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Et cependant Bertrand les croque “. Une servante vient : adieu mes gens. Raton N'étoit pas content, ce dit-on".

Aussi ne le sont pas la plupart de ces princes
Qui, flattés d'un pareil emploi,
Vont s'échauder 15 en des provinces

Pour le profit de quelque roi".

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13. Ceci paraît à M. Taine, au sens allégorique, moins naturel et moins vrai. « Il est rare, dit-il, que Bertrand les croque, et Raton d'ordinaire n'est pas une dupe, mais un fripon. »

14. Voyez ci-dessus la note 13 de la page 210, et pour l'aussi avec négation, du vers suivant, p. 363, vers 26.

15. Métaphore on ne peut mieux choisie. C'est le mot même applicable à l'action du Chat, comme le fait sentir M. Taine (cidessus, note 12), que le poëte fait passer du sens propre au sens figuré.

16. Voyez, dans la notice, de quelle manière Chamfort explique cet épilogue, en le critiquant. Noël du Fail se souvient, lui, ‹ des grands princes qui gagent la vie de cinquante mille hommes, où ils ne couchent rien du leur, ressemblants au Singe qui tire les chastaignes de sous la braise avec la patte du Lévrier endormi au foyer. »

FABLE XVIII'.

LE MILAN ET LE ROSSIGNOL.

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Anonyme de Abstemius, fab. 92, G. Cognatus, p. 31,

Hesiode, Εργα και Ημέραι, vers 202-212. -- Ésope, fab. 3, 'Andwv xaì lépa (Coray, p. 4, 5, 281, sous trois formes, dont la seconde est la fable d'Hésiode que nous citons en tête). Nevelet, fab. 45, de Accipitre et Philomela, de Luscinia cantum Accipitri pro vita pollicente. de Accipitre et Luscinia. - P. Candidus, fab. 133, Accipiter et Luscinia; fab. 135, même titre; fab. 134, Accipiter et Luscinia canens. — Marie de France, fab. 57, de l'Ostour et dou Roussegnol. Haudent, 2° partie, fab. 3, d'un Roussignol et d'un Espreuier. - Le Théâtre des animaux, p. 51, le Milan et le Rossignol.

Mythologia sopica Neveleti, p. 87, p. 519, p. 573.

Cette fable est la septième du recueil de Fables nouvelles, de 1671. Voyez, à la notice de la fable précédente (p. 443), ce que Mme de Sévigné dit, dans une de ses lettres, de cette fable et de deux autres publiées dans ce recueil.

Saint-Marc Girardin, dans sa 11° leçon (tome 1, p. 25-26), rapproche cet apologue de celui d'Hésiode; on trouvera à l'Appendice de ce volume sa traduction et le commentaire qu'il y ajoute. Dans la fable ésopique, le Rossignol ne promet pas à l'Épervier de le dédommager par ses chants; il lui dit seulement de chercher des oiseaux plus gros, un régal plus substantiel. Mais l'Épervier répond: « Je serais bien fou de lâcher la proie que j'ai entre les pattes, pour en poursuivre une qui ne se montre pas encore. » C'est aussi l'épilogue d'une des versions de Candidus (Weiss), qui traite de trois manières différentes le sujet, pour en déduire les moralités diverses auxquelles il se prête, et en rattache une double à deux des trois.

1. Cette fable ne porte pas de numéro dans l'édition de 1679, non plus que les deux suivantes, et, au titre courant, livre I est substitué, par erreur, à livre 111 (voyez ci-dessus, la note i de l'Avertissement du livre VII, p. 79).

M. Taine (p. 195–197) compare Ésope à la Fontaine, pour montrer comment celui-ci change la morale de l'apologue, plutôt que d'altérer le vrai caractère de ces animaux. « Le moraliste ancien, dit-il, n'a trouvé ici qu'un précepte de prévoyance. Le poëte a détesté la grossière gloutonnerie et l'ignorance brutale de la bête sauvage. Il l'a vue, comme nous, les griffes enfoncées dans sa proie, arracher des lambeaux sanglants, et se gorger de chair crue jusqu'à étouffer. Mais il a eu pitié de l'oiseau délicat, musicien, poëte comme lui-même. La frêle et triste créature « qui chante en « gémissant Itys, toujours Itys, » a la sensibilité souffrante, les longs souvenirs d'une femme offensée, et en même temps la fierté innocente et le langage élégant d'un artiste. » Hésiode, après la prudente maxime : « Insensé qui lutte avec plus puissant que soi, » s'apitoie aussi avec une touchante simplicité: Υβρις γάρ τε κακὴ daλ ßpóτw, « l'injuste violence est mauvaise pour le pauvre mortel. » Cognatus (Cousin) fait également, avec pitié, contraster la cruauté et l'innocence: Hæc Accipitris crudelitas ostendit ipsam innocentiam apud tyrannos numquam fore tutam.

Dans la fable de Marie de France c'est l'Autour qui ordonne au Rossignol de chanter, et le Rossignol lui répond :

Sire, feit-il, jeo ne porroie

Tant cum si près de moi vus voie ;
Mais s'il vus plest à remuer

E sus un autre fust munter,
Ge canteroie mult plus bel.

