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Mais agissant diversement

Selon l'organe" seulement

L'une s'élève, et l'autre rampe".

D'où vient donc que ce corps si bien organisé
Ne put obliger son hôtesse"

De s'unir au Soleil? Un Rat eut sa tendresse 25.

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21. Remarquable emploi du mot organe au singulier, désignant le corps comme étant en entier, dans son ensemble, l'instrument de l'âme. Littré, à l'Historique du mot, cite un exemple du quinzième siècle où ce nom a, au même nombre, ce même sens : « L'orguan, c'est-à-dire l'instrument, qui est le corps. » (Christine de PISAN, Charles V, livre I, chapitre 1x.) Nous avons vu plus haut, au livre VII, fable xvi, vers 11, organe joint de même à instrument, et nous trouverons un autre exemple d'organe, au singulier, dans un des derniers vers (le 234°) du Discours à Mme de la Sablière, à la suite du livre IX.

22. Nous suivons pour la ponctuation de la phrase, ou plutôt pour la non-ponctuation, les anciennes éditions, qui, ne mettant aucune virgule dans les vers 68-69, nous laissent incertains (est-ce à dessein ?), pour les mots «< selon l'organe », entre le rapport au participe « agissant » et le rapport aux verbes suivants « s'élève et.... rempe ». Les deux textes de 1679 et ceux de 1682, 88 ont « rempe », par e, pour rimer à l'œil comme à l'oreille; ceux de 1708, 29 ont l'orthographe régulière, « rampe ».

23. C'est-à-dire, dans un sens quelque peu insolite, mais auquel cette forme de dérivé se prête aisément, « si bien fait organe, rendu si propre à servir d'instrument à l'âme. » C'est du moins la signification que rend logique et probable le rapprochement avec le vers 69 et qui peut ôter au voisinage du dérivé et de son primitif organe ce qu'il aurait de choquant dans l'acception ordinaire.

24. Ici hôtesse a le sens inverse de celui que nous avons vu plus haut, vers 15, à son masculin hote. Voyez d'autres exemples des deux genres, surtout du féminin, aux tomes M.-L. III, p. 197, 215, 437, et V, p. 65.

25. Dans les deux textes de 1679, suivis en cela par ceux de 1682, 88, 1708, il y a ou une simple virgule ou deux points après Soleil, et ils reportent le point d'interrogation après tendresse, étendant ainsi le tour initial, interrogatif, jusqu'à ce mot, comme si la fin était et qu'un Rat eut sa tendresse? Nous avons adopté la ponctuation de 1729 : c'est celle que veulent, il nous semble, la correction et la clarté.

Tout débattu, tout bien pesé,

Les ȧmes des souris et les âmes des belles
Sont très-différentes entre elles 26;
Il en faut revenir toujours à son destin,
C'est-à-dire, à la loi par le Ciel établie :

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Parlez au diable, employez la magie "7,

Vous ne détournerez nul être de sa fin 28.

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26. Reprise ironique, nous ramenant avec une fine malice, après la longue parenthèse philosophique, aux vers 46-47.

27. « Parlez au diable, employez la magie,

est encore un vers répréhensible, dit Chamfort, en ce que la Fontaine a l'air de supposer qu'il y ait une magie et qu'on puisse parler au diable. Critique bien pointilleuse, et parfaitement inexacte puisque la Fontaine, dans ce vers, raille bien plutôt cette superstition. Remarquons aussi que, par le vers précédent, le poëte nomme religieusement le destin:

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28. De sa destination, du but en vue duquel il a été créé; et l'ensemble de la fable implique: but auquel le poussent la force instinctive, les tendances originaires dont parle le vers 48.

FABLE VIII.

LE FOU QUI VEND LA SAGESSE.

Abstemius, fab. 184, de Insano sapientiam vendente. Le titre français est, comme l'on voit, la traduction littérale de ce titre latin. Democritus ridens, p. 143, Stultos fuge. Domenichi, Facetie, motti et burle, Venise, 1581, p. 269.

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Mythologia sopica Neveleti, p. 611.

On peut rapprocher la pensée de cette fable des lignes suivantes de Montaigne (Essais, livre III, chapitre vIII, tome III, p. 400): << Il en peult estre aulcuns de ma complexion, qui m'instruis mieulx par contrarieté que par similitude, et par fuyte que par suyte: à cette sorte de discipline regardoit le vieux Caton, quand il dict que « les sages ont plus à apprendre des fols, que les fols des sages; » et cet ancien ioueur de lyre que Pausanias recite auoir accoustumé contraindre ses disciples d'aller ouïr un mauuais sonneur qui logeoit vis à vis de luy, où ils apprinssent à haïr ses desaccords et faulses mesures. »

:

Dans le Democritus ridens, à l'endroit cité, ce n'est pas un fou, c'est Cosme de Médicis1 qui enseigne la sagesse par cette allégorie Venetiis ad nobiles quosdam in foro D[ivi] Marci obambulantes accessit [Cosmus Medices], stipem rogans, addita promissione insignis cujusdam et saluberrimi remedii quod communicare ipsis velit. Acceptis hinc aliquot nummis, singulis filum quatuor ulnas longum reddit, suadens ut quemcumque stultum ad se propius ne accedere paterentur. »

Jamais auprès des fous ne te mets à portée :
Je ne te puis donner un plus sage conseil.
Il n'est enseignement pareil

1. Cosme l'ancien (mort en 1464), car il est dit plus loin, à la suite de deux autres mots rapportés de lui: Rempublicam enim ad principatum redegerat Cosmus. Il avait été exilé, pendant un an, à Venise.

