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C'est verifier le prouerbe Lombardique: Passato el pericolo, gabato (« moqué, méprisé ») el santoa. »

Dans un recueil de contes dévots intitulé Promptuarium exemplorum discipuli, déjà cité ci-dessus, p. 215, se trouve, sous le mot Votum (ordre alphabétique), l'historiette suivante, « dont le fond et la forme montrent, dit M. Soullié (il la cite, p. 121), une naïveté vraie et une crédulité sérieuse qui a son charme » : Rusticus quidam cum duceret vaccam et vitulum ad montem Sancti Michaelis, qui, de periculo maris timens, quare, quando viam attigit, et fluctus eum invasit, exclamans dixit : « O sancte Michael, adjuva me et libera me, et dabo tibi vaccam et vitulum. » Et sic liberatus, dixit : « Bene fatuus erat sanctus Michael qui credebat quod darem sibi vaccam meam et vitulum meum. » Et iterum fluctus eum invasit, et iterum exclamavit, et dixit : « O beate Michael, adjuva me et libera me, et dabo tibi vaccam et vitulum. » Et sic liberatus iterum, dixit : « O sancte Michael, nec vaccam nec vitulum habebis.» Cum autem sic, quasi securus, incederet, ecce iterum fluctus involvens eum et suffocans eum, et vaccam et vitulum cum eo suffocavit.

Voici la traduction française telle qu'on la lit dans la Fleur des commandemens de Dieu, avec plusieurs exemples et auctoritez extraites tant des saintes escriptures que d'autres docteurs bons anciens pères. Lequel est moult utile et prouffitable à toutes gens. (Paris, M. D. XLVIII, in-fol., p. lviiii): Sur le premier commandement : « Il est escript en aucuns liures, aussi le disciple le recite en son Promptuaire et dit que, comme ung Rustique menoit sa vache et son veau en la montaigne Sainct-Michel, craingnit du peril de la mer, car les undes d'eaue vindrent à luy, en criant il dit : « O sainct << Michel, ayde-moi, et me deliure, et ie te donneray la vache et << le veau. » Quand il fut deliuré, il dit : « Sainct Michel estoit a bien fol de croire que ie luy donneroye ma vache et mon veau. »> Et de rechief les undes de la mer vindrent à luy, et de rechief il cria et dit : « O bon sainct Michel, ayde-moi et me deliure, et ie te << donneray ma vache et mon veau, » Quand il fut deliuré, il dit : << O sainct Michel, tu n'auras ne le veau ne la vache. » Et comme il estoit ainsy comme seurement, les undes de la mer vindrent de rechief qui le suffoquèrent et noyèrent luy et sa vache et son veau.»

«

2. Les Espagnols disent: El rio passado, el santo olvidado (« ou-) blié »). Boileau développe l'idée à la fin de sa satire 1 (1666,

Ô! combien le péril enrichiroit les Dieux,

Si nous nous souvenions des vœux qu'il nous fait faire! Mais, le péril passé, l'on ne se souvient guère

De ce qu'on a promis aux Cieux;

On compte seulement ce qu'on doit à la terre3.
Jupiter, dit l'impie, est un bon créancier;

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Il ne se sert jamais d'huissier.

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Eh! qu'est-ce donc que le tonnerre*?

Comment appelez-vous ces avertissements? >>

Un Passager, pendant l'orage,

Avoit voué cent boeufs au vainqueur des Titans.
Il n'en avoit pas un vouer cent éléphants

5

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vers 155 et suivants, où il est parlé, comme dans les premiers vers de la fable, de la foi inspirée à l'homme par un péril quelconque. 3. Ce qu'exigent les besoins ou même les plaisirs de la vie. 4. « Le tonnerre n'est point un huissier, » dit Chamfort; nous le savons, et la Fontaine le savait aussi probablement. Ce passage inattendu d'un mot très-familier et d'usage vulgaire à un autre de sens ici terrible, est une de ces hardiesses qui, chez lui, étonnent peu. Ceux même qui, malgré son énergie, la trouveraient d'un goût douteux, conviendront, pensons-nous, en tout cas, qu'elle ne méritait pas la docte semonce du commentateur, qui prend la peine, à ce propos, de nous donner cet à-peu-près d'explication, que le tonnerre « est le bruit formé par le choc des nuages », etc.

