Tout obéit dans ma machine 70

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points, les théories d'Épicure, et qui combattit, dans plusieurs de ses ouvrages, les systèmes physiques et métaphysiques de Descartes. On peut voir ce qu'il dit, au sujet de la théorie de l'âme des bêtes, dans ses.... Dubitationes.... adversus.... Cartesii metaphy sica (1644, p. 44 et 73), et dans l'édition des OEuvres de Descartes, de Cousin, tome II, p. 111-113.

67. Voyez ci-dessus, vers 29-66. Ce premier exposé de la doctrine que notre fabuliste voudrait qu'on lui mît d'accord avec les faits, et le nouvel exposé qui suit, se complètent réciproquement, et peuvent, rapprochés, servir çà et là à s'expliquer l'un l'autre.

68. C'est-à-dire qu'il n'est pas besoin, pour expliquer la mémoire des bêtes, de supposer une âme, un « principe distinct du corps >> (vers 157-158). C'est ce qu'expliquent ces mots de la suite : « l'image tracée dans le magasin, le cerveau, et que les nerfs vont chercher. » 69. Événement, « effet, » mot à ajouter aux traductions que donne Littré, à 3o.

70. Nous avons la même rime machine-chemine aux vers 30-33, dans l'ordre inverse. Elle revient fréquemment (livres I, fable viii, vers 12 et 17; VII, fables 1x, vers 9 et 11; XVIII, vers 22 et 23).

A ce principe intelligent.

Il est distinct du corps, se conçoit nettement,

Se conçoit mieux que le corps même": De tous nos mouvements c'est l'arbitre suprême. 160 Mais comment le corps l'entend-il?

C'est là le point. Je vois l'outil

Obéir à la main; mais la main, qui la guide?
Eh! qui guide les cieux et leur course rapide?
Quelque ange est attaché peut-être à ces grands corps ".
Un esprit vit en nous, et meut tous nos ressorts;
L'impression se fait : le moyen, je l'ignore :
On ne l'apprend qu'au sein de la Divinité;
Et, s'il faut en parler avec sincérité,

Descartes l'ignoroit encore 73.

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71. « L'âme par laquelle je suis ce que je suis est entièrement distincte du corps et même.... est plus aisée à connoître que lui. » (Discours de la Méthode, p. 34.) — Le vers suivant, où la Fontaine attribue à Descartes l'opinion que « le principe intelligent » est « l'arbitre suprême de tous nos mouvements,» sans exception, ne permet-il pas de supposer, comme déjà le vers 32, qu'il ne connaissait pas, quoiqu'elle eût été publiée, nous l'avons dit, en 1666, la correspondance avec More? Voyez le passage cité, plus loin, dans la note 92, sur les deux principes de nos mouvements, l'un que le philosophe considère comme nous étant commun avec les bêtes, et l'autre qu'il refuse à celles-ci. On peut dire qu'aux mots : «< arbitre suprême,» s'attache, avec intention, un sens plus fort qu'à « principe »; mais tous » reste toujours peu d'accord avec l'opinion de Descartes.

72. Quelque ange comme celui que l'apôtre (Apocalypse, chapitre XIX, verset 17) voit dans le soleil, comme l'archange Uriel dont Milton, au livre III, vers 690, du Paradis perdu, fait le « régent », non de tous les cieux, il est vrai, mais de cet astre. Grand corps est l'expression de Virgile (Énéide, livre VI, vers 727), dans l'antique supposition faite pour expliquer, par une âme du monde, le même mystère :

Mens agitat molem et magno se corpore miscet.

73. Dans cette belle et si naturelle digression, où, passant, de sa comparaison de la bête avec l'homme, à tout l'ensemble de

Nous et lui là-dessus nous sommes tous égaux :
Ce que je sais, Iris, c'est qu'en ces animaux

Dont je viens de citer l'exemple,

Cet esprit n'agit pas : l'homme seul est son temple".
Aussi faut-il donner à l'animal un pointTM,

Que la plante, après tout, n'a point :
Cependant la plante respire.

Mais que répondra-t-on à ce que je vais dire?

LES DEUX RATS, LE RENARD, ET L'OEUF 76.

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Deux Rats cherchoient leur vie ; ils trouvèrent un œur. Le dîné suffisoit à gens de cette espèce :

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l'univers, le fabuliste se demande, d'une manière générale, sans trouver de réponse, « par quel moyen l'impression peut se faire, » de l'esprit sur la matière, Chamfort admire fort justement ce « mouvement très-vif, très-noble, » qui « ne déparerait pas, dit-il, un ouvrage d'un plus grand genre >> :

Eh! qui guide les cieux, etc.?

74. Il ne concède point par là que l'animal est un pur automate; mais se résigne seulement ici à convenir que ce qui « agit en lui »> n'est pas «< ce principe intelligent, arbitre de tous nos mouvements, ni cette volonté qui nous détermine » (voyez les vers 153-160). Le mot temple rappelle le passage, souvent cité, de Sénèque (épître xxx1, § 9): « Quid aliud vocas hunc (animuin) quam deum in humano corpore habitantem? »

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75. Un je ne sais quoi, qui manque à la plante, bien que la vie lui soit commune avec la bête, chez qui Descartes explique tout par la vie, le jeu des organes. Pour ne pas entrer ici en lutte avec le philosophe, le fabuliste ne définit pas le point « qu'il faut donner à l'animal » et se borne, pour le moment, à le déclarer logiquement nécessaire.