Comme le remarque M. Moland, on croit entendre quelque pauvre trouvère, peut-être Marie de France elle-même, intimidé par la présence de quelque terrible seigneur féodal, d'un de ces mille petits tyrans habitués à abuser de leur pouvoir.

Dans une fable analogue de Kryloff, le Chat et le Rossignol (la xIve du livre VII), c'est pis que le voisinage, la peur inspirée par la simple présence, qui empêche d'obéir : le Chat, pressant l'oiseau sous sa patte, l'invite méchamment à chanter : il le làchera à cette condition. Mais le pauvre Rossignol, au lieu de chanter, crie, et le Chat le croque.

« Cet apologue est bien inférieur au précédent, dit Chamfort. La seule moralité qui en résulte ne tend qu'à épargner au malheureux opprimé quelques prières inutiles que le péril lui arrache. Cela n'est pas d'une grande importance. » Chamfort ne paraît pas

avoir compris ce qu'il y a de touchant dans cette protestation du talent et de l'innocence contre l'injustice brutale. « Il est important, dit M. Soullié (p. 57), de faire rougir la tyrannie de ses procédés insolents ou stupides, d'en faire la satire, et c'est la moralité qui résulte de cet apologue, de celui du Loup et l'Agneau, du Lion qui se fait, comme l'on dit, la part du Lion, de l'Homme et la Couleuvre, etc. »

malheur.

Après que
le Milan, manifeste voleur,
Eut répandu l'alarme en tout le voisinage,
Et fait crier sur lui les enfants du village,
Un Rossignol tomba dans ses mains par
Le héraut du printemps3 lui demande la vie.
« Aussi bien que manger en qui n'a que le son3 ?
Écoutez plutôt ma chanson :

Je vous raconterai Térée et son envie 7.

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2. «Mains, pour serres: c'est que tous les milans, dit l'abbé Guillon, ne sont pas oiseaux. » Il oublie, dans sa remarque à qui il ne manque, pour être ingénieuse, que d'être applicable, que mains est le terme propre ici, en langage de fauconnerie: voyez le Vocabulaire de Lorin, p. 162, et l'Essai de M. Marty-Laveaux, p. 13. — Dans la fable d'Haudent, c'est au moment où le Rossignol fait entendre ses chants harmonieux que l'Épervier fond sur lui : Ainsi qu'un Roussignol sur champs Chantoit de la gorge a plaisir

Et donnoit harmonieux chantz,
Un Espreuier, ayant desir

De le menger, le vint saisir.

3. Cette périphrase rappelle celle de Saint-Amant, qui, dans Moyse sauvé (VIII° partie, tome II, p. 269, de l'édition Livet, 1855), nomme les oiseaux des champs :

Les petits précurseurs de la saison plaisante.

4. Aussi bien, équivalent à « dans le fait, » et pouvant souvent se remplacer par « d'ailleurs », ou « au reste ».

5. Vers d'une concision très-expressive; on voit par le vers 9 combien la raison est déterminante pour l'oiseau de proie.

6. Voyez la fable xv du livre III, et la note 6 de la page 246. 7. Sa passion, libido. L'idée est énergiquement reprise dans la réplique suivante du Rossignol.

J. DE LA FONTAINE, II

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Qui, Térée? est-ce un mets propre pour les milans?

Non pas; c'étoit un roi dont les feux violents
Me firent ressentir leur ardeur criminelle 8.
Je m'en vais vous en dire une chanson si belle
Qu'elle vous ravira : mon chant plaît à chacun. »
Le Milan alors lui réplique :

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« Vraiment, nous voici bien, lorsque je suis à jeun, 15 Tu me viens parler de musique'.

-J'en parle bien aux rois. —

Quand un roi te prendra,

Tu peux lui conter ces merveilles.

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Pour un milan, il s'en rira1o :

Ventre affamé n'a point d'oreilles“. »

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8. A remarquer le frappant contraste de cette périphrase en noble poésie avec la brutale brièveté de la question. « Ces deux vers, dit M. Taine (p. 196), de style si correct et si bien tournés, ne conviennent qu'à une dame du temps, à une héroïne du beau monde. Voilà de ces délicatesses qui ne se rencontrent que dans la Fontaine. >>

9. Ces deux derniers vers, ainsi que le 9°, font penser, ce n'est pas à dire qu'ils y aient donné naissance, à la locution populaire : « Cela se mange-t-il ? »

10. La grossièreté du glouton est à rapprocher, pour le contraste, de la clémente pitié inspirée par le chant du Cygne (vers 18-19 de la fable x11 du livre III) :

Non, non, ne plaise aux Dieux que jamais ma main coupe
La gorge à qui s'en sert si bien !

11. « L'estomach affamé n'a poinct d'aureilles, il n'oyt goutte, » dit Rabelais (chapitre LXIII du quart livre, tome II, p. 494). Le vieux Caton commençait par ce même proverbe une harangue au peuple romain qui demandait une distribution de blé. Voyez sa Vie dans Plutarque, tome I, p. 618, de la traduction d'Amyot (1578). Chez Candidus (Weiss), le glouton tourne ainsi, dans sa réponse, le dicton populaire :

Explere ventrem curo, non aures, ait.

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