5. C'est la même idée qui a inspiré à Juvénal ces beaux vers (223-228 de la satire XIII):

Hi sunt qui trepidant et ad omnia fulgura pallent,

Quum tonat, exanimes primo quoque murmure cœli;
Non quasi fortuitus, nec ventorum rabie, sed
Iratus cadat in terras et judicet ignis.

Illa nihil nocuit; cura graviore timetur

Proxima tempestas, velut hoc dilata sereno.

6. De la puissance duquel on peut donc tout se promettre. La périphrase ici n'est pas un simple ornement poétique; elle complète et motive, comme dans les vers, si connus, de Racine :

Celui qui met un frein à la fureur des flots,
Sait aussi des méchants arrêter les complots.
(Athalie, acte I, scène 1, vers 61-62.)

N'auroit pas coûté davantage.

Il brûla quelques os quand il fut au rivage :
Au nez de Jupiter la fumée en monta.

« Sire Jupin", dit-il, prends mon vœu; le voilà :
C'est un parfum de bœuf que ta grandeur respire.
La fumée est ta part : je ne te dois plus rien'.
Jupiter fit semblant de rire ;

15

Mais, après quelques jours, le Dieu l'attrapa bien", 20
Envoyant un songe11 lui dire

Qu'un tel trésor étoit en tel lieu. L'homme au vœu
Courut au trésor comme au feu 12.

Il trouva des voleurs; et, n'ayant dans sa bourse
Qu'un écu pour toute ressource,

25

7. A remarquer la familière apostrophe, qui fait un insolent contraste avec le vainqueur des Titans, dont on n'a plus besoin.

8. Moqueries, à la façon de l'irrespectueux Lucien, ici du Passager, et, au vers 15, du poëte.

9. Dans l'apologue ésopique intitulé Péva, ce n'est point de la fumée que le Trompeur offre aux Dieux, mais cent bœufs, façonnés de ses mains avec de la pâte, qu'il sacrifie sur leur autel. — Dans la fable d'Haudent, le Poure homme, un peu plus consciencieux au moins que les deux Trompeurs d'Ésope et de la Fontaine, ramasse les ossemens de cent bœufz, pour les immoler aux Dieux.

10. Le fabuliste, nous venons de le remarquer, parle du maître des Dieux avec le même sans-façon que le Passager. « La Fontaine a toujours le style de la chose. Ce n'est jamais la qualité des personnages qui le décide. Jupiter n'est qu'un homme, dans les choses familières; le Moucheron est un héros, lorsqu'il combat le Lion. Rien de plus philosophique, et en même temps rien de plus naïf que ces contrastes. » (MARMONTEL, Éléments de littérature, à l'article FABLE, tome VII, p. 382, des OEuvres complètes, 1787.)

11. Comme à Agamemnon, au commencement du II chant de l'Iliade. Le songe est également « un avis des Dieux, » au vers 15 de la fable IV du livre XI.

12. Rapprochement peu naturel de deux idées disparates : on court au feu pour l'éteindre, à un trésor pour le prendre. Rien de commun que la vitesse; mais, en bien des cas, la locution est ainsi employée sans qu'il y ait nul autre rapport que celui de grande hâte.

Il leur promit cent talents d'or13,

Bien comptés, et d'un tel trésor":

On l'avoit enterré dedans telle bourgade.

L'endroit parut suspect aux voleurs, de façon

Qu'à notre prometteur l'un dit : « Mon camarade 15, 30 Tu te moques de nous; meurs, et va chez Pluton 16 Porter tes cent talents en don17.