A celui-là de fuir une tête éventée3.

:

On en voit souvent dans les cours1
Le prince y prend plaisir; car ils donnent toujours
Quelque trait aux fripons, aux sots, aux ridicules".

Un Fol alloit criant par tous les carrefours
Qu'il vendoit la sagesse, et les mortels crédules
De courir à l'achat; chacun fut diligent.
On essuyoit force grimaces;

Puis on avoit pour son argent,

Avec un bon soufflet, un fil long de deux brasses.
La plupart s'en fâchoient; mais que leur servoit-il?

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2. A remarquer cet emploi, devenu rare, d'un complément par de construit après un démonstratif allongé d'une particule; nous avons relevé (p. 244, note 11) le démonstratif, avec là, suivi d'un relatif.

3. Étourdie, inconsidérée. Molière (les Fâcheux, vers 42) emploie cet adjectif substantivement; le verbe dont, par sa forme, il est le participe, n'a pas d'emploi figuré analogue. — Au même sens, dans l'Eunuque, acte V, scène iv (tome III M.-L., p.87): « tête à l'évent. » 4. Voyez la fin de la fable xxII du livre XII. On se rappelle Triboulet, le fou de Louis XII et de François Ier, et, sans parler de Lombart, dit Brusquet, fou de Henri II, l'Angeli, que le grand Condé, chez qui il avait été d'abord valet d'écurie, céda, pour bouffon, non à Louis XIII, comme on le dit communément, mais à Louis XIV: voyez le Dictionnaire de Jal (p. 63 et note 2) et tout son long et très-curieux article des FouS EN TITRE D'Office. Cette cession agréée diminue singulièrement l'opportunité du regret exprimé par Chamfort, que la Fontaine ait manqué « une belle occasion » de louer le grand Roi « d'avoir banni ces fous de cour si multipliés en Europe, d'avoir substitué à cet amusement misérable les plaisirs nobles de l'esprit et de la société. » Au moins l'éloge n'eût-il pu s'étendre à tout le règne.

:

5. Ils décochent quelque trait piquant, quelque épigramme.... aux ridicules, aux personnes ridicules voyez les exemples cités par Littré de l'application aux personnes de cet adjectif pris substantivement; la note 1 de la page 450 du tome V de Molière (le Misanthrope, vers 108); et l'opéra de Daphné, tome IV M.-L., p. 206. - Pour trait, en ce sens, comparez aussi le Tartuffe, vers 551. 6. Voyez p. 261, note 20. - 7. Comparez p. 272, note 11.

C'étoient les plus moqués : le mieux étoit de rire,
Ou de s'en aller, sans rien dire,

Avec son soufflet et son fil.

De chercher du sens à la chose,

On se fût fait siffler ainsi qu'un ignorant.

La raison est-elle garant

De ce que fait un fou ? le hasard est la cause
De tout ce qui se passe en un cerveau blessé.
Du fil et du soufflet pourtant embarrassé,
Un des dupes un jour alla trouver un sage,

Qui, sans hésiter davantage,1o,

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Lui dit : « Ce sont ici hiéroglyphes" tout purs.
Les gens bien conseillés 12, et qui voudront bien faire,
Entre eux et les gens fous mettront, pour l'ordinaire,
La longueur de ce fil13; sinon je les tiens sûrs

De quelque semblable caresse11.

Vous n'êtes point trompé : ce fou vend la sagesse.»

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8. Pour cette apposition nominale du masculin garant au féminin raison, voyez la Remarque de Littré à la suite de l'article GARANT.

9. Dupe, primitivement nom d'une espèce d'oiseau, est du féminin, et l'a toujours été : voyez encore la Remarque de Littré à la suite de l'article. Il faut entendre : « Un, quelqu'un, parmi les dupes, un de ceux qui furent dupes. »

10. C'est-à-dire sur-le-champ, ou mieux, pour faire sentir quelque peu l'adverbe davantage, « sans employer son temps à autre chose qu'à parler aussitôt. »

11. lérogliphes, dans les deux textes de 1679 et dans ceux de 1682, 88, 1709, 29; hiérogliphes dans celui de 1708. Le poëte a sans doute regardé l'hiatus comme excusé par la grécité du mot, A la suite, dans les anciennes éditions, comme dans les modernes, tout et non tous.

12. Il semble que « conseillés » soit ici l'équivalent d'avisés, et que le mot ait quelque chose du primitif latin consilium, qui signifie bon avis venant d'autrui ou de soi-même.

13. Eris sapiens, si, quousque hoc filum protenditur, ab insanis et furiosis abfueris. (ABSTEMIUS.)

14. D'un soufflet ou de quelque autre mauvaise conséquence de la rencontre avec qui ne sait ce qu'il fait.

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