76. Nous ignorons et nous ne trouvons pas qu'on ait dit nulle part où la Fontaine a pris cette histoire des Deux Rats, que le docteur Netter, dans l'ouvrage cité à la notice, traite (le mot est dur!) d' « extravagante bouffonnerie » (p. 375). Nous donnons à l'Appendice un autre récit, non moins frappant ou, si l'on veut, non moins invraisemblable, du voyageur Challes, déjà cité par M. MartyLaveaux (tome V, p. 283-286). On peut rapprocher aussi une

Il n'étoit pas besoin qu'ils trouvassent un bœuf".
Pleins d'appétit et d'allégresse,

Ils alloient de leur œuf manger chacun sa part,
Quand un quidam 78 parut : c'étoit maître Renard.
Rencontre incommode et fâcheuse :

Car comment sauver l'œuf? Le bien empaqueter,
Puis des pieds de devant ensemble le porter,
Ou le rouler, ou le traîner:

C'étoit chose impossible autant que hasardeuse.
Nécessité l'ingénieuse 79

Leur fournit une invention.

Comme ils pouvoient gagner leur habitation,
L'écornifleur 80 étant à demi-quart de lieue,

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preuve analogue d'étonnant instinct que Pline (livre VIII, chapitre LV, S 37) attribue, mais (énorme différence pour la conclusion philosophique qui s'en peut tirer) comme ordinaire et non occasionnelle, aux marmottes, qu'il nomme « rats des Alpes (mures alpini). Il raconte que, avant leur sommeil annuel, elles font ensemble, le mâle et la femelle, provision de fourrage, que l'une des deux, chacune à son tour, se couche sur le dos, que l'autre lui met un faix d'herbe sur le ventre, la traîne par la queue, avec les dents, jusqu'à leur gîte. Nous avons rapporté plus haut un autre exemple tout semblable à la fin de la citation du Fureteriana, sur les boubaks, note 61.

77. Cette plaisanterie peut bien avoir été, comme on l'a dit, amenée par la rime (la même qu'au livre I, fable I, vers 1-3); mais l'idée que la rime a suggérée au poëte vient là fort à propos, et elle est bien, c'est le meilleur éloge, dans la manière du fabuliste. 78. Même mot aux vers 69 de la fable 1 du livre III, et 81 du conte iv de la III partie.

79. « Un être abstrait personnifié, mais avec quel naturel! » dit Nodier très-justement. Nous trouverons une personnification plus marquée, avec le synonyme besoin, au livre X, fable i,

vers II.

80. Écornifler, c'est venir prendre indiscrètement sa part de quelque chose ou même la voler. Scarron, dans le Virgile travesti (livre III, p. 240 de l'édition de 1695), applique le mot d'écornifleuses aux Harpies, et Voltaire, dans une lettre de 1766 (tome LXIII, p. 355), nomme les plagiaires « écornifleurs du Parnasse. »

L'un se mit sur le dos, prit l'œuf entre ses bras 81
Puis, malgré quelques heurts" et quelques mauvais pas,
L'autre le traîna par la queue.

Qu'on m'aille soutenir, après un tel récit,

Que les bêtes n'ont point d'esprit 83!

Pour moi, si j'en étois le maître,

Je leur en donnerois aussi bien qu'aux enfants.

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81. Application humanisante, comme celle du mot doigts en parlant du Chat, fable xvii de ce livre, vers 21: voyez la note 11 de la page 445.

82. Comparez livre VII, fable xi, vers 30.

83. Les bêtes ne sont pas si bêtes que l'on pense,

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a dit Molière dans le prologue d'Amphitryon, vers 108. Le docteur Netter, p. 373, qui traite, nous l'avons vu (note 76), ce « récit d'extravagant, se donne la spirituelle licence de prétendre que c'est de lui-même que la Fontaine entend parler dans ces deux derniers vers.

84. Aristote fait la même comparaison dans l'Histoire des animaux, livre VIII, chapitre 1, § 3 : « Ces rapprochements (entre l'homme et la bête) sont surtout frappants quand on regarde ce que sont les enfants, et cette période de la vie humaine.... A ce moment, l'âme de l'enfant ne diffère en rien, on peut presque dire, de celle des animaux. » Quant à Descartes, toujours dans ses lettres à More (tome X, p. 241), il n'accorde une âme aux enfants que pour une raison qui ne se peut pas alléguer pour les bêtes : « Je ne croirois pas, dit-il, que les enfants eussent une âme si je ne voyois qu'ils sont de la même nature que les adultes. » — Au sujet de cette pensée, quasi-pensée des bêtes, il y a lieu, croyonsnous, de renvoyer à diverses pièces, d'une poétique originalité, inspirées à M. Leconte de Lisle, dans ses Poëmes tragiques et ses Poëmes barbares par « les rêves ténébreux, les aspirations confuses, l'âme inachevée de ces créatures rudimentaires dans lesquelles la pensée palpite et se débat, dormeuse qui soupire après son éveil »> : nous répétons les termes, ingénieusement approximatifs, employés par M. Paul Bourget, dans un remarquable portrait de ce poëte inséré, tout récemment, au Journal des Débats du 13 avril 1884.

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