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17

D

13. Le talent était, chez les Grecs, un poids, et une monnaie de compte. Sur la valeur très-considérable du talent d'or attique, voyez Littré, 1o. Dans la note 6 de notre tome I, p. 100, il eût fallu dire que le talent dont on indiquait la valeur approximative était celui d'argent, et ajouter que celui d'or valait environ seize fois autant. L'écu du Passager « sonne un peu faux, dit Solvet (1812), auprès de ces talents d'or, et de l'hécatombe, quelques vers plus haut, » qui reportent le lecteur aux temps anciens. On sait que ces sortes d'anachronismes et de dissonances, surtout dans les genres familiers, choquaient beaucoup moins le goût de nos pères qu'ils ne font aujourd'hui le nôtre. Celui d'écu d'ailleurs, bien que désignant, au propre, une monnaie qui n'a plus cours, continue de s'employer très-fréquemment, comme terme général.

14. D'un trésor déterminé, qu'il leur désigne, sens bien marqué par le vers suivant, où le féminin est employé dans la même acception qu'ici tel; il l'est déjà, au reste, deux fois, au vers 22.

15. Même emploi familier du mot à la fin de l'Amour mouillé (conte xii de la III partie, vers 44).

16. Voyez la note 10 de la page 304.

17. Dans la fable ésopique citée à la note 9, le Trompeur, fait prisonnier par les pirates, leur promet jusqu'à mille talents d'or; ils n'ajoutent pas foi à sa promesse, mais, au lieu de le mettre à mort, ce qui ne leur rapporterait rien, ils le vendent pour mille drachmes. Dans la fable d'Haudent, les « trois gros ribaulx » qui l'ont pris le punissent de son mensonge en le pillant « iusques à sa chemise. >>

FABLE XIV.

LE CHAT ET LE RENARD,

Roman du Renart, édition Méon, tome IV, p. 260-264, vers 33673464, Ensi conme Tibers li Chaz est montez seur un arbre.... et Renart est par desous..., etc. Ensi conme uns Bouchers, qui menoit un buef et un tor et deus chiens, avisa Renart, si le fist pillier au chiens, qui moult le domagèrent. J. Grimm, Reinhart Fuchs, fables latines p. CLXXXVIII et 421, fable allemande p. 363 (voyez aussi Burkhard Waldis, Esopus, livre II, fable xx1, et le n° 75 des Kindermärchen des frères Grimm, ainsi que les rapprochements indiqués dans la note du tome III de ces contes, p. 125).—Marie de France, fab. 98, dou Goupis et de uns Chaz, avec sa source latine, tirée par Robert d'un manuscrit du quatorzième siècle et imprimée dans son tome II, p. 549-5501. — Thomas Wright, Latin stories, p. 57. Fables ésopiques de Camerarius, fab. 239 et 396, Ictis et Vulpes; Vulpes et Erinaceus. — G. Cognatus, p. 97, de Vulpe et Fele. Jacques Regnier, pars 1, fab. 28, Catus agrestis et Vulpes. dent, 2o partie, fab. 49, d'un Chat et d'un Regnard. fab. 24, du Chat et du Renard.

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HauLe Noble,

Dans la fable 396 de Camerarius, intitulée le Renard et le Hérisson, et tirée du vieux proverbe grec cité ci-après, le Hérisson répond au Renard qui se vante de tous les tours qu'il a dans son sac (voyez notre vers 15): « Je ne sais rien, pour moi, si ce n'est me réduire en boule. » Et en effet, lorsque les chiens fondent sur lui, il est préservé par ses dards, tandis que son compagnon est déchiré : Unde et proverbium postea natum, quod Græci senario iambico ita protulere :

Πολλ ̓ οἶδ ̓ Ἀλώπηξ, ἀλλ ̓ Εχίνος ἓν μέγα.

<< Le Renard sait beaucoup de choses; mais le Hérisson une, qui est grande»: voyez Benfey, tome I, p. 316.

Ce même sujet du Chat et du Renard a été traité par Senecé;

1. Voyez ci-dessus, p. 407